Choc de compétitivité ou de complexité? edit

16 octobre 2013

Le CICE était censé stimuler la compétitivité des entreprises françaises, notamment industrielles et exportatrices. Le diagnostic établi par Louis Gallois était imparable : pour innover, exporter et investir, il fallait rétablir les marges des entreprises et donc alléger le coût du travail par un transfert des charges sociales patronales vers une assiette de taxation plus large comme la CSG ou la TVA.

À l’arrivée le CICE n’annule pas les hausses d’impôt décidées en 2011/2013 (30 milliards d’euros de mesures nouvelles), manque partiellement son objectif de promotion de l’industrie à cause des salaires pris en compte (entre 1 et 2,5 fois le SMIC) et n’évite pas la création d’un impôt nouveau, la surtaxe sur l’IS comme substitut à la taxe sur l’excédent brut d’exploitation. Ainsi plus une entreprise innove, investit et rémunère bien ses salariés et plus sa taxation est relativement alourdie. Une mesure qui devait traiter la question de la compétitivité aggrave le problème puisqu’elle désincite à la montée en gamme et qu’elle ne contribue que faiblement à la baisse des coûts.

Enfin, présenté comme simple et d’effet immédiat, le CICE se transforme par sa complexité pratique en arme de désincitation massive pour PME. Comment le carosse a-t-il été transformé en citrouille ? Le récit mérite d’être conté.

Au départ il y a la volonté dans l’équipe de campagne de François Hollande de trouver une mesure simple, ciblée sur le secteur exposé et sur l’industrie, permettant de mettre en œuvre une stratégie de réindustrialisation. La baisse des charges patronales compensée par la TVA sociale ayant été écartée car décidée dans les derniers jours du quinquennat Sarkozy, les conseillers de Hollande s’orientent vers une mesure d’élargissement des baisses de charge pour les salaires compris entre 1,6 et 3,5 SMIC. L’idée est qu’une telle mesure, même si elle n’est pas ciblée sur l’industrie, permet d’alléger sensiblement le coût des emplois qualifiés de l’industrie. Elle rompt, en tous cas, avec la préférence pour l’exonération de charges des emplois non qualifiés.

Parvenu au pouvoir François Hollande entame sa séquence de redressement budgétaire en taxant très lourdement les entreprises et les ménages et, conformément à son engagement, il abolit la TVA sociale. La réaction des « pigeons » donne d’emblée une coloration très anti-entreprises à l’action du Président, alors que le « pacte productif » était au cœur de son programme et qu’il entendait mener une politique dynamique en faveur des entreprises innovantes et exportatrices.

Il décide donc en catastrophe de faire de la compétitivité l’axe majeur de sa politique et adopte l’essentiel des recommandations du rapport Gallois. Le CICE est la mesure emblématique de cette nouvelle politique. Pour l’imposer le président doit mener trois combats qui vont dénaturer le projet initial. L’absence de moyens budgétaires dans un contexte récessif oblige le gouvernement à inventer une technique de préfinancement du CICE par la BPI qui permet de séparer le moment de la mise en œuvre (2013) du moment de la constatation de la charge (2014). Le calibrage de la mesure par Bercy conduit ensuite à dénaturer le projet puisque les salaires pris en compte ne vont que jusqu’à 2,5 SMIC, ce qui revient à étendre la politique d’exonérations pour les emplois peu ou moyennement qualifiés, au lieu d’inaugurer une politique de baisse de charges pour les emplois les plus qualifiés. Le troisième combat est livré et gagné contre le groupe parlementaire socialiste, hostile à toute mesure favorable aux entreprises, et donc aux patrons. Les députés du PS entendaient introduire une conditionnalité en termes d’emploi et d’investissement à l’octroi du CICE.

Pour financer le CICE, le gouvernement décide de trouver des ressources nouvelles par l’impôt et de moindres dépenses. L’hypothèse CSG ayant été écartée car devant être sollicitée pour financer de nouvelles dépenses sociales (retraites, dépendance…), le gouvernement se tourne vers la TVA sociale qu’il venait d’écarter et vers la taxe carbone, autre idée sarkozyste, qui avait été invalidée par le Conseil constitutionnel.

La mise en œuvre du CICE révèle très rapidement que l’industrie ne récupère qu’un cinquième des fonds prévus, que les grands bénéficiaires sont des entreprises publiques du secteur abrité comme la Poste ou la SNCF, et que les PME rejettent le dispositif du fait de sa complexité.

Arrêtons-nous un instant sur ces PME qui, après avoir tenté de bénéficier de la procédure de préfinancement du CICE, y ont renoncé. Alors qu’elles subissaient de plein fouet la montée des nouveaux prélèvements fiscaux et sociaux, les PME devaient pour accéder à ce préfinancement : 1) déterminer elles-mêmes les bases du CICE sur la base d’instructions complexes ; 2) les faire valider par leurs comptables ; 3) les faire certifier par les services fiscaux ; 4) les soumettre à leur banque et à la BPI, qui se renvoient les documents et les responsabilités ; 5) en cas de préfinancement, accepter de recommencer ces opérations pour la liquidation finale en 2014.

Enfin pendant que les entreprises continuent à affronter un environnement peu porteur, Bercy toujours en quête de nouvelles ressources fiscales, invente la taxe sur l’EBE à hauteur de 2,5 milliard d’euros, soit pour cette seule mesure plus que les préfinancements du CICE à ce jour et le quart du total du coût du CICE pour 2014. La violence des réactions suscitée par ce projet conduira le gouvernement à le retirer au profit d’une surtaxe sur l’IS qui en fait monter le taux à près de 40%.

Le CICE offre un cas chimiquement pur des ressorts de l’impuissance publique par incohérence des choix publics (taxer massivement et détaxer partiellement, en même temps, le même public), dilution de la volonté politique (sous couvert de contraintes budgétaires, Bercy promeut sa politique de soutien au travail peu qualifié), obsession du contrôle et de la conformité des procédures (les visas à obtenir pour être éligible au pré-financement), délégitimation d’une politique par ceux qui sont censés la défendre (les parlementaires socialistes). Parions qu’une nouvelle procédure viendra compléter/remettre en cause le CICE introduisant ainsi un élément supplémentaire d’instabilité de la règle !