Pourquoi, au juste, Angela Merkel est-elle admirée? edit

22 septembre 2021

Est-ce pour sa longévité, son indéniable charisme, sa domination de la scène européenne ou la stabilité de sa conduite des affaires ? Tout ça et plus encore, sans doute. Mais, pour ce qui est des questions économiques, stabilité a largement été synonyme d’inaction et son bilan est plutôt décevant.

Ses deux actions les plus spectaculaires sont deux erreurs majeures. La première a été sa décision de fermer toutes les centrales nucléaires allemandes à la suite du désastre de Fukushima. Face au réchauffement climatique, c’est une erreur historique. L’énergie nucléaire est un des moyens les plus efficaces pour produire de l’électricité à grande échelle sans rejeter de CO2. Les panneaux solaires et les éoliennes sont sympathiques mais consomment énormément d’espace, leur production d’électricité est irrégulière et il semble impossible qu’ils puissent remplacer les combustibles fossiles pour satisfaire les besoins grandissants d’énergie. À court terme, l’Allemagne a remplacé le nucléaire par le charbon, de loin la pire source d’émission de CO2. Pour l’avenir, l’Allemagne dépendra des centrales à gaz, qui produisent aussi du CO2 à la fois sur place et là où le gaz est extrait. L’Allemagne restera importatrice d’électricité, déplaçant ainsi la pollution atmosphérique vers les pays voisins. De ce fait, elle devra payer plus cher que ses concurrents l’électricité dont elle aura besoin pour fabriquer ses voitures, les machines et, plus largement, la production industrielle et chimique sur lesquelles elle a construit sa prospérité. Le désastre de Fukushima a été le résultat d’une programmation bâclée, d’une supervision superficielle et d’une cruelle impréparation. Il eût été bien plus simple et bien moins coûteux de s’assurer que ces procédures sont en bon ordre de marche. Il se peut que les historiens économiques, un jour, feront le lien entre cette décision malheureuse et le déclin économique de l’Allemagne.

Son autre action majeure a été de décider en 2015 d’ouvrir les frontières aux immigrants. Ce fut une bonne leçon d’humanisme administrée à ses homologues apeurés. C’était judicieux au point de vue économique, puisque cela résolvait les multiples conséquences néfastes associées à une population déclinante. Soudain Merkel faisait preuve de courage et de vision, qualités rarement observées chez elle. Hélas, ça n’a duré qu’un temps. Sa décision s’est vite révélée être un monumentale erreur politique. En Allemagne, elle a puissamment encouragé la montée de l’extrême droite haineuse. En Europe, elle a ouvert un conflit avec ses voisins orientaux. Rapidement, elle a dû faire marche arrière. Le courage et la compassion pour les personnes en détresse ne paient pas politiquement, mais nous le savions déjà.

À part ces deux actions, elle achève ses quinze ans au pouvoir sans laisser derrière elle de réforme économique d’envergure. La bonne santé économique de l’Allemagne durant ses mandats est très largement due aux réformes, alors impopulaires, du marché du travail qui ont causé la perte de pouvoir de son prédécesseur, Gerhard Schroeder. Elle a laissé les grippe-sous du ministère des Finances élever l’équilibre budgétaire au rang de dogme, coupant dans les dépenses d’infrastructures publiques. Il faudra des années pour rattraper le temps perdu.

En Europe, elle a clairement dominé les débats, largement par absence de concurrence. Elle était aux commandes lorsque la crise financière a éclaté en 2008. Elle a laissé les déficits budgétaires croître pour absorber le choc. Un an, pas plus. Elle a prématurément réduit le déficit allemand et fait pression sur les autres pays européens pour qu’ils fassent de même. La modeste reprise économique s’est essoufflée. Ce faisant, elle a bien involontairement démontré les faiblesses de la construction européenne.

On savait bien qu’une union monétaire ne peut pas fonctionner correctement si les systèmes bancaires nationaux restent soumis à des règles différentes et à des supervisions nationales dont l’objectif est toujours de protéger les champions locaux. La crise a abouti à la création, enfin, de l’union bancaire. Mais, soucieuse de protéger ses intérêts immédiats, l’Allemagne a fait tout ce qu’elle pouvait en limiter la portée. Depuis, les banques géantes allemandes se sont rabougries et le réseau des inefficaces caisses d’épargne régionales survit, bien à l’abri des superviseurs européens.

On savait aussi que les règles de discipline budgétaire connues sous le nom de Pacte de stabilité – une création imposée par l’Allemagne en 1997 – étaient si mal conçues qu’elles ne pouvaient atteindre leurs objectifs. L’Allemagne ne pouvait pas bloquer une réforme, mais Angel Merkel a fait le nécessaire pour que cette réforme soit essentiellement symbolique, se ramenant à l’ajout de couches de règles et procédures bureaucratiques. Sans surprise, la zone euro a bientôt été victime d’une crise des dettes publiques – que l’on pensait réservée aux pays en développement – et à une seconde récession.

La réponse collective à la crise des dettes publiques a été navrante. Sous la pression de l’Allemagne, la Grèce s’est vue obligée de sabrer son déficit budgétaire. La Grèce a sombré dans une dépression d’ampleur historique. Le traitement réservé à la Grèce a conduit à une vague contagieuse de crises au sein de la zone euro, toutes traitées de la même manière avec les mêmes résultats, des récessions et une souffrance sociale aiguë. Le seul mérite d’Angela Merkel est de ne pas s’être opposée au célèbre « quoi qu’il en coûte » de Mario Draghi, le président de la BCE.  Mais cette intervention, qui a mis fin à la crise, aurait dû se produire bien plus tôt, au départ de la crise. Après s’y être opposée, la si prudente chancelière a fini par bouger, mais il était bien tard.

Les deux crises européennes consécutives et l’affaire de l’immigration ont joué un rôle majeur dans la montée du sentiment anti-européen qui est désormais influent dans chaque pays. Ce sentiment a nourri la décision britannique de se retirer de l’UE. Quand les sondages ont commencé à indiquer que le Brexit devenait probable, le Premier ministre David Cameron a fait le tour des capitales pour demander des concessions. Serait-il possible d’accorder à la Grande-Bretagne quelques exemptions des règles européennes ? Le débat était entre le respect des règles acceptées et le pragmatisme. Merkel aurait pu peser en faveur du pragmatisme, l’une des ses qualités maintes fois appréciées. Elle ne l’a pas fait. Le pari était que les Britanniques s’en rendraient compte et voteraient contre le Brexit. Pari perdu, et tout le monde a perdu. L’intégrité de l’UE a été brisée, et avec elle l’idée que l’Europe doit rassembler tous les pays démocratiques. Certes, la Grande-Bretagne a toujours été différente mais le défi a toujours été d’accommoder la diversité. Sous la direction de Merkel, l’Europe a échoué.

Il est vrai que l’Allemagne a mieux traversé la crise du Covid que la plupart des autres pays, et le mérite en revient largement à Mutti. Mais deux années réussies ne peuvent pas compenser les précédentes.