Social-démocratie : leçons allemandes edit

26 octobre 2009

Un sondage récent d’OpinionWay montre que la moitié des sympathisants du Parti socialiste français privilégient une alliance à gauche qui comprendrait le Nouveau Parti Anticapitaliste d’Olivier Besancenot. En Allemagne, lors des récentes élections législatives, après la déroute des sociaux-démocrates, passés de 34,2% en 2005 à 23% en 2009, certaines voix se sont élevées à gauche pour réclamer une alliance entre le nouveau parti d’extrême-gauche, Die Linke, qui est passé de 8,1% à 10,7%, et le Parti social-démocrate.

Dans la crise économique actuelle, dans les deux pays, la demande de justice sociale s’est fortement accrue. En Allemagne, les électeurs qui ont déserté le SPD invoquent d’abord cette préoccupation selon un sondage d'une fondation allemande. Plus d’un million des électeurs du SPD de 2005 ont voté cette fois pour Die Linke. Le SPD a perdu près de 15 points dans les couches populaires salariées. 28% des ouvriers ont voté pour le SPD seulement mais 18% pour Die Linke. Dans les deux pays, la « gauche de la gauche », communistes ou trotskistes, a dépassé les 10% et s’est installée dans le paysage politique. Ces évolutions électorales correspondent à des changements d’attitudes des électeurs, qui, à la faveur de la crise, privilégient à nouveau l’action de l’État et qui, selon le volet français de l’enquête sur les valeurs, réalisé sous la direction de Pierre Bréchon et Jean-Pierre Tchernia, donnent désormais la priorité à l’égalité sur la liberté. La préférence pour la concurrence plutôt que pour les nationalisations, s’est érodée. Incontestablement, la crise du capitalisme financier a profondément marqué des opinons publiques qui comparent les fabuleux revenus des traders et grands patrons à l’évolution générale des salaires. La crise du capitalisme est ainsi devenue une crise morale, en même temps qu’économique.

Dans ces conditions, de fortes pressions s’exercent sur les partis socialistes pour qu’ils adoptent des positions plus fermes sur le fonctionnement du capitalisme et recherchent des alliances avec l’extrême-gauche. Ces pressions sont compréhensibles et pourraient trouver des oreilles attentives dans les partis socialistes.

Pourtant, d’autres données montrent que les socialistes sont en réalité face à une situation politique et électorale encore plus compliquée qu’il n’y paraît. Certes, la reconquête des couches populaires est pour eux un objectif prioritaire. Mais il faut souligner qu’en Allemagne, dans cette période crise, c’est la droite qui a globalement progressé et d’abord le parti libéral. L’ensemble gauche plus écologiste est passé de 51% à 46% en quatre ans. Quant à Die Linke, s’il fait un score impressionnant dans les anciens lander de l’Est avec 26%, dépassant le SPD (18%), en revanche, dans l’ancienne Allemagne fédérale, il ne rassemble que 8% des suffrages contre 24% au SPD et 11% pour les Verts. Or, en Allemagne, les Verts sont plus proches, par certaines de leurs orientations, des libéraux que de l’extrême-gauche, comme l’a montré leur décision récente de s’allier en Sarre avec les droites plutôt qu’avec les gauches. Une alliance rose/rouge n’a aujourd’hui aucune chance de gagner les élections dans ce pays. En France, dans cette même période de crise, la gauche n’a pas progressé aux élections européennes, même en incorporant les Verts qui ont atteint 16%, soit pratiquement autant que les socialistes. En outre l’extrême-gauche du NPA rejette toute alliance aussi bien avec les socialistes qu’avec les Verts, et donc tout exercice du pouvoir.

En réalité le choix réel auquel sont confrontés les socialistes dans les deux pays est le suivant : Soit, choisir clairement la fonction et la posture de tribun de la plèbe, soit, continuer de se donner comme principal objectif de revenir au pouvoir et de gouverner. Dans le premier cas, ces partis peuvent trouver un véritable avantage à gauchir fortement leur discours anticapitaliste et à se rapprocher autant que faire se peut de l’extrême-gauche. Dans le second cas, il leur faut d’abord conserver ou regagner une véritable crédibilité gouvernementale, et donc d’abord la crédibilité économique qui seule peut les ramener au pouvoir. Ici encore le sondage sur les élections allemandes est très instructif : le thème décisif de la campagne pour les électeurs allemands a été l’économie. Or, sur ce thème, 47% des électeurs estimaient que la CDU était la plus compétente et 21% seulement le SPD. Certes, sur le thème de la justice sociale, les chiffres s’inversaient mais l’image de crédibilité demeurait globalement en faveur de la droite et des libéraux.

Il faut ajouter que les électeurs du SPD de 2005 qui ont voté en 2009 pour la CDU ou pour le Parti libéral ont été plus nombreux que ceux qui l’ont déserté au bénéfice de Die Linke. Quand aux pertes socialistes au bénéfice des Verts, presque aussi nombreuses que celles en faveur de Die Linke, elles ne peuvent être considérées simplement comme un vote plus à gauche de ces électeurs. De même, en France, le succès des Verts aux Européennes, même si les Verts français demeurent, malgré l’influence de Daniel Cohn-Bendit, plus proches de l’extrême-gauche que leurs homologues allemands, ne peut pas non plus être assimilé à un simple virage à gauche, dans le sens traditionnel du terme, de ces électeurs, l’enjeu écologique étant un véritable enjeu politique en soi.

Si donc le thème de la justice sociale est décisif pour les socialistes, en particulier pour conserver le leadership à gauche et mobiliser les couches populaires, en revanche, celui de la crédibilité économique est capital pour revenir au pouvoir. En France, la victoire de Nicolas Sarkozy en 2007 a été largement due à son avantage sur le thème de la crédibilité gouvernementale. La social-démocratie, en France comme en Allemagne, est obligée en réalité d’articuler les deux thèmes de la justice sociale et de la crédibilité économique si elle veut à la fois résister aujourd’hui et gagner demain. Réaliser cette articulation est particulièrement difficile, surtout en ces temps de crise et de déficits, et peut être mal compris des électeurs de gauche, et donc provisoirement peu profitable. Mais si les partis socialistes se donnent la facilité de jouer exclusivement le rôle de tribun du peuple, quitte, pour y parvenir, à abandonner ce qui demeure décisif pour la majorité des électeurs, c'est-à-dire leur crédibilité économique, ils prennent le risque de rester très longtemps dans l’opposition. Ils peuvent choisir l’une ou l’autre voie. Chacune présente pour eux avantages et inconvénients. Encore faut-il qu’ils soient bien conscients de leurs objectifs et de la signification et de la portée du choix qu’ils effectueront.