Que reste-t-il du Modem? edit

26 mars 2008

Que reste-t-il du Modem ? Il serait sans doute abusif de juger les résultats des municipales à la seule aune du faible nombre de maires ou de la défaite de François Bayrou à Pau. Les principaux enjeux, pour le parti centriste, était en réalité plus discrets. Il s’agissait d’une part de consolider son implantation locale en faisant élire des conseillers, afin de donner plus de consistance et de perspectives à une base militante encore volatile ; d’autre part de rééquilibrer le parti en faisant émerger des responsables plus marqués à gauche ; mais aussi de s’émanciper de l’UMP, en jouant l’indépendance et, en fonction des équipes locales et des opportunités, de tenter des alliances à gauche. C’est sur l’ensemble de ces enjeux que doit être évaluée la réussite du Modem.

S’il a pu perturber le jeu lors de triangulaires, un bilan de ses alliances fait apparaître qu’il n’est jamais un partenaire décisif.

Quand le Modem a dès le premier tour fait alliance avec la droite dans des communes où la droite sortante avait un avantage les choses se sont bien passées. À Bordeaux ou Epinay-sur-Seine, il siège avec la majorité de  droite. Dans les rares cas où des maires de communes significatives ont été élus sous l’étiquette Modem (Arras, Biarritz), ils avaient préalablement bénéficié de l’investiture de l’UMP. 

L’alliance dès le premier tour avec la droite n’a toutefois pas été la seule façon pour le Modem de gagner quelques sièges. La nouveauté de ce scrutin résidait dans les alliances avec la gauche. Quand ces alliances ont été nouées dès le premier tour, à Dijon, Grenoble, Montpellier ou Roubaix, les résultats ont été honnêtes.

Les alliances à droite comme à gauche n'ont toutefois permis de remporter la victoire que dans les situations où il existait déjà une dynamique favorable, ce qui porte à penser que l’apport du Modem n’a jamais été décisif. Que s'est-il passé quand il a voulu jouer au parti charnière pour faire pencher le scrutin dans un sens ou dans un autre ?

À Marseille, la liste commune conduite par le socialiste Jean-Noël Guérini a certes frôlé l’élection, mais n’a pu empêcher le maire sortant d’être réélu. L’apport du Modem ne s’est donc pas révélé déterminant. Par ailleurs, si le positionnement à gauche symbolisé par la tête de liste Jean-Luc Benhamias a permis de faire « monter » de nouveaux militants, le score électoral décevant (5,54 %) réalisé par les listes Modem au premier tour atteste la difficulté de ce positionnement dans une logique municipale bipartite où le PS a atteint près de 40 % au premier tour. L’alliance nouée à Lille entre le Modem et la liste de Martine Aubry n’avait pas les mêmes implications : la maire sortante était quasiment assurée de sa réélection au soir du premier tour, et on sait que c’est pour conquérir le communauté d’agglomération qu’elle a noué cette alliance, qui l’aide à l’emporter haut la main.

Le caractère non décisif du soutien du Modem au second tour se vérifie à Toulouse. Le maire sortant UMP Jean-Luc Moudenc (ex-UDF apparenté UMP) a fait alliance avec le Modem, qui avait obtenu un peu moins de 6 % des voix au premier tour. Or si la liste commune semble avoir bénéficié de très bons reports de voix, elle n’est pas parvenue à s’imposer face au candidat de gauche.

Deux villes plus modestes confirment la même difficulté du Modem à peser, tout en faisant apparaître une logique différente. Le cas de Vandœuvre-lès-Nancy est particulièrement intéressant, car dans cette ville le parti de François Bayrou avait réalisé un très bon score, 19,7 %, qui le mettait en position de se maintenir. La liste conduite par Marc Saint-Denis a choisi de s’allier à la droite (35,9 % au premier tour) ; mais le report de voix a cette fois-ci mal fonctionné, et une partie des voix Modem s’est portée sur la liste d’union de la gauche, qui a pris la ville. À Melun, on a une situation symétrique : fort de ses 15,47 % au premier tour, le Modem s’allie au PS (36,4 % au premier tour) dans l’espoir de ravir la mairie à la droite ; sans succès.

On en vient ainsi à tirer de ces élections une première leçon. Quand il réalise des scores faibles au premier tour, les reports des voix du Modem vers les listes fusionnées sont bons ; inversement, quand il semble puissant comme à Vandœuvre ou à Melun, une partie significative de ses électeurs ne suit pas ses consignes de vote et l’arithmétique suggérée par les scores du premier tour ne tient pas ses promesses. En d’autres termes, le Modem n’est pas propriétaire de ses électeurs, et il l’est d’autant moins que ceux-ci sont nombreux.

Reste enfin la possibilité de peser lors de triangulaires. Les électeurs du centre ont joué les arbitres lors des certaines élections, comme à Metz et à Saintes où des triangulaires ont contribué à la perte de la mairie par la droite. Le parti de François Bayrou posséderait donc une certaine capacité de nuisance, ce qui pourrait accroître son pouvoir de négociation lors d'élections futures.

Le cas de Paris montre les limites de cette stratégie. Celle-ci, rappelons-le, a été contrainte dans la capitale par les arbitrages de Bertrand Delanoë. Fort de sondages lui promettant une réélection confortable, celui-ci avait exclu une alliance au second tour, tout en proposant au Modem (9,06 au premier tour, avec des scores contrastés selon les arrondissements) un « partenariat » au sein du futur conseil municipal. Également sollicité par l’UMP avec laquelle il pouvait difficilement faire alliance après avoir proposé publiquement cette alliance au PS, le Modem a choisi de se maintenir dans les trois arrondissements où c’était possible : les  5e, 7e et 14e. Il n’en a retiré aucun gain direct, divisant au contraire par 10 l’effectif de son groupe de conseillers de Paris. Mais les triangulaires ont contribué à la réélection initialement incertaine de trois maires de droite. Dans le 5e arrondissement par exemple, le maintien de la candidature du Modem a très probablement empêché l’élection de la socialiste Lyne Cohen-Solal, qui manque la mairie de 215 voix. Le fief électoral hautement symbolique de l’ancien maire de Paris Jean Tibéri pouvait basculer, ce qui constituait une assez forte incitation à « voter utile » pour les électeurs du centre droit comme pour ceux du centre gauche. De fait, les électeurs ont été plus nombreux à se déplacer au second tour qu'au premier. Dans ce contexte, un certain nombre d'entre eux ont choisi le Modem, ce qui fait apparaître assez nettement l'existence d'un noyau dur. Mais l'existence bien avérée de ces irréductibles n'a guère de conséquences quand on considère leur capacité à faire élire leurs représentants.

Ainsi le Modem ne semble-t-il en position de peser que par défaut. Dans les alliances, son renfort ne permet pas de renverser une situation et son utilité pratique se réduit donc à élargir à élargir des majorités sortantes. Quand il pèse suffisamment pour imposer une négociation avantageuse, une partie significative de ses électeurs ne le suit pas ; quand il décide de rester indépendant, enfin, une partie tout aussi significative de ses électeurs continue à le suivre, mais il obtient peu ou pas d’élus. Cela repose douloureusement la question de la ligne stratégique du parti de François Bayrou et de sa cohérence politique.