Qui protège(ra) la vie privée des enfants sur les plateformes numériques? edit
La protection de la vie privée est un critère déterminant qui sépare les régimes démocratiques des régimes autoritaires et totalitaires. Si un régime démocratique veut organiser la surveillance des individus qui menacent l’ordre public, il doit le faire sous le contrôle de l’autorité judiciaire, sans généraliser le contrôle arbitraire de tous.
Le respect de la vie privée des enfants de toute intrusion arbitraire est un droit fondamental, reconnu dans la Convention internationale des droits de l’enfant, dont on a fêté en novembre 2014 les 25 ans, mais aussi par la Charte des droits fondamentaux et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.
L’effectivité de ce droit sur les espaces numériques pour les enfants, entendus ici comme ayant moins de 18 ans, rencontre néanmoins d’innombrables difficultés. Elles proviennent d’usages imprudents des enfants et de leurs parents, ainsi que d’obstacles juridiques émanant de la faible réceptivité des grandes plateformes numériques américaines (les GAFA) vis-à-vis de la conception européenne des droits de la personnalité.
Celles-ci ont en effet bâti leur empire sur un modèle économique qui repose sur la valorisation commerciale des traces numériques déposées par chaque utilisateur lors de ses pérégrinations sur lesdites plateformes. Depuis novembre dernier, Facebook a rénové sa politique de confidentialité et donne une idée, sur sa page « privacy », de la diversité des informations recueillies : le contenu publié, le lieu d’une photo, « les types de contenu » consultés, les informations venant des autres « par exemple lorsqu’ils partagent une photo de vous », « vos réseaux de contacts », par exemple les carnets d’adresse synchronisés ou importés, des « informations sur vos appareils » , localisation, logiciels, navigateurs… L’entreprise explique que ces données lui permettent de « fournir, d’améliorer et de développer [ses]services », notamment en lui permettant de suggérer à l’utilisateur des personnes à contacter ou des activités, d’aider ses amis à l’identifier sur des photos, de lui signaler sa présence à partir de la géolocalisation, en d’autres termes de s’immiscer dans diverses facettes de sa vie privée . Une étude publiée en 2014 a révélé que Facebook avait même réalisé une expérimentation sur les fils d’actualité de 700 000 utilisateurs, suscitant une vaste indignation.
Le droit français protège la vie privée et les données personnelles en exigeant notamment : l’information de la personne concernée, son consentement, l’accès aux données recueillies, la limitation de la durée d’utilisation, la définition de la finalité d’utilisation et la possibilité de rétractation. La simple validation des conditions générales d’utilisation (CGU), obligatoire pour accéder à un compte, semble bien loin de garantir ces droits.
Pour protéger les adolescents, Facebook leur donne quelques conseils : « il est important de vous représenter comme le type de personne que vous voulez être », « d’être soi-même » et d’abord de ne pas mentir sur son nom ni sur son âge, de «réfléchi[r] avant de publier » et incite les jeunes à dénoncer les « faux profils » pour « protéger la communauté ». Il s’agit donc davantage de favoriser des pratiques qui facilitent le traçage, le profilage et la valorisation des activités publicitaires de l’entreprise, que d’encourager la protection de la vie privée. On voit mal en quoi le fait de mentir sur son nom (sauf à usurper celui d’un autre) porte atteinte à « la communauté », en quoi le fait « d’être soi-même » puisse guider un enfant, qui précisément ne sait pas encore qui il voudrait être.
Mieux vaudrait expliquer comment supprimer toutes les informations qui ne correspondent pas ou plus à ce que l’enfant (ou ses parents) souhaite faire connaître de lui.
Une décision de la Cour de justice de l’Union européenne de mai 2014 (Google c/. Spain) a esquissé la responsabilité des moteurs de recherche, en créant un droit au déréférencement pour tout individu, dès lors qu’il ne joue pas de rôle dans la vie publique. Le Conseil d’État, dans son rapport sur Le numérique et les droits fondamentaux, y voit un rééquilibrage au profit de la vie privée qui pourrait être un jour appliqué aux réseaux sociaux numériques.
Ce droit au déréférencement inquiète (notamment) La Quadrature du net et RSF au nom du risque d’atteinte à la liberté d’expression, ou des obstacles à l’écriture de l’histoire. La définition de la participation à la vie publique par les juges devrait permettre d’éviter un effet de censure sur des informations utiles à tous. On peut être davantage inquiet de la lenteur avec laquelle avance le projet de règlement européen sur les données personnelles, censé avant tout rappeler des principes fondamentaux et donner corps au droit au consentement. Le groupe des CNIL européenne (le G29) en a même rappelé l’urgence dans une déclaration du 8 décembre 2014. Dans le meilleur des cas il n’entrerait en vigueur qu’en 2017.
Aux questions juridiques s’ajoutent celles des pratiques. Ce qui motive l’exposition de la vie privée à l’adolescence, c’est avant tout d’être bien vu de ses amis, d’avoir le plus de contacts possibles, de se faire remarquer, de pouvoir éventuellement faire des rencontres. Des sites de rencontre « pour » adolescents se développent sur le web. La présentation de soi y est bien plus axée sur la sexualisation des profils que sur d’autres réseaux sociaux, avec des systèmes de modération des échanges parfois très peu sérieux. Les plus malins privilégient des plateformes moins généralistes que Facebook (mais qui incitent aussi à une publication massive de photos) comme Instagram, Flickr Twitter, Snapchat, Secret, pensant rester plus facilement anonymes. La Cnil rappelait récemment que les applications censées rester secrètes fonctionnent par stockage des données, toujours exposées au risque du piratage.
Les parents sont aussi une source majeure d’exposition de la vie privée des enfants, à un âge plus précoce encore. Responsables légaux de leurs enfants, ont-ils pour autant raison de diffuser l’échographie de bébé, lui offrant une vie publique avant même sa naissance ? On a interdit en 2014 les concours de minimiss avant 13 ans, mais les concours de bébés fleurissent sur le web. Certaines femmes valorisent leur expérience maternelle sur des blogs. Racontant les grands moments de leur vie quotidienne à la façon de magazines photographiques, elles publient régulièrement des photos de leurs enfants. Elles leur construisent une image d’enfant modèle, arborant des tenues dont elles assurent au passage la promotion, parfois contre rémunération. Que pensera l’enfant de cette utilisation de son image à l’adolescence ? Trop jeune pour exprimer un point de vue, ces femmes abusent de leur position d’adulte, qui n’est pas exempte d’une forme de conflit d’intérêt.
La Défenseure des enfants avait en 2012 demandé la reconnaissance d’un droit à l’oubli numérique pour les mineurs. Il est toujours aussi urgent comme le rappelle le rapport réclamant « De nouveaux droits pour les enfants » remis en janvier 2014 à Madame Bertinotti, alors ministre de la famille. Les Français font partie des Européens les plus inquiets de la faible protection des données personnelles, particulièrement à propos des téléphones portables.
Loin de culpabiliser les enfants des usages qu’ils font de l’internet, la responsabilité des entreprises est d’abord de leur assurer le respect de leur vie privée, de permettre un consentement éclairé sur chaque élément recueilli. Cela passe par la possibilité de supprimer toutes les informations qui les concernent quels que soient les sites supports, à leur majorité et avant. Au cas par cas. Cela suppose la transparence sur le fonctionnement des plateformes numériques qui agissent aujourd’hui de façon quasi féodale en s’accaparant des droits patrimoniaux au mépris des droits fondamentaux.
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