Sarkozy et la télévision publique edit
Sur l'audiovisuel, le président est pour le moment un grand réformateur en sursis. La suppression annoncée de la publicité sur les chaînes publiques aura-t-elle lieu ? Pour s'en faire une idée, il faut se glisser derrière le rideau de la Commission Copé.
Au départ, une suggestion jaillie lors d'une conversation avec Alain Minc, supprimer la publicité sur les chaînes publiques de télévision. Aussitôt envisagée, cette idée généreuse se meut en décision.
Ce projet, illuminé par l'éclat d'une " politique de civilisation " annoncée, éclipse tous les autres propos de la conférence de presse de Nicolas Sarkozy du 8 janvier 2008. Un happening comme le président les affectionne : l'intelligentsia est médusée, car cette idée est défendue depuis des décennies par la fraction la plus " cultureuse " des créateurs audiovisuels. Comment réagir ? La gauche proteste contre ce cadeau aux chaînes privées. Les milieux audiovisuels et artistiques hésitent entre indignation et perplexité sur le " comment faire". Les parlementaires de droite s'inquiètent des conséquences budgétaires. Dépasser la gauche sur sa gauche est à l'évidence jubilatoire, mais la saveur d'une telle pirouette n'a duré que cinq minutes. Le gouvernement est au pied du mur. On crée alors une commission.
Le 19 février, Nicolas Sarkozy installe la commission Copé, assemblée bipartite de parlementaires et professionnels de l'audiovisuel. Celle-ci ouvre grand son périmètre d'action et ambitionne de revoir de fond en comble les diverses dimensions de la télévision publique, une initiative bienvenue pour s'accorder à la révolution d'internet. Elle multiplie les auditions et compose des " ateliers ". Elle rend un rapport d'étape le 16 avril : défi, mutation, adaptation du modèle culturel, global-média... les allégories sur le projet fusent, mais, sur le financement, presque rien.
L'absence de perspectives, même esquissées, sur les moyens de combler les 850 millions de recettes manquantes, auxquelles s'ajoutent les millions pour remplacer, par des programmes, les espaces publicitaires disparus, laisse augurer le pire. Quel mathématicien inspiré pourrait résoudre une telle équation ? Le périmètre du service public doit demeurer intact, on envisage même de développer les supports sur lesquels circuleront les programmes, il est hors de question de relever la redevance, la compensation à la suppression de la pub doit être intégrale (un régime de progressivité avant disparition totale est toutefois envisagé jusqu'en 2011). Sans oublier ce petit codicille : les caisses de l'Etat sont vides. Le dossier patine, le doute s'installe.
On peut s'étonner que, parmi les professionnels de la commission, les producteurs se taillent la part du lion - on ne repère aucun journaliste d'une grande rédaction, par exemple, alors que l'information est un élément crucial de la télévision publique. C'est oublier les coulisses.
Derrière le rideau de la Commission Copé se joue en fait une dramaturgie aux rouages bien rôdés. La réglementation qui encadre l'audiovisuel résulte d'un savant équilibre entre les visées économiques et culturelles des diffuseurs et celles des producteurs. La politique audiovisuelle, plus encore que dans d'autres secteurs, est cogérée entre l'Etat et ces différents acteurs. Mais la puissance publique a surtout pour tâche de rééquilibrer les règles au profit de la myriade de producteurs indépendants forcément mal armés face à l'oligopole des chaînes.
Ainsi, les diffuseurs doivent contribuer à la production d'œuvres audiovisuelles nationales ou européennes, par un empilement d'obligations. Des batailles homériques ont eu lieu au cours des vingt dernières années sur les montants d'investissements obligatoires, sur la durée et la répartition des droits, et sur des questions de définition (l'œuvre audiovisuelle, la production indépendante, etc.). Lors de la révision de la loi audiovisuelle en 2000, les producteurs ont obtenu des avancées significatives sur la détention des droits, qu'ils peuvent maintenant conserver intégralement. Négociés à un moment où les profits des grands diffuseurs hertziens privés étaient à leur zénith, ces avantages sont aujourd'hui remis en question par ces derniers, la période se révélant moins faste en raison de la concurrence des chaînes de la TNT et d'Internet.
Depuis l'automne 2007, une autre Commission, dirigée par David Kessler et Dominique Richard, est chargée de faire évoluer les décrets Tasca, bible réglementaire du secteur audiovisuel. La Commission Copé siège donc à un moment de tensions exacerbées entre diffuseurs commerciaux et producteurs. A un moment aussi où les milieux artistiques revendiquent que les opérateurs d'internet participent au financement des contenus.
L'incertitude sur l'avenir financier du pôle public des télévisions laisse planer d'autres menaces pour les producteurs. En effet, la télévision publique est le levier essentiel de l'industrie des programmes et le ferment de la création, car elle incline à prendre plus de risques artistiques que les chaînes commerciales. Elle est devenue à partir de 2003 le premier financeur de la fiction française et le premier commanditaire en nombre d'heures produites. La disparité publique/privée est encore plus flagrante si l'on considère la production dans le documentaire et le reportage : là où le pôle public a investi 100 millions (en 2006), le pôle privé a investi 26 millions. Enfin le pôle public finance de manière quasi exclusive le documentaire de création (environ 500 heures par an), et aide largement le cinéma hexagonal (en 2007, 61 millions d'euros ).
Quel scénario se dessine-t-il ? Depuis vingt ans, l'économie administrée de l'audiovisuel est gérée au trébuchet par la puissance publique, car le secteur est parsemé de mèches prêtes à s'enflammer. Ici les réformes évoluent au pas de sénateur et à doses homéopathiques, après d'interminables négociations. On mesure les écueils que la Commission Copé va devoir affronter. Compte tenu de sa composition, on l'imagine mal dynamiter des verrous et prendre des positions qui mettraient à bas le combat français pour la cause de l'exception culturelle. On ne voit pas non plus comment, au moment où elle va prendre la Présidence de la Commission, la France oserait porter atteinte à un des diamants de la subsidiarité européenne : les politiques en faveur des télévisions publiques (voir notre article sur Telos). Autrement dit, la Commission Copé est poussée à aller de l'avant et à surenchérir en faveur du mieux-disant culturel et technologique. La question du financement deviendra alors vite lancinante.
On étudiera la faisabilité de taxer les opérateurs privés, ainsi que l'avait annoncé Nicolas Sarkozy dans sa conférence de presse. Ceux-ci constituent des lobbies puissants et useront d'une pluie d'arguments pour dévier cette intention. Tous plaideront unanimement que la communication est un secteur d'avenir que l'on ne saurait affaiblir. Cette voie semble donc incertaine.
La hausse substantielle de la redevance devrait réunir plus facilement un consensus entre membres de la Commission. Ces derniers peuvent argumenter que la France s'aligne sur les politiques audiovisuelles de l'Europe du nord. Cette option romprait avec des décennies d'atermoiements sur le financement du service public et s'imposerait comme une réforme audacieuse. Elle est toutefois loin d'être acquise et si des dissensions internes aiguës se cristallisent, les ambitions de la Commission seront revues à la baisse au profit d'une réforme minimaliste ou en trompe-l'œil. Surtout, la réflexion entreprise peut se révéler sans droit de suite : nous tairons par charité le nombre de rapports sur l'audiovisuel public ayant subi ce funeste destin.
Lors de l'émission " En direct de l'Elysée " le 24 avril, Nicolas Sarkozy n'a pas évoqué la question de la télévision publique, mais il a affirmé " ne pas changer le cap " de sa politique. Sur l'audiovisuel, il demeure donc pour le moment un grand réformateur en sursis.
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