PS : un projet hors du temps edit

7 mai 2010

La convention du PS vient d’adopter un document qui devrait logiquement préfigurer son programme présidentiel : « Pour un nouveau modèle de développement économique, social et écologique ». La lecture de ce document laisse pantois. Au point que l’on se demande si ses auteurs vivent bien ici et maintenant.

Ce document, qui, en dehors de la question importante de l’accroissement des inégalités, ne dit presque rien sur la situation réelle du pays, c'est-à-dire de la hauteur et de la dynamique des déficits, des relations compliquées mais fondamentales avec l’Allemagne, de la chute de l’Euro, de la perte de la compétitivité européenne, du jeu de dominos qui menace les pays de l’Union, nous promet page après page, dans la vieille logique des projets socialistes, des dépenses nouvelles et des droits nouveaux. Certes, les buts proposés n’ont rien de scandaleux, bien au contraire : il s’agit de donner à la masse des Français – sauf quelques riches – une vie plus agréable, plus écologique, moins stressante, plus protégée. La création de nouveaux droits apparaît à chaque page. « Tax and Spend », pour reprendre la vieille critique faite à la social-démocratie, tel est le remède que les socialistes français proposent pour régler la crise. Faire payer les riches et les entreprises, taxer les revenus du capital. Qu’il faille dans la crise augmenter les impôts, ce sera malheureusement nécessaire. Mais que la taxation supplémentaire des riches suffira, qui peut le croire ? Le texte n’évoque même pas la situation financière du pays, ne propose ni économies ni redéploiement des ressources publiques, ni enfin aucun effort supplémentaire de la nation, alors que les socialistes s’apprêtent à gouverner. Il paraît hors du temps.

Ce texte part de l’idée défendable que la crise que traversent les pays développés n’est ni ponctuelle ni cyclique. Qu’une grave crise existe, qui peut le nier ? Mais de quelle crise s’agit-il  exactement : d’une crise du modèle de société (mais qu’entend-t-on par là exactement), d’une crise de civilisation (mais les socialistes ont-ils la prétention à eux seuls de changer la civilisation), d’une crise du capitalisme lui-même, du capitalisme financier, d’un certain dysfonctionnement de ce capitalisme financier ? On ne le saura pas car les socialistes français ne se lassent pas d’envisager périodiquement la grande catastrophe finale du capitalisme, sans trop y croire cependant. Mais le problème est que l’absence dans le texte de précisions sur le type de crise qu’il faut combattre ne permet pas d’y remédier de manière efficace. Certes, la nécessité de réfléchir et de mettre en œuvre au niveau international de nouveaux outils de régulation est désormais reconnue par tous. Mais dans le document du PS, on ne sait jamais s’il s’agit de réformer le capitalisme ou de l’affaiblir. Cela ne va pas sans conséquence et c’est précisément là que le bât blesse. Car cette approche crée une impréparation dommageable… qui conduit, une fois arrivé au pouvoir, à gérer le système au lieu de le réformer. Et donc à être à l’avant-garde de la « mondialisation libérale » honnie !

Il ne suffit pas d’écrire, comme dans tous les projets socialistes dont le dernier est le plus bel exemple,  que les socialistes au pouvoir ont jadis pêché par faiblesse libérale mais qu’ils ne le referont plus. Il faut rechercher les raison réelles pour lesquelles ils ont fait alors ce qu’ils ont fait. Or si les socialistes partagent encore aujourd’hui la vision de la table rase, c’est bien en matière de bilan de leurs propres expériences gouvernementales. Certes, le bilan « social » de ces expériences est toujours revendiqué – et souvent à juste titre – mais la politique économique et financière est oubliée afin de repartir à frais nouveaux. Le bilan n’est jamais complètement tiré. Il ne sert donc pas pour l’avenir.

L’inconvénient de cette attitude est plus grave aujourd’hui qu’hier car la situation est  véritablement préoccupante. Pour ne pas préparer aujourd’hui les citoyens à ce qui les attend, compte tenu de l’état de nos finances publiques et de nos faiblesses structurelles, un éventuel gouvernement socialiste pourrait se trouver, en 2012, dans la situation du gouvernement socialiste grec actuel, obligé d’imposer une formidable rigueur à une opinion publique révoltée à laquelle les gouvernements successifs n’auront pas dit la vérité. Un dirigeant socialiste a déclaré récemment qu’il ne serait pas demain le Papandréou grec. Nous le lui souhaitons. Mais que fait-il pour l’éviter ?

