SDF: deux recommandations edit

29 janvier 2019

Au retour de l’hiver et du froid revient systématiquement la question des SDF. Afin d’en finir avec les impasses d’une certaine politique nationale dite « du thermomètre », qui montre chaque année davantage ses limites, deux recommandations sont versées au débat. D’abord, décentraliser les moyens et obligations de l’action publique. Ensuite, s’interdire qu’une personne puisse dormir et s’abîmer dehors.

Pour « traiter » la question SDF, il est nécessaire de distinguer deux problèmes : celui du mal-logement et celui des personnes à la rue depuis longtemps. Le premier concerne un nombre très important de ménages dans des situations très différentes (3 à 4 millions de personnes). Le second ne concerne, chaque jour, que quelques milliers de personnes dans les grandes villes.

Les experts, avec un vocabulaire INSEE, distinguent les « sans domicile », à la rue et dans les centres d’hébergement ou les logements spécialisés. Parmi eux, les « sans-abri » vivent dans l’espace public et s’abritent dans des endroits impropres à l’habitat.

Avant toute recommandation spécifique, il importe de rappeler que la question SDF constitue la face visible de tendances lourdes plus générales. Le phénomène est à la fois un concentré de tous les autres problèmes sociaux (chômage, transformations des inégalités et de la pauvreté, évolutions de la famille, contraintes des marchés du logement) et un précipité des difficultés de l’action publique (tant pour ce qui concerne les politiques sociales que les politiques d’urbanisme ou encore d’asile et d’immigration).

Afin de progresser en matière de prise en charge des SDF, les mesures paramétriques ne suffisent pas. Il faut, au moins pour le débat, des propositions structurelles. On en propose ici deux, résolument volontaristes. Le changement ne passera pas par le consensus absolu, mais d’abord par des débats sérieux sur des options neuves.

Décentraliser les moyens et les responsabilités

Une première recommandation consiste en une transformation radicale : lancer, en France, la décentralisation de la politique de prise en charge des sans-abri. Il serait souhaitable, en effet, que cette politique suive les mouvements généraux de réforme de l’État et de l’action sociale.

Il se trouve, par ailleurs, que dans la plupart des pays occidentaux, l’action publique en direction des sans-abri s’avère bien plus locale que nationale. Les statistiques concernant les demandes et offres de réponses, les moyens financiers, les discussions politiques, sont à San Diego, Madrid, Bruxelles, Londres ou Montréal, d’abord des thèmes municipaux.

Il serait particulièrement bienvenu, en France, que moyens et responsabilités soient pleinement décentralisés à l’échelle des grandes villes, c’est-à-dire des grandes intercommunalités et des métropoles. C’est à ce niveau que peuvent véritablement s’organiser des capacités d’action intégrée, pour évaluer les besoins et les progrès, mettre en commun les moyens, rendre des comptes. Pour cela, il faut accepter de transférer des ressources et des compétences. À Paris en particulier, la Préfecture de police devrait voir une partie de ses attributions conférées à la ville. Partout, les opérateurs de la prise en charge des SDF travailleront mieux s’ils n’ont qu’une instance, la ville, auprès de qui solliciter des soutiens et de qui attendre des demandes et parfois des critiques.

La perspective de réforme butte sur des oppositions de principe du côté de l’État, en tant que supposé garant de la cohésion nationale, mais aussi sur des oppositions pratiques du côté des élus locaux, qui réalisent combien l’attribution d’une telle mission pèserait sur leurs obligations et surtout sur les comptes à rendre devant leurs électeurs.

S’interdire qu’une personne puisse dormir dehors

Une deuxième recommandation porte sur les personnes à la rue refusant la prise en charge. Elle affiche une obligation collective : s’interdire qu’une personne puisse dormir dehors. L’orientation n’exige pas de dispositions liberticides et hygiénistes. Cependant, la question de l’emploi de mesures contraignantes pour aider des personnes se trouvant en danger et refusant toute assistance est posée. Mais quels leviers juridiques utiliser ? Certains plaident pour la non-assistance à personne en danger, au risque peut-être d’abus liés à des hébergements forcés. D’autres avancent la possibilité de faire valoir des demandes d’hospitalisation d’office pour des personnes dont l’état de santé psychique est manifestement très dégradé.

La législation pose le consentement aux soins comme une condition indispensable de toute prise en charge thérapeutique. Elle prévoit aussi, dans le cas de troubles sévères où la conscience du trouble ou du besoin de soins peut être altérée, un recours sans consentement afin de prévenir le préjudice pour le patient, voire pour la société. L’état de santé doit compromettre la sûreté des personnes (y compris celle de l’individu concerné) ou gravement l’ordre public. En cas de « danger imminent pour la sûreté des personnes, attesté par un avis médical ou, à défaut, par la notoriété publique », une procédure d’urgence peut être engagée par le maire ou, à Paris, par les commissaires de police. L’administration de ces soins sous contrainte prévoit l’intervention systématique d’un juge des libertés et de la détention (JLD).

La mise en danger personnelle des sans-abri qui dorment dans la rue et repoussent les offres de prise en charge relève de risques vitaux non seulement en hiver, quand ils peuvent connaître des hypothermies, mais également sur l’ensemble de l’année durant laquelle ils peuvent être victimes de violences multiples. Une interdiction de dormir dans la rue – assortie d’une obligation d’accepter d’être mis à l’abri – doit donc être mise en œuvre en toute saison.

Certes, on pourrait considérer une telle interdiction comme une forme de limitation partielle des libertés individuelles, de l’autonomie personnelle et du droit à disposer de soi. Il semble cependant légitime d’intervenir pour protéger les individus, y compris parfois contre leur gré. De surcroît, des obligations de sécurité et de salubrité pèsent sur les municipalités comme sur tous leurs habitants, sans-abri ou non. L’ensemble est placé sous le contrôle du juge.

Plus généralement, il ne s’agit pas tant de mettre en œuvre des dispositions spécialement contraignantes pour les sans-abri, mais plutôt de faire respecter par tout le monde, y compris ces derniers, des obligations et interdictions régissant l’espace public. Nombre d’occupations et d’incivilités sont tolérées pour les SDF mais leurs conséquences deviennent intolérables pour chacun. Les odeurs d’urine et la présence de souillures doivent être impérativement combattues, sans ciblage sur des populations particulières, mais d’abord avec le développement d’une offre suffisante de services, rationalisée et adaptée, offerte à tous. En humanisant l’espace public pour tous, il devient loisible d’y faire respecter plus strictement les règles. Ivresse, insultes et comportements menaçants n’y ont pas leur place.

Personne ne doit être à la rue. Et personne ne doit subir les conséquences du fait d’être à la rue. Il en va de la dignité de tous.