Radioscopie des enseignants edit

3 septembre 2019

La rentrée scolaire se profile et les syndicats enseignants montrent déjà les dents. Le SNES, syndicat majoritaire, qui voue aux gémonies la réforme du lycée de Jean-Michel Blanquer, promet, malgré l’échec du mouvement du printemps de boycott du bac, deux semaines de grève dès la rentrée. En réalité, ces protestations et ces mouvements sont l’écume (politique) des choses et laissent dans l’ombre les questions-clefs auxquelles est confronté le système éducatif français. Les études approfondies de l’OCDE nous rappellent périodiquement ces faits et les traits saillants des difficultés françaises lorsqu’on compare notre système éducatif à ceux des autres pays de l’OCDE. La dernière en date, l’enquête TALIS[1], une enquête de grande ampleur menée auprès de 260 000 enseignants de collège ainsi que de chefs d’établissements dans 50 pays, offre un tableau éclairant de ces difficultés spécifiques. Elles tiennent principalement à deux caractéristiques du paysage éducatif hexagonal : la particularité assez marquée du public scolaire accueilli et l’inadaptation, au regard de ces particularités, de la formation et des méthodes d’enseignement à la française.

Un public scolaire français plus hétérogène

L’OCDE constate d’abord dans son enquête que les enseignants français sont plus souvent en présence que leurs homologues étrangers de profils scolaires diversifiés tant sur le plan du milieu social, que de l’origine ou du contexte linguistique. 42% des enseignants français travaillent ainsi dans des collèges où au moins 30% des élèves viennent de milieux sociaux désavantagés (20% dans l’OCDE) ; 32% exercent dans des établissements où au moins 10% des élèves sont issus de l’immigration (17% dans l’OCDE), l’écart étant particulièrement marqué sur ce critère. Cette spécificité peut tenir à une ségrégation plus forte de ces populations dans certaines zones du territoire (et par conséquent dans les établissements qui y sont implantés) ou à une plus forte présence de ces populations dans notre pays. Prudemment la rédactrice du rapport ne tranche pas entre ces deux options (qui ne sont d’ailleurs pas incompatibles). Dans l’enquête que nous avions nous-mêmes menée sur la radicalité dans les lycées (La tentation radicale), nous avions constaté à quel point certains établissements concentraient des élèves de milieu populaire et d’origine étrangère : dans 8 établissements enquêtés (sur 23) le % d’élèves d’origine ouvrière dépassait 60% et dans 7 d’entre eux le % d’élèves d’origine étrangère (nés à l’étranger ou ayant un parent né à l’étranger) dépassait également 60%.

L’OCDE constate également que les enseignants français travaillent plus souvent dans des classes comprenant des élèves « désavantagés mentalement, physiquement ou émotionnellement » (40% dans des classes comprenant au moins 10% de ce type d’élèves contre 27% dans l’OCDE). Bref, il semble que les enseignants français soient confrontés à un public scolaire en moyenne plus difficile que leurs homologues de l’OCDE. Cela rend l’exercice du métier également plus difficile s’il y a par exemple un assez grand nombre d’élèves rencontrant des difficultés cognitives ou d’élèves issus d’un univers culturel ou linguistique différent (16% des enseignants travaillent avec des élèves dont la première langue n’est pas la langue d’enseignement).

L’enquête de l’OCDE montre en outre que le climat scolaire est moins favorable aux apprentissages en France que dans le reste de l’OCDE. Certes, globalement les relations entre professeurs et élèves sont plutôt positives (94% des enseignants le pensent), mais il y a néanmoins de gros points noirs. Ainsi, 27% des chefs d’établissements signalent des actes réguliers d’intimidation ou de harcèlement parmi leurs élèves (presque le double de la moyenne de l’OCDE, 14%), et les enseignants passent significativement plus de temps au maintien de l’ordre dans leur classe en France (17% contre 13% dans l’OCDE), 35% d’entre eux signalant des problèmes de discipline en classe. Cela a pour conséquence que les enseignants français consacrent moins de temps dans leur classe à l’enseignement et aux apprentissages que dans le reste de l’OCDE.

Ce sont surtout les enseignants débutants qui sont confrontés à ces difficultés, mais ce handicap des enseignants débutants est nettement plus marqué en France que dans le reste de l’OCDE : 76% des enseignants français ayant plus de 5 ans d’ancienneté disent parvenir à contrôler les comportements perturbateurs en classe, mais seulement 58% des enseignants ayant 5 ans ou moins d’ancienneté, soit 18 points d’écart (les % sont respectivement de 87% et 78% dans l’OCDE). La raison principale de ces difficultés plus marquées des enseignants débutants à contrôler leur classe en France est bien connue : elle tient au mode de classement des choix d’affectation qui repose principalement sur l’ancienneté. En France, les enseignants confirmés échappent ainsi en grande partie aux classes difficiles. On conçoit assez facilement la perte d’efficacité globale du système qui en résulte, ainsi que le déficit qu’il occasionne en termes d’équité scolaire.

Une autre raison peut l’expliquer : la formation que reçoivent les enseignants les prépare-t-elle correctement à entrer en relation avec le public scolaire et à délivrer leur enseignement dans de bonnes conditions pédagogiques ? La réponse concernant la France n’est malheureusement pas positive.

Des enseignants moins systématiquement formés sur le plan pédagogique

Le tableau ci-dessous synthétise quelques résultats montrant le retard français en matière de formation pédagogique, de gestion des classes et de savoir-faire concernant le comportement des élèves et de méthodes pédagogiques transversales.

Il resterait bien sûr à évaluer également la qualité de la formation reçue dans ces domaines, ce que ne permet pas l’enquête de l’OCDE. En tout cas, seuls 22% des professeurs français se sentent bien ou très bien préparés à l’issue de leur formation initiale à la gestion des comportements des élèves et de la classe. Il faut noter également que la France se distingue par une approche « consécutive » de la formation des professeurs, c’est-à-dire une approche en deux phases distinctes, une première de nature universitaire consacrée à l’apprentissage de la discipline et une seconde plus axée sur la pédagogie et les stages pratiques. On peut penser qu’il serait plus efficace, comme le font la plupart des autres pays, de mêler les deux types de formation de façon à ce que l’aspect pédagogique et l’aspect disciplinaire soient étroitement associés.

Un autre résultat frappant montre l’isolement des enseignants lorsqu’ils rejoignent leur établissement : seuls 17% des enseignants français disent avoir reçu une initiation formelle ou informelle à ce moment crucial du début de leur activité, contre 42% pour l’ensemble des pays de l’OCDE.

Quelques lueurs d’espoir…

L’enquête de l’OCDE livre malgré tout quelques résultats plus encourageants. Tout d’abord, contrairement à une idée reçue, les enseignants français sont motivés pour exercer leur métier. Ils ne le font pas principalement pour la sécurité de l’emploi (même si c’est un aspect qu’ils apprécient), mais bien parce que c’était leur premier choix de carrière (69% le disent, 67% OCDE). Ils ne l’exercent pas non plus de manière instrumentale mais bien pour apporter une contribution positive à la formation des enfants (92%) et plus généralement à la société (83%).

Par ailleurs, lorsqu’on consulte plus en détail les données de l’enquête TALIS, on constate que la formation des plus jeunes enseignants s’est rapprochée de ce qui se pratique dans les autres pays de l’OCDE, avec notamment une part plus importante consacrée à la formation pédagogique. Par exemple, 66% des enseignants français ayant reçu leur formation dans les 5 années précédant l’enquête TALIS ont été formés à la gestion du comportement des élèves et de la classe (ils n’étaient que 55% pour l’ensemble des enseignants français). Le ministre actuel a bien conscience du retard pris par la France en matière de formation initiale et continue des enseignants et a ouvert le chantier. C’est un enjeu considérable pour la réussite des élèves et l’équité du système.

 

[1] La note concernant la France est consultable à l’adresse : https://www.oecd.org/education/talis/TALIS2018_CN_FRA_fr.pdf