Une fois encore les socialistes font toute confiance à l’État sans analyser les faiblesses de son action. Peu d’effort est demandé aux Français, à part les riches (et pourquoi pas d’ailleurs ?) alors que chacun doit être mobilisé, avec ses talents, son énergie, son ambition et ses ressources propres et, pourquoi pas, ses espoirs, dans la situation actuelle. Mais il est vrai que les socialistes détestent l’hyper individualisme et l’hyperconsommation et qu’ils prétendent, c’est clair dans le document, savoir mieux que les citoyens eux-mêmes comment assurer leur bonheur et orienter leurs dépenses. Derrière la dénonciation de la « spirale infernale de l’individualisme et de la marchandisation » apparaît la condamnation d’un individualisme libéral qui est en réalité protecteur de nos libertés individuelles. Le modèle proposé est un modèle où l’État  voudrait décider pour les citoyens ce qui est bon pour eux.

En outre, il y a dans ce texte une contradiction qui, dans la situation actuelle, le rend caduc dès publication. Elle concerne le volet européen. En effet, ce texte nous dit deux choses contradictoires. D’une part, il appelle à relancer l’action de l’Union européenne (ce qui est juste et nécessaire) et à instaurer un gouvernement économique (ce qui est, au moins dans la direction, une idée importante). Mais d’autre part, tout en reconnaissant que les gouvernements européens et les pouvoirs européens sont de plus en plus orientés à droite, il propose des mesures, qu’il s’agisse de la BCE, de la politique industrielle, de la gestion des finances publiques, des politiques concernant les entreprises et la concurrence, que nos partenaires les plus puissants, tels l’Allemagne, rejetteront à l’évidence. Ce volontarisme européen, comme il se définit lui-même, est-il alors de quelque utilité ?

La politique européenne avance par compromis : comment nous situer face à l’Allemagne, quels compromis tenter d’obtenir d’elle ? Ces questions ne sont pas posées. S’agit-il vraiment dans ces conditions d’une politique de relance de la construction européenne ? Une fois encore, les socialistes entendent imposer à l’Europe leur propre modèle de l’Europe. Pourquoi cette énième tentative aurait-t-elle plus de succès que les précédentes ?

Enfin, le texte est pauvre en propositions précises. Le petit paragraphe sur le problème fondamental des retraites est stupéfiant pas son vide sidéral. Quant aux mesures d’économie de l’État, rien.

Certes, on peut se dire que ce type de texte n’a pas d’autre utilité que de rappeler le fond de l’idéologie socialiste traditionnelle aux militants et que les futurs candidats à la primaire socialiste mettront leurs propositions en concurrence devant l’opinion publique. Pour autant, dans quelle mesure les projets des candidats devront-ils être fidèles à la ligne générale de ce texte dans leurs propositions ? On imagine assez mal un DSK faire une éventuelle campagne interne sur un texte qui contredit fondamentalement ce qu’est la politique du FMI aujourd’hui à l’égard de la Grèce et demain peut-être à l’égard d’autres pays européens, c'est-à-dire une politique de rigueur budgétaire et de diminution des dépenses publiques .

Après 1981, le changement de politique socialiste n’a eu lieu qu’au bout de deux ans. Mais après 2012, en cas de victoire, il n’est pas difficile de prédire que le projet socialiste devrait être remisé au placard beaucoup plus rapidement. Les socialistes ont peut-être raison de penser – encore que ce soit loin d’être certain – que la démagogie est nécessaire pour assurer le succès électoral. Mais pèsent-ils leur responsabilité et leurs difficultés s’ils arrivent au pouvoir et sont obligés, au bout de six mois, d’imposer une politique de rigueur qui, à côté de celle que vient d’annoncer le gouvernement, risque d’être incomparablement plus brutale. Les Français ont une grande capacité d’oubli. Mais, dans la situation actuelle, la crédibilité économique est une qualité que les citoyens exigeront de manière croissante de leurs gouvernants. Le projet socialiste annonce des lendemains qui chantent. Les Français les croiront peut-être avant les élections – encore que… Mais après… Les rêveries d’aujourd’hui valent-elles les peines de demain ?