Le procès de la dame à la tresse blonde edit

18 octobre 2011

La condamnation de Ioulia Timochenko semble marquer l’avènement d’un pouvoir autoritaire en Ukraine, mais elle révèle surtout les faiblesses d’un régime politique soumis à des facteurs modérant cette tendance.

L’imperturbable dame à la tresse blonde, révélée au monde lors de la Révolution orange de décembre 2004, a connu un verdict pour le moins peu clément. En effet, sa condamnation le mardi 11 octobre à sept ans de prison ne vient pas sanctionner un enrichissement personnel réel ou supposé, comme c’était le cas en 2001 quand elle dirigeait United Energy Systems. Cette fois-ci, c’est la conclusion de l’accord gazier signé en 2009 avec la Russie qui est en cause. L’ex-Premier ministre aurait commis un « abus d’autorité » dans l’exercice de son mandat.

On ne s’arrêtera pas sur la nature politique de ce procès : elle ne fait aucun doute. On fera toutefois remarquer que les gouvernements dits « oranges » n’ont pas réformé le Bureau du procureur général, dont les pouvoirs de « contrôle » sur les organes judiciaires conduisent chaque accusation à devenir politique. Dans les faits, le Bureau du procureur général peut menacer les opposants de sortir des affaires, voire les initier, sans nécessairement les conclure. Le président Iouchtchenko lui-même a utilisé cette ressource pour écarter des juges accusés de « corruption ». Aujourd’hui, ce sont les adversaires politiques qui sont neutralisés, au-delà de Timochenko elle-même.

Plusieurs acteurs européens ont évidemment réagi avec véhémence à ce procès, qui se tient à un moment crucial. En effet, la condamnation de Timochenko intervient au moment même où, au terme d’un processus engagé depuis plusieurs années, l’Union européenne cherche à conclure un accord d’association avec l’Ukraine, incluant notamment des avancées en matière de visas et de constitution d’une zone de libre-échange approfondi et complet. La menace d’une remise en cause ou d’un report de la conclusion de l’accord est sibylline dans les mots du représentant de l’UE à Kiev, quand il a déclaré fin septembre que « la justice sélective est inadmissible pour l’intégration européenne de l’Ukraine ». La commissaire de l’UE pour les affaires étrangères, Catherine Ashton, avait fait part de ses « inquiétudes » peu de temps avant, tout en appelant à continuer les négociations avec l’Ukraine. D’autres vont plus loin : le président du Parti populaire européen, Wilfried Martens, exhorte les autorités à « libérer Timochenko sans délai », faute de quoi le destin de l’accord d’association serait compromis. Savoir si cette sanction serait légitime (un opposant politique est-il innocent par nature, et doit-il par conséquent être relâché d’office sur injonction d’institutions extérieures au pays ?) ou efficace (conduit-elle à une réforme des institutions judiciaires concernées ?) est encore un autre débat.

Le procès fait donc apparaître les contraintes internationales qui pèsent sur le pays. Toutefois, il faut se garder d’une lecture réductrice de ces contraintes et de leur influence sur le jeu des acteurs politiques ukrainiens. Certes, Timochenko revêt dans l’imaginaire européen l’image d’une pasionaria de la démocratie : s’attaquer à elle, ce serait porter atteinte aux courants politiques favorables à l’intégration européenne. Mais comment alors considérer alors la position de Vladimir Poutine, qui a déclaré depuis Pékin ne pas très bien comprendre ce que signifiait cette condamnation ? L’accord gazier qui a mené à cette condamnation est le fruit d’une tractation entre Poutine et Timochenko, et il est toujours en vigueur. Quant à la perspective de l’inclusion de l’Ukraine dans une encore hypothétique « union économique eurasienne », c’est-à-dire une union douanière autour de la Russie, elle est encore peu réaliste pour le moment. Visiblement donc, l’emprisonnement de Timochenko ne satisfait pas grand monde à l’extérieur des frontières ukrainiennes. Évoquer de manière pavlovienne l’affrontement entre « pro-européens » et « pro-russes » pour éclairer la situation semble vain : le pouvoir actuel cherche activement les bénéfices d’un rapprochement économique avec l’UE, et paraît conscient que cette condamnation constitue un nouvel obstacle sur un chemin décidément bien long…

En réalité, le procès ne cherche pas à atteindre Timochenko, pour laquelle la population ne se mobilisera pas massivement, ni à préparer un changement de politique étrangère ; il s’agit de limiter les velléités de l’opposition.

À cet égard, le procès est fort instructif sur l’évolution du régime politique actuel. L’Ukraine fête cette année les vingt ans de son indépendance, ainsi que les quinze ans de sa constitution, une histoire courte mais qui a vu de nombreux affrontements politiques. Le procès intervient également dans le prolongement de la Révolution orange de 2004, mais il constitue de ce point de vue son énième enterrement : le président Iouchtchenko, que Timochenko avait aidé à conquérir le pouvoir en 2004, a témoigné contre elle. Bien sûr, on pourra objecter que les divisions et les dissensions au sein de l’équipe orange avaient éclaté au grand jour dès septembre 2005, tandis que les retours au pouvoir de Viktor Ianoukovitch, le perdant honni de 2004, en tant que Premier ministre en 2006 et en tant que président en 2010 avaient indiqué une lassitude ou une déception des Ukrainiens à l’égard de cette période.

En définitive, ce n’est pas sur les affrontements personnels ou le destin de telle ou telle figure qu’il convient d’insister, mais plutôt sur le fonctionnement politique, et plus précisément la perspective de fraudes électorales lors des prochains scrutins. La force de dissuasion utilisée contre la première des opposantes contraint les adversaires du pouvoir dans leurs capacités à concourir dans un contexte pluraliste, d’autant que les médias sont davantage contrôlés aujourd’hui qu’après la Révolution orange. Pour les observateurs mais aussi les partenaires de l’Ukraine, il faudra donc désormais se montrer attentif à la répartition des pouvoirs, notamment dans la perspective des élections législatives de 2012. Si l’Union européenne veut renforcer l’Etat de droit dans son voisinage et obtenir quelque chose en échange de son accord d’association, ce n’est pas la libération de Timochenko qu’elle doit exiger, mais la possibilité offerte à l’opposition de participer à une élection juste et libre lors de la prochaine élection, grâce à une attention accrue envers l’Ukraine.