L’économie selon Fillon edit

Dec. 8, 2016

Il est de bonne guerre de la part de ses futurs adversaires de diaboliser François Fillon. Il n’est pas surprenant que les syndicats le considèrent comme un danger. Comme toujours, la réalité est plus compliquée. En matière d’économie, son programme est solide, ce qui est historiquement très rare. Reste à savoir s’il est politiquement viable.

Depuis trente ans, des quantités de rapports produits par la Commission Européenne, l’OCDE, le FMI et bien d’autres ressassent les mêmes listes de réformes qui permettront d’endiguer le long déclin économique de la France et de faire reculer le chômage. Ces mêmes listes se retrouvent dans les rapports commandés par les présidents fraîchement élus (rapports Pébereau, Attali, Camdessus, etc.) et bien d’autres encore. Au delà des différences de détail, le diagnostic est solidement établi et les mesures à prendre bien connues. Le premier mérite de Fillon est de présenter à l’avance sa propre synthèse de ces connaissances. C’est mieux que de faire campagne sur des généralités et des slogans, et de commander ensuite des rapports politiquement inapplicables parce que trop éloignés du discours électoral.

Le premier constat, incontournable, est le poids du secteur public. Il dépense près de 56% du PIB, contre 44% en Allemagne ou 43% en Grande-Bretagne. En la matière il n’y a pas de norme, mais on doit se demander si les citoyens en ont pour leur argent car, évidemment, notre cher secteur public n’est pas gratuit. Le poids des prélèvements obligatoires est commensurable avec les dépenses, plus de la moitié du revenu national. Clairement, l’administration française n’est pas la Rolls des administrations. La litanie des rapports de la Cour des Comptes ne cesse de nous rappeler les dysfonctionnements et les gaspillages du secteur public. On ne peut tout simplement pas justifier ces dépenses. Les faire redescendre, par exemple, au niveau de l’Allemagne n’aurait rien d’outrageux. Cela représenterait une baisse d’environ 260 milliards. La baisse de 100 milliards proposée par Fillon, environ 4% du PIB, est finalement modeste.

Étant donné le poids de la main-d’œuvre dans les dépenses publiques, la cure amaigrissante passe par une réduction des effectifs. Comme la plupart des fonctionnaires ont un emploi à vie garanti, cette réduction passe par le non renouvellement des départs à la retraite. C’est ce qu’ont fait les deux derniers présidents, mais de manière plus modeste, si modeste que la proportion des dépenses publiques dans le PIB a tout juste été stabilisée sous Hollande après avoir augmenté sous Sarkozy. Ceci