Gallois, la gauche et la compétitivité edit

8 novembre 2012

Avec la publication  du rapport Gallois, François Hollande était confronté à un triple problème : que faire d’un rapport qui réfute la doxa socialiste sur les problèmes de compétitivité, quel parti en tirer en termes de politiques publiques, comment inscrire l’action nécessaire dans le contexte politique et économique dégradé de novembre 2012. Comment interpréter la réponse donnée à ces trois questions ?

Le premier problème était celui du diagnostic. Ce nième rapport ne valait donc pas par son contenu mais par son auteur et le public auquel il était destiné. L’auteur est une grande figure de la gauche gestionnaire : militant chevènementiste, haut fonctionnaire, industriel, il a le mérite de pouvoir parler à la gauche de compétitivité sans être immédiatement disqualifié. Sa mission était donc pédagogique : les entreprises françaises ont des coûts trop élevés pour les produits de moyenne gamme qu’elles vendent (compétitivité coût) ce qui déprime leurs marges et leur interdit d’investir dans la montée en gamme. Ou, dit autrement, les entreprises françaises ne vendent pas suffisamment de produits haut de gamme (compétitivité hors-coût) pour amortir les coûts qu’elles supportent… ce qui revient au même.

Le deuxième problème était celui des solutions. Là aussi, le sujet avait été extensivement traité par nombre de commissions et donné lieu aux mêmes recommandations. Pour l’essentiel un accord s’est formé au cours du temps sur les deux volets de l’action nécessaire. Le premier vise à traiter la question de la montée en gamme dans une perspective de moyen/long terme. Pour atteindre cet objectif des actions de longue haleine doivent être menées en matière de formation, de recherche, de gouvernance, d’exportation, de solidarité entre grandes et petites entreprises et de refondation du contrat social. Ce volet a aujourd’hui un nom, celui de « pacte de compétitivité ». Mais, pour la plupart des experts, ce volet de long terme est insuffisant car la désindustrialisation s’est accélérée au cours des dix dernières années : il fallait donc un choc d’offre. Ce choc d’offre ou de compétitivité consistait en un transfert immédiat et inconditionnel des charges sociales non contributives (comme par exemple les cotisations patronales assises sur le travail qui financent la politique familiale) vers un impôt universel à assiette large comme la CSG, la TVA ou une fiscalité écologique à créer. Il y a toutefois un bénéfice supplémentaire à cette double action. S’attaquer à l’érosion continue de la compétitivité, c’est remettre à niveau la machine à créer des richesses mais c’est aussi commencer à s’attaquer aux rigidités qui ont rendu impossibles jusqu’ici les adaptations aux chocs de la mondialisation, de l’intégration européenne et du vieillissement de la population. Bref c’est mener les réformes structurelles nécessaires avant qu’elles ne nous soient imposées par l’UE ou le FMI. Il y a du reste une coïncidence troublante entre le moment où le rapport Gallois est publié et le moment où le FMI, l’UE et nombre de responsables allemands s’interrogent sur l’agenda de réformes du nouveau gouvernement.

Le troisième problème était celui du moment de l’action. On peut estimer qu’il y a problème, on peut même être d’accord sur la solution et pour autant différer l’action parce que la conjoncture le commande. Est-il opportun d’augmenter les taxes qui pèsent sur les ménages quand l’économie est en récession, que le pouvoir d’achat des ménages stagne ou décroche, que la consommation donne des signes de faiblesse ? On peut certes attendre des effets positifs de l’allègement des charges sur les entreprises, elles peuvent en transférer le bénéfice au marché à travers les baisses de prix, ce qui a un double effet vertueux : augmenter le pouvoir d’achat des ménages et favoriser l’arbitrage en faveur des produits made in France. Mais cet effet est par définition différé alors que l’urgence peut commander de soutenir la consommation à court terme. L’enjeu du calendrier est d’autant plus important que l’action du gouvernement est ancrée dans le respect en 2013 des objectifs de croissance (0,8%) et de réduction des déficits de finances publiques  (3%).

Comment donc envoyer des signaux aux marchés au FMI et à l’UE sur la détermination française à engager les réformes structurelles ?


La réponse apportée à ces trois questions a été politique : le principe du choc d’offre est retenu, mais son application est différée et fragmentée. Le transfert des charges patronales vers une assiette fiscale autre que le travail est retenu, mais c’est l’impôt sur les sociétés qui sera réduit. Quant au recours à la TVA, il se fait sur un mode mineur pour écarter la CSG.

La portée du choc de compétitivité sera donc limitée. Les montants en cause (20 milliards au lieu de 30 à 50), le calendrier (étalé sur trois ans et non immédiat) et les modalités (conditionnalité réelle ou pas) en témoignent. De même, les 10 milliards de baisse de dépenses publiques ne sont guère détaillés alors qu’il faudra sans doute s’engager dans la réforme du mille-feuille territorial, des dépenses de santé et des multiples organismes publics qui ont proliféré. Mais, là n’est pas le plus important : le gouvernement s’engage à réduire la dépense publique et à inverser le cours de la taxation des entreprises. Ainsi, deux mois après un choc fiscal violent essentiellement supporté par les entreprises et les épargnants et justifié par la volonté de préserver la consommation en surtaxant l’épargne oisive, le gouvernement change de direction et reconnaît que la priorité est à la baisse de la dépense publique et à la restauration des marges des entreprises. Ce message devrait être entendu par le FMI, les marchés et l’UE.

Le dispositif de transferts de charges est illisible et comporte des incertitudes majeures. En outre, il contribue à différer la réforme tant attendue de la protection sociale. Mais là aussi, le gouvernement achète du temps. Comme il n’entend pas affaiblir la demande aujourd’hui en augmentant la CSG ou la TVA immédiatement, il invente un dispositif qui renvoie pour l’essentiel les nouveaux prélèvements et les nouvelles coupes budgétaires à 2013/14/15, c’est-à-dire au moment de la reprise économique tant désirée devrait se manifester, faute de quoi les instruments de la baisse de la dépense publique seront déjà en place et pourront être davantage sollicités.

Enfin le recours à la TVA est un choix par défaut. Cet impôt paré de tous les vices pendant la campagne, cet impôt scélérat pour les consommateurs, adopté par Sarkozy puis annulé par Hollande en octobre, est partiellement  rétabli car les choix alternatifs étaient encore moins attractifs. La CSG étant inutilisable après le choc fiscal imposé aux revenus du capital et la nécessité de préserver l’outil pour le financement de la dépendance, il ne restait que la TVA. La seule concession qui est faite aux credo passés réside dans le recours limité au taux central de TVA qui passe de 19,6 à 20% cependant que la niche « Restauration » est attaquée et que le taux social est abaissé de 5,5 à 5%.

Au total, le gouvernement amorce bien un tournant. Il programme des réformes structurelles de la dépense publique avant que le FMI et l’UE ne les lui  imposent. Il essaie de remédier à l’effondrement de la compétitivité de France SA en initiant un transfert de charges des ménages vers les entreprises malgré les états d’âme de sa base parlementaire. Il se met en situation de plaider, le moment venu, à Bruxelles son comportement vertueux en cas de non-respect de la règle du 3%. Ainsi en six mois, le gouvernement socialiste aura prouvé que décidément les programmes sur lesquels on se fait élire ne sont pas ceux qu’on met en œuvre pour durer et régler les problèmes du monde réel.