Les annonces d’Emmanuel Macron: un changement de cap? edit

29 avril 2019

Emmanuel Macron vient de livrer ses choix au terme du Grand Débat et alors que le mouvement des Gilets jaunes se poursuit. C’est au regard du projet initial du président et des revendications portées par le mouvement social qu’il faut évaluer les mesures prises. La stratégie présidentielle comportait deux volets : économie de l’offre avec les réformes de la fiscalité du capital et du marché du travail pour retrouver la compétitivité de l’appareil productif d’un côté, maîtrise des finances publiques de l’autre pour gagner des marges de manœuvre au niveau européen.

Alors que la France compte parmi les quelques rares pays de l’OCDE à pâtir encore d’un chômage massif, les autres pays étant le plus souvent au plein emploi, les créations d’emploi et la baisse du chômage ont été totalement absentes des débats suscités par le mouvement social des Gilets jaunes. Comme si la France acceptait définitivement son chômage massif en plaçant au premier rang la problématique du pouvoir d’achat. Mais on peut aussi avoir une autre lecture de cette hiérarchie étonnante des priorités : le mouvement des Gilets jaunes était et reste essentiellement porté par des salariés ou retraités et non par les plus déshérités. Il était donc logique que le Président de la République rappelle que la baisse du chômage est LA priorité sociale, même si de fait c’est la problématique du pouvoir d’achat qui a pris le dessus.

Des mesures concernant le pouvoir d’achat ont été annoncées. Il s’agit surtout de la baisse de 5 milliards d’euros de l’impôt sur le revenu (IR) sur les premières tranches de ce prélèvement. Ce choix suscite plusieurs remarques.

Tout d’abord cette disposition ne bénéficiera pas aux ménages les plus pauvres. Rappelons qu’en France, 55% des foyers fiscaux ne payent pas l’IR. On reste donc ici dans la logique des mesures de pouvoir d’achat annoncées le 10 décembre dernier, qui ont privilégié les ménages à revenus moyen et ont peu bénéficié aux plus pauvres. S’il correspond à la sociologie des Gilets jaunes, ce choix ne peut être considéré comme contribuant à la lutte contre les inégalités les plus choquantes.

Ensuite cela aboutit à concentrer davantage encore l’IR sur une part restreinte de la population et des revenus, et donc à rendre cet impôt encore plus progressif. Le rendement actuel de l’IR est d’environ 75 milliards d’euros, dont 70% est payé par les 10% des ménages les plus imposés. La France compte parmi les pays de l’OCDE (sinon est le pays de l’OCDE…) dans lesquels la fiscalité est la plus lourde et la plus redistributive. Aucune vision de long terme n’est fournie sur ce que pourrait être la bonne fiscalité…

Se pose un problème de priorité pour l’économie française. Cette mesure de pouvoir d’achat des catégories moyennes est-elle la priorité comparée à d’autres mesures qui pourraient faciliter la mobilité sociale (formation), très faible en France, ou dynamiser les performances de l’économie sur le long terme (recherche) ? Signalons que le coût de cette baisse de l’IR correspond à 150 % du budget annuel du CNRS. Ici encore, la distance se creuse par rapport à l’objectif d’une économie d’innovation.

Quel financement de cette baisse de l’IR ? des économies de dépenses publiques sont évoquées, sans contenu précis. Emmanuel Macron abandonne même l’objectif d’une baisse de 120 000 des effectifs de la Fonction publique sur le quinquennat. Il est donc probable que l’on se dirige vers la perpétuation d’un (quasi) gel du point d’indice des traitements de la fonction publique. La paupérisation des agents des trois fonctions publiques va donc se poursuivre… Mais pense-t-on vraiment que l’on peut concilier cela avec l’objectif d’une plus grande efficacité de l’État ? Ne serait-il pas souhaitable de viser une baisse à long terme de la dépense publique par une véritable réforme de l’État, dont l’un des premiers actes pourrait être celle de la fonction publique territoriale passant, entre autres aspects, par la suppression d’une couche du millefeuille qui n’a son équivalent (couteûx) dans aucun autre pays développé ? Un nouvel « acte de décentralisation » a été annoncé par le président, sans autre précision.

Si Emmanuel Macron s’est refusé à construire un pacte social avec les agents des fonctions publiques, il l’a clairement fait avec les retraités qui verront leurs pensions retrouver une indexation sur l’inflation en 2020 pour les pensions les plus faibles et 2021 pour toutes les pensions. Il a même décidé de traiter la question des petites retraites (qui concerne au premier chef les artisans) avec la garantie d’un minimum contributif de 1000 euros. Dans un précédent billet, nous préconisions la réindexation des retraites pour des raisons qui tiennent au respect du contrat entre les générations.

Concernant la réforme des retraites, des annonces ont été faites. La réforme sera rendue publique fin 2019. L’unification des nombreux régimes existants se fera par la mise en place d’un système à points. Et des marges de financement seront trouvées non dans une élévation de l’âge minimum pour faire valoir ses droits à pension, conformément aux engagements de campagne et bien que cet âge soit bas en France (62 ans) comparé aux autres pays développés. La période travaillée de référence sera allongée, autrement dit le taux de remplacement sera abaissé, ceci afin d’inciter à demeurer plus longtemps en activité. Ce choix fait semblant d’ignorer les réalités des attentes des actifs concernant le départ en retraite : les actifs occupant les professions les plus ingrates et les moins payées souhaitent souvent partir plus tôt que les autres. Ils continueront donc pour une large fraction à partir à 62 ans, avec une pension appauvrie. Ici, c’est l’obligation qui protège et le libre choix qui fragilise : en refusant de reporter l’âge légal du départ à la retraite et en introduisant un système de décote, la réforme prend le risque de créer les futurs déclassés aux petites retraites.

Le président a annoncé qu’il ne serait pas a priori opposé à revenir sur la réforme récente de l’ISF, qui l’a concentré sur le patrimoine immobilier, si l’évaluation envisagée pour 2020 aboutissait à des résultats trop faibles. La messe est dite : une telle réforme s’inscrit dans le temps long et ses effets ne peuvent être favorables que dans l’hypothèse d’une stabilité fiscale anticipée à long terme en ce domaine. L’évaluation aboutira donc très certainement à montrer des résultats très faibles… Emmanuel Macron sera alors devant le fait accompli. On ne peut que regretter cette réorientation commandée par les revendications des Gilets jaunes basées sur des considérations politiques et sur aucune analyse économique et comparaison internationale. Faut-il rappeler que les pays nordiques et scandinaves, si souvent donnés en exemple pour leurs faibles inégalités, n’ont généralement pas d’impôt sur la fortune (à l’exception de la Norvège) ? Dans notre précédent billet mentionné plus haut, nous avions suggéré un alourdissement de la taxation sur les très grosses successions. Cette option, qui aurait contribué à réduire les inégalités de patrimoines dans leur dimension la moins acceptable, à savoir l’héritage, aurait permis de dégager des sources de financement des mesures de pouvoir d’achat.

Une source de financement évoquée par le président est la diminution voire la disparition de certaines niches fiscales. Mais il a été précisé qu’il ne s’agirait que de niches en faveur des entreprises, non des ménages. Ce choix nous parait regrettable. De quelles niches s’agit-il ? Le CIR est très utile, le CICE a été remplacé, les impôts sur la production pullulent.  La question de la pertinence du maintien de certaines niches fiscales en faveur des ménages aurait également pu être soulevée : l’avantage fiscal successoral de l’assurance vie présente comme intérêt pour l’État d’augmenter l’attractivité des titres publics et de faciliter le financement de la dette. Mais cet avantage est affaibli dans une situation de ZLB (zero lower bond) lorsque les taux d’intérêt sont déjà à leur minimum. La suppression de cette niche rapporterait environ deux milliards…

Si l’on additionne les mesures de pouvoir d’achat non financées avec une réforme fiscale en faveur des ménages et au détriment des entreprises, on a la plus claire illustration de la prise de distance avec le projet initial et on retrouve les traits bien connus de mesures de relance du pouvoir d’achat à crédit.

Le Président a également annoncé la disparition de l’ENA et des grands corps de la fonction publique que cette école nourrit. Ce choix, s’il se confirme, est bien inspiré. Rompre avec un modèle endogamique de recrutement au sein d’une élite étroite à 25 ans et à l’inverse favoriser la diversité des recrutements, des parcours, des expériences va dans le bon sens. Si l’on veut éviter les accusations de démagogie, il faut inscrire cette décision majeure dans la réforme de l’État, de son organisation interne, de son ancrage territorial et de sa réactivité.

Les annonces faites le 25 avril par Emmanuel Macron en matière économique et sociale ne sont pas anodines : elles s’inscrivent pour partie dans les choix fondateurs comme l’impératif de formation dès le plus jeune âge pour équiper les individus, faire reculer les inégalités et relancer l’économie. Elles sont associées à des messages clairs sur le fait que les attentes actuelles ne s’inscrivent que dans une logique de droits, auxquels il serait utile d’associer des devoirs : Emmanuel Macron a ainsi demandé aux français de « prendre leur part de droits, mais aussi de devoirs », rappelant un célèbre discours de John Fitzgerald Kennedy[1]. Mais ces annonces témoignent aussi d’une réorientation sensible en faveur du pouvoir d’achat, et manifestent une sensibilité sociale concrète avec les familles monoparentales, les artisans… L’Acte 2 du quinquennat marque bien une réorientation stratégique. Le risque est que la réforme économique soit perdue de vue au seul profit des réformes institutionnelles est réel. Attendons pour en juger.

 

[1]      Dans son discours inaugural du 20 janvier 1961, qui n’a duré que 14 mn, Kennedy a ainsi énoncé : “And so, my fellow Americans, ask not what your country can do for you, but what you can do for your country. My fellow citizens of the world, ask not what America will do for you, but what together we can do for the freedom of man”.