La mort du CPE reposera-t-elle l'avenir du CNE? edit

4 avril 2006

La décision du Président de la République sur l'avenir du CPE est pour le moins insolite. Tout a été dit sur la bizarrerie d'une solution qui passe par la promulgation d'une loi dont un article ne devra pas être appliqué avant d'être modifié par une nouvelle loi. En outre, ce n'est pas l'exécutif qui établira le nouveau projet, mais, pour aller plus vite, pour contourner le Conseil d'Etat et probablement aussi pour amadouer le président de l'UMP, c'est aux députés de la majorité que le Chef de l'Etat demande directement de déposer une proposition de loi. La Constitution est bonne fille et le " couple exécutif ", comme on dit, montre une belle capacité de contorsion.

Dès lors, c'est au président du groupe UMP à l'Assemblée nationale de préparer ce texte. Puisque le chef de l'Etat souhaite qu'on entende les syndicats que le gouvernement avait omis d'écouter, c'est à une réunion parlementaires-syndicalistes que l'on va assister. Formule inédite et peut-être fondatrice d'une nouvelle forme de démocratie associant démocratie parlementaire et démocratie sociale : le législateur et les partenaires sociaux vont donc négocier un accord qu'ils imposeront à un gouvernement rétif !

Sur le fond, que peut-il se passer ? Le problème d'un processus aussi acrobatique est qu'il assimilé, vu du bon peuple, à une astuce ou à une manipulation. Certes, il fallait ménager les différents acteurs et d'abord le Premier ministre, mais ce qui se comprend bien dans les bureaux des Palais nationaux et les rues du VIIème arrondissement peut être regardé avec inquiétude et incompréhension dans le reste du pays, surtout quand la révolte gronde. Les contorsions multiples et malhabiles de Louis XVI et de ses ministres et hauts dignitaires n'ont fait que précipiter le 14 juillet 1789.

Les dirigeants syndicaux, qui doivent rendre compte à leurs troupes, peuvent assez difficilement entrer dans le jeu d'une négociation dont l'autre partie n'est pas le gouvernement et qui part sous de mauvais augures, puisqu'il s'agit de vider la réforme de son contenu. Les deux innovations du CPE étaient la longueur de la période d'essai (dite de consolidation) et la dispense de motivation du licenciement pendant cette période. Jacques Chirac demande aux députés de sa majorité de revenir partiellement sur la première (1 an au lieu de 2), totalement sur la seconde. Même si les autres éléments du CPE ne sont pas négligeables, il est vidé de son sens.

L'une des questions qui va se poser est celle du CNE, le contrat nouvelles embauches qui ne s'applique qu'aux entreprises de moins de 20 salariés mais sans limite d'âge, une disposition adoptée par ordonnance en août dernier. Pourquoi, si l'on modifie le CPE dans le sens indiqué par le Président n'en ferait-on pas autant du CNE qui comporte les mêmes clauses (2 ans et pas de motivation du licenciement). On peut craindre qu'alors les dirigeants de PME commencent à protester à leur tour. Et que faire des nombreux CNE déjà signés ?

Revenons au CPE, les syndicats pourraient accepter de discuter un nouveau texte. En fait, ils ont déjà gagné. Pourquoi ne pas aller, avec les parlementaires, peaufiner leur victoire ? Mais ils ne sont pas seuls. La rue, comme toujours - et surtout les jeunes et les étudiants, dont les organisations sont peu représentatives et peu organisées - ne se mobilise que sur des mots d'ordre simples et clairs : " Retrait du CPE ", c'est simple et clair. Comment expliquer qu'ils ont pratiquement obtenu satisfaction au moment où la loi est promulguée telle quelle ?

L'heure n'est plus malheureusement, aux négociations discrètes et aux astuces juridiques. Les talents des parlementaires UMP ne suffiront pas à régler une question qui relève maintenant de la relation entre un Président de la République et des jeunes en colère : le CPE qu'on ne veut pas franchement retirer n'est que le révélateur de leurs angoisses devant l'avenir fermé par une société bloquée et archaïsante.

Nul ne sait comment évoluera ce soulèvement ambigu. S'y retrouvent des jeunes qui se sentent, à juste titre, exclus du marché du travail à côté de salariés au contraire souvent installés dans des emplois solides et qui n'ont pas conscience que leur propre conservatisme participe à cette difficulté d'insertion. La France depuis longtemps aime bien cette solidarité contre-nature.

Dès qu'il y a des lycéens et des étudiants dans la rue, les autorités sont perdues. Aujourd'hui, les unes s'inquiètent des conséquences d'un regain de violence même très localisé, les autres croient pouvoir attendre tranquillement l'apaisement des congés scolaires.

S'il doit y avoir une trêve et si le CPE meurt tranquillement de sa mort programmée par Jacques Chirac, il ne faudra pas oublier que le drame d'une jeunesse qui ne se sent pas accueillie est peut-être ce qu'il peut y avoir de plus dangereux pour l'avenir du pays.

Tout le monde sait, sauf certains gouvernants, que ce qui est en cause, c'est la formation initiale, l'orientation, le fonctionnement de l'Education nationale, la misère des universités, le tête-à-tête de marbre entre les mondes de l'école et de l'entreprise qui s'ignorent. Mais de réformette en réformette, on laisse ce chantier béant. Tout le monde sait que la flexibilité tant désirée ne peut aller sans la construction de parcours professionnels et de conseils personnalisés aux jeunes et aux chômeurs.

Mais parce que nous aurons perdu des mois sur un faux problème, la recherche collective de bonnes solutions prendra encore quelques années de retard.