Diversité : retour sur un fiasco politique edit

21 novembre 2010

Après Rachida Dati l’an passé, c’est au tour de Fadela Amara et de Rama Yade de quitter le gouvernement. Trois figures de la diversité portées au pinacle par les médias se trouvent ainsi évincées du pouvoir. Or curieusement, ces départs qui sonnent comme un formidable échec n’ont donné lieu à aucune interprétation politique globale. Il faut pourtant essayer d’en trouver.

Première interprétation : la diversité n’aurait été qu’un gadget politique au même titre que l’ouverture dont elle était en quelque sorte le sous-produit. Nicolas Sarkozy aurait décidé d’y mettre un terme au moment où il s’efforce de ressouder une équipe gouvernementale sur des bases plus droitières. Naturellement, comme toutes les interprétations celle-ci comporte un élément de vérité. Mais elle n’est pas en soi totalement convaincante. Nul doute qu’en nommant trois femmes issues de la diversité à des postes de responsabilité, Nicolas Sarkozy cherchait à faire un coup politique. Mais ce coup a été très bien perçu par l’opinion y compris par la gauche interloquée par tant d’audace, une audace dont elle n’avait guère su faire preuve lorsqu’elle était aux affaires. De surcroît, nommer à un poste aussi important que celui de Garde des Sceaux une personnalité de la diversité sans expérience politique relevait non pas du coup politique mais du pari. Certes, les arrière-pensées étaient nombreuses. La Garde des Sceaux n’avait aucune marge d’action. Sa docilité politique était donc assurée. De surcroît en procédant à une telle nomination Nicolas Sarkozy adressait un double message aux populations des banlieues : je sais que vous n’avez pas voté pour moi, mais je ne suis pas contre vous puisque je promeus une des vôtres à un poste important. Ce qui veut aussi dire que lorsqu’elle pourra prendra des mesures répressives celles-ci devront vous apparaître comme légitimes. Ce dernier point avait d’ailleurs explicitement été mentionné par le Président de la République lors de sa première intervention télévisée en 2007. En jouant la carte de la diversité, Nicolas Sarkozy a non seulement cherché à surprendre mais également à élargir sa base politique au détriment de la gauche. Si c’était un coup il avait à la fois sa cohérence et son importance.

Deuxième interprétation : l’échec de ces personnalités s’explique par leur inexpérience politique et non par leur origine. Deux d’entre elles étaient dans la mouvance associative tandis que la troisième était fonctionnaire au Sénat. Mais aucune d’entre elles n’avait eu une réelle expérience d’élue locale, régionale ou nationale. Le résultat est qu’au moins deux d’entre elles (Dati, Amara) ont entretenu des rapports détestables avec leurs administrations respectives entraînant d’ailleurs dans leurs cabinets des démissions en chaîne inconnues jusque-là. Le résultat est que, très vite, elles ont été neutralisées ou marginalisées. Rachida Dati a été placée sous tutelle du conseiller justice de l’Élysée qui prenait toutes les décisions et traitait directement avec la chancellerie par-delà la ministre. Fadela Amara a été pour sa part neutralisée par Matignon qui ne voulait pas entendre d’un nouveau Plan banlieues. Quant à Rama Yade elle a purement et simplement été dépossédée de tous les dossiers significatifs dans les deux postes ministériels qu’elle a occupés. Au moment de la débâcle des Bleus en Afrique du Sud, c’est sa ministre de tutelle qui s’est mise en avant en l’évinçant de la gestion du dossier.

Face à l’étau politique qui se resserrait sur elles, il est frappant de voir que toutes ont adopté la même stratégie : la surexposition médiatique au détriment du travail politique. Rachida Dati et Rama Yade ont exprimé jusqu’à la caricature la volonté de se surexposer dans les médias pour se protéger contre les assauts d’une classe politique qui dans les faits les rejetait soit parce qu’elles apparaissaient professionnellement peu compétentes, ce que même des députés de gauche pétris de bonne conscience ont fini par admettre (Dati), soit parce qu’elles étaient incapables de respecter les codes politiques les plus élémentaires. Le cas le plus surprenant étant celui de Fadela Amara indiquant qu’elle ne voterait pas pour Nicolas Sarkozy en 2012 – même si c’est François Fillon qui était le plus désireux de s’en débarrasser ! Reste à savoir pourquoi toutes ont choisi la voie de la surexposition médiatique au lieu de profiter de leurs fonctions pour se construire une véritable base politique. Très probablement parce qu’elles voyaient dans les médias la seule arme dont elle disposaient pour exister. Certes, Rachida Dati était élue du septième arrondissement. Mais il n’échappera à personne que ce n’est pas dans cet arrondissement le plus à droite de France et sociologiquement le plus éloigné des banlieues qu’un ministre de la diversité pouvait réellement se construire une base politique. Rachida Dati a été parachutée dans le septième arrondissement tout simplement parce qu’il s’agissait du seul arrondissement où elle était à peu près sûre de se faire élire sans risque. Rama Yade a choisi elle une implantation en adéquation avec la ville où elle avait vécu. Mais sa présence au gouvernement n’a eu aucun impact politique puisque tant au moment des municipales que des régionales les listes UMP sur lesquelles elle figurait ont été battues. La capacité des ministres de la diversité à canaliser les bataillons de cette diversité vers l’UMP reste à démontrer. Fadela Amara qui parmi ces trois femmes issues de la diversité était la plus proche sociologiquement des banlieues a décliné le combat électoral. S’il fallait donc tirer un bilan de cet échec il faudrait le trouver dans l’incapacité de ces personnalités à se doter d’une légitimité politique propre.

Reste une dernière question. Pourquoi ces personnalités si à l’aise dans les médias l’ont-elles été beaucoup moins sur le terrain strictement politique ? À cette question importante il n’y a pas de réponse claire même si l’on connaît de nombreux précédents : Kouchner a toujours été très populaire dans l’opinion mais beaucoup moins dans l’isoloir. Il n’est donc pas impossible que ces personnalités propulsées au premier rang ont d’abord cherché à exister individuellement soit parce qu’elles étaient fascinées par leur propre destinée, soit parce qu’elles étaient d’une certaine manière conscientes de la fragilité de leur situation, fragilité qu’elles ont cherché à compenser par une surexposition médiatique, soit parce qu’elles ne voulaient en aucun cas se laisser enfermer dans la diversité sans trouver de moyens d’en sortir. Mais indépendamment des performances des unes et des autres, force est de constater que la capacité de ces personnalités à s’implanter politiquement pose un problème politique dans un pays où aucun élu de la diversité n’est à ce jour parvenu à se faire élire autrement que sur un scrutin de liste. C’est là une conclusion bien inquiétante, qui n’est compensée que par une autre leçon : malgré tout ce qui se dit sur le pouvoir exorbitant des médias, l’éviction politique d’une Rama Yade souligne en définitive la valeur dérisoire de la notoriété médiatique dans le combat politique.