Un moratoire sur l'enrichissement nucléaire pour tout le monde ! edit
Le prochain quinquennat pourrait mettre en œuvre une nouvelle politique de non-prolifération, qui se caractériserait par un changement substantiel dans la hiérarchie de nos priorités.
La capacité de la France à peser sur la politique de non-prolifération ne découle qu'assez peu de son exemplarité, réelle ou supposée prise isolément. Parce que puissance moyenne, ce que peut dire ou faire la France seule dans le domaine nucléaire n'aura qu'une incidence limitée par rapport à ce que peuvent faire d'autres Etats. La politique nucléaire de Téhéran ou de Pyongyang n'est pas déterminée par ce que dit ou fait Paris. De même, si la France décidait de se défaire purement et simplement de sa force nucléaire, il y a fort à penser que le geste n'entraînerait guère de changements de politique de la part des autres Etats nucléaires ou nourrissant des ambitions nucléaires.
Ainsi, la France ne peut vraiment espérer peser que si elle s'avance avec d'autres : l'Allemagne et le Royaume-Uni de « l'UE3 » dans la négociation avec l'Iran : ou encore à travers le Conseil de Sécurité de l'ONU.
Par contrepoint, il n'est pas recommandé de prendre à contretemps une position en franc-tireur qui ne sera pas partagée par nos partenaires.
Ensuite, en ayant eu raison sur l'Irak, la France a une liberté stratégique très grande pour fixer son positionnement face à l'Iran.
Enfin, et l'observation ne vaut naturellement pas seulement pour la France, l'efficacité de la politique (de négociation ou de coercition) vis-à-vis des ambitions nucléaires iraniennes dépendra en grande partie de la capacité à l'adosser à une communauté internationale qui s'intéressera autant, sinon davantage, à la politique à long terme dans le domaine nucléaire qu'au problème iranien immédiat. Des pays comme le Brésil et l'Afrique du Sud soutiendront l'Iran s'ils estiment que leurs propres droits dans le domaine nucléaire seraient mis en cause à travers des mesures du Conseil de Sécurité visant l'Iran ; et, à l'inverse, ils accepteront de telles mesures si elles s'inscrivent dans un ensemble ménageant leurs prérogatives notamment en matière d'accès au nucléaire civil.
Dans ces conditions, un nouveau quinquennat présidentiel pourrait mettre en œuvre une politique de non-prolifération qui se caractériserait par un changement substantiel.
Ce changement consistera à soutenir les propositions faites entre autres par le Secrétaire général de l'Agence internationale pour l'énergie atomique, en matière de maîtrise et d'internationalisation du cycle du combustible nucléaire. Cela passe par notamment deux types de mesures.
D'abord le moratoire pluriannuel sur la construction de nouvelles usines d'enrichissement de l'uranium et de retraitement du combustible irradié afin d'en extraire du plutonium. Une telle mesure universelle s'appliquerait entre autres à l'Iran. Ensuite, en mettant à profit les années du moratoire pour conduire la négociation correspondante, c'est la mise sous gestion internationale de centres régionaux d'enrichissement et de retraitement, ceux-ci se substituant dans la plénitude des temps aux capacités nationale.
Lors de la dernière conférence d'examen du TNP, en 2005, la France s'est opposée à tout moratoire, se retrouvant en la matière solidaire des Etats-Unis du Bush et des Mollahs iraniens, les apparentements dans le domaine nucléaire étant parfois étonnants. Pourtant, l'approche de M. El Baradei aurait l'immense avantage de traiter l'arrêt des activités iraniennes d'enrichissement et de retraitement dans un cadre non discriminatoire, susceptible de recueillir un large soutien international.
Il y a des raisons de poids au refus français : notre pays est le leader mondial en matière de fourniture des services du cycle du combustible nucléaire, notamment avec la société Areva, et proposer un arrêt à toute activité nouvelle pendant plusieurs années affecterait substantiellement nos intérêts économiques et notre position technologique. Pourtant, sans création d'un cadre non discriminatoire de traitement des problèmes d'enrichissement et de retraitement, nous peinerons à bâtir une coalition durable pouvant convaincre ou contraindre l'Iran – et d'autres Etats - à renoncer à enrichir de l'uranium ou extraire du plutonium à des fins nationales, le cas échéant militaires.
C'est bien un changement dans la hiérarchie de nos priorités qui est suggéré ici. Un signal dans ce sens pourrait être donné par le nouveau chef de l'Etat lors de son déplacement à New York, à l'occasion de l'ouverture de l'assemblée générale de l'ONU en septembre 2007.
Un tel virage de notre politique de non-prolifération pourrait aussi contribuer à donner corps à un objectif affiché de notre diplomatie, à savoir l'engagement de négociations visant à terme à soumettre la production mondiale de matières fissiles à un contrôle international spécifique et à interrompre toute production de matières fissiles de qualité militaire. Connue sous le nom de « cut-off », cette idée déjà ancienne reste le meilleur espoir pour mettre un jour sur pied un régime de non-prolifération dépassant le caractère intrinsèquement discriminatoire du TNP, qui donne un statut particulier aux cinq Etats nucléaires « officiels ». Cependant, l'entreprise est nécessairement complexe et à long terme.
L'élément de continuité amendée réside dans la manière d'approcher le défi iranien au Conseil de Sécurité. Aucune mesure politique ou économique envers l'Iran n'aurait de sens si elle n'est pas universelle : à l'ère de la mondialisation, seul le consensus de l'ensemble des pays donnera de l'efficacité à des sanctions financières diplomatiques ou commerciales.
Un quart de siècle de sanctions américaines montre les limites de ce que peut faire une superpuissance ; et même si l'Union européenne agissait dans le même sens, l'Iran trouverait en Asie orientale, en Russie et en Amérique du Sud des circuits de substitution. Aussi, point de salut hors du Conseil de Sécurité. Cela tombe bien pour la France, qui, à travers sa qualité de membre permanent mais aussi de membre de « l'UE3 » est au centre du jeu.
Reste à assurer la cohérence dans les actions diplomatiques dans la durée : la grande clarté de la position française, de l'automne 2003 à l'été 2005 dans l'affaire iranienne, a été parfois brouillée dans la période la plus récente par des positions successives moins linéaires. Il est vrai qu'il n'était pas facile de tenir la balance entre la raideur américaine, les sinusoïdes russes et la diplomatie aimable, peut-être trop aimable, de M. Solana parlant avec l'Iran au nom de l'Union européenne.
Il est possible malheureusement que l'Iran mette en 2007 ou en 2008 les bouchées doubles et son programme nucléaire débouchant sur l'échec de l'action du Conseil de Sécurité, amenant les Etats-Unis avec ou sans Israël) à conclure à la nécessité de l'action militaire.
Mieux vaut évidemment ne pas en arriver là. Raison de plus donc pour que la France renforce, avec ses partenaires, sa capacité de mobiliser le Conseil de Sécurité, en inscrivant son action diplomatique dans le cadre d'une politique générale de non-prolifération constructive et non discriminatoire.
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