Le nouvel élan des relations Russie-Chine edit

Feb. 26, 2022

L’inauguration des Jeux Olympiques d’hiver à Pékin début février a permis aux présidents Poutine et Xi Jinping de se rencontrer pour la 38ème fois depuis 2013. Les Chefs d’Etat russe et chinois ont signé à cette occasion une longue « Déclaration commune sur l’entrée des relations internationales dans une nouvelle ère et sur le développement global et durable », censée marquer une étape importante dans le rapprochement entre les deux pays, qui sont poussés l’un vers l’autre par la politique hostile et de sanctions de la part des Etats-Unis et de l’UE.

L’« alchimie personnelle » entre les présidents russe et chinois, leur conception autocratique partagée du pouvoir et leur opposition commune à « l’hégémonie  américaine » ainsi qu’au « valeurs occidentales », qu’ils estiment « prétendument universelles », ont été des moteurs puissants mais pas uniques de ce grand rapprochement.

L’instabilité géostratégique dans leur voisinage commun centre-asiatique, né après l’éclatement de l’URSS, a amené Moscou et Pékin à resserrer leurs liens dans les domaines militaire et sécuritaire. La multiplication des exercices conjoints, sur terre et dans les mers, a amené à une coordination poussée entre les états-majors et témoigné de l’attention que les deux pays ont accordé à cet aspect très symbolique et essentiel de leur relation, notamment face aux Etats-Unis. La Chine est devenue le premier client des exportations d’armes russes, Moscou n’hésitant plus à fournir des matériels de haute technologie comme le système anti-aérien S-400 ou le chasseur SU-35.

Sur le plan économique, la progression a été tout aussi remarquable. Les échanges commerciaux ont atteint 140mds $ en 2021 et vise 200mds$ d’ici 2024. Les échanges se sont accélérés après la crise ukrainienne en 2014 et les sanctions occidentales. La part chinoise dans le commerce extérieur russe est passée de 10,5% en 2013 à 18,3% en 2020, année de la pandémie. La coopération technologique, avec la signature en 2019 d’un accord avec Huawei pour développer la 5G en Russie, se renforce. Les deux pays ont également décidé en 2020 de réduire leur dépendance financière vis-à-vis du dollar. Ainsi, au quatrième trimestre de l’an dernier, 83% des importations chinoises de Russie ont été réglées en euros.

L’accroissement des pressions de Washington sur la Chine à propos de Taiwan et des mers du Sud, et sur la Russie, autour de l’Ukraine, ont incité Moscou et Pékin à accélérer cette tendance.

La question qui tout naturellement se pose est de savoir jusqu’où ce rapprochement russo-chinois pourrait- il aller.

 La « Déclaration commune » signée le 4 février à Pékin est censée marquer un bond en avant dans ce rapprochement. Les deux pays se félicitent de « l’établissement d’un nouveau type de relations interétatiques entre la Russie et la Chine qui sont supérieurs aux alliances politiques et militaires de la Guerre Froide. L’amitié entre les deux Etats n’a aucune limite et il n’existe aucun domaine de coopération ‘interdit’ ».

Mais, à bien y regarder, cette relation est bridée par la fragilité de ses fondements. 

Sur le plan historique, tout d’abord, les « Traités inégaux » imposés au XIXème siècle par l’Empire russe à l’Empire des Qing, qui a permis à St Pétersbourg d’annexer plus d’un million de km2, ne sont pas oubliés à Pékin. Des cartes incluant les territoires perdus sont publiées en Chine, où l’on continue d’appeler Vladivostok de son ancien nom chinois : Haishenwei. Bobo Lo, chercheur australien d’origine chinoise, n’exclut pas que, d’ici quelques années, la Chine pourrait parfaitement remettre ce dossier sur le tapis, une fois réglées les questions taiwanaise et des mers du Sud.

Cette défiance héritée de l’Histoire est renforcée par la peur irraisonnée de la population russe, notamment en Sibérie et dans l’Extrême-Orient russe, de voir la Chine surpeuplée tenter de s’emparer de leurs terres sous-peuplées.

Le déséquilibre démographique est doublé d’une asymétrie économique et commerciale. Les produits énergétiques et minéraux dépassent 70% des exportations russes vers la Chine alors que les Chinois fournissent principalement à la Russie des équipements industriels et de haute technologie. Ces relations risquent de transformer la Russie en « junior partner » de la Chine. Les Russes se montrent donc relativement prudents notamment face au gigantesque projet de « Belt and Road Initiative » chinois qu’ils savent ne pas pouvoir circonvenir dans leur « Greater Eurasian Partnership ». Il est loin le temps où « le grand frère soviétique » assistait la Chine populaire sous-développée dans son développement économique.

Sur le plan sécuritaire, enfin, même si la Russie accepte d’équiper l’armée chinoise d’armements sophistiqués, la méfiance subsiste alors que les armes fabriquées en Chine, souvent copiées sur des modèles russes, commencent à concurrencer les armes russe sur les marchés internationaux. La dépendance de la Chine vis-à-vis de la Russie, qui ne subsistait que dans ce domaine, semble déjà s’affaiblir. Par ailleurs, la Chine apparaît à présent vouloir de plus en plus assurer directement la sécurité en Asie centrale, région stratégiquement essentielle pour les deux pays, et remettre en question le rôle principal tacitement dévolu à Moscou dans ce domaine. Ainsi la Chine a-t-elle établi une base militaire au Tadjikistan afin notamment de contrôler la frontière entre ce pays et la région chinoise très sensible du Xinjiang.

On ne peut donc pas parler d’alliance stratégique ou militaire russo-chinoise, comme l’a qualifiée Poutine. Aucun texte bilatéral, dont le Traité d’Amitié et de coopération de 2001, qui vient d’être prolongé de 5 ans, ou la Déclaration du 4 février, ou encore l’Organisation de coopération de Shanghai, accord multilatéral réunissant, outre la Russie, la Chine et les cinq républiques d’Asie Centrale, l’Inde, l’Iran et le Pakistan, ne comporte de clause d’assistance mutuelle à l’exemple de l’article 5 de l’OTAN. Bobo Lo a qualifié la relation russo-chinoise d’« axe de convenance » (« Axis of Convenience »).

Certes, la très grande proximité entre Moscou et Pékin est la bienvenue alors que la Russie et la Chine sont engagées dans les crises en Ukraine pour la première et à Taïwan pour la seconde. La Déclaration du 4 février reprend du reste les argumentations chères à chacun des deux pays. Ainsi « les parties s’opposent à tout élargissement de l’OTAN et appellent l’Alliance de l’Atlantique Nord à abandonner ses approches idéologisées datant de la Guerre Froide », alors que « la partie russe réaffirme son soutien au principe d’une Chine, confirme que Taïwan est une partie inaliénable de la Chine et s’oppose à toute forme d’indépendance de Taïwan ».

Mais les Chinois se sont bien gardés d’exprimer explicitement leur soutien à la Russie dans son conflit avec l’Ukraine, pays avec lequel ils entretiennent d’excellentes relations, et sans doute de peur d’être entrainé dans une aventure qui ne les concernent pas directement. Il convient de rappeler que Pékin n’a pas reconnu l’annexion de la Crimée par Moscou.

Il apparaît donc certain que les deux pays n’établiront pas d’alliance militaire en bonne et due forme, la Russie redoutant de devenir un simple appendice d’une Chine omnipotente alors que ce pays a une aversion pour des accords de ce genre, le Traité d’amitié, d’alliance et d’assistance mutuelle de 1950 lui ayant laissé de mauvais souvenirs. En fait l’absence d’alliance formelle arrange les deux pays en leur octroyant suffisamment de marges de manœuvre pour rester de facto alliés tout en leur donnant la possibilité de diversifier leurs partenariats si leurs intérêts nationaux l’exigent.

La Russie et la Chine conservent donc leur flexibilité stratégique qui leur permet chacune de mener en parallèle leur propre confrontation avec les Etats-Unis.

Dans le monde multipolaire qui se profile, Moscou s’efforce de devenir l’un des trois pôles majeurs au même titre que (mais, par manque de moyens, pas à l’égal de) Washington et Pékin. Se voulant au milieu de la balance, la Russie pense pouvoir continuer à jouer l’équilibre entre la puissance chinoise montante, dont elle est actuellement proche, et la puissance américaine qui s’érode mais avec laquelle elle souhaiterait normaliser ses relations. Il n’est pas exclu que les Etats-Unis tentent de briser la relation privilégiée russo-chinoise en courtisant la Russie pour essayer d’isoler la Chine, leur principal adversaire. Mais il n’est pas certain qu’une telle tentative, qui répéterait mais à l’envers l’exemple du président Nixon et de Kissinger, qui sont allés rencontrer Mao Zedong en 1972, puisse donner un résultat, à court terme en tout cas. La différence est qu’il y a trente ans, la Chine était affaiblie et l’URSS une super puissance et que les relations entre ces deux pays étaient exécrables. Actuellement le front russo-chinois est solide et Washington, qui poursuit sa politique hostile aux deux pays, ne semble pas avoir encore défini une politique juste qui puisse le fissurer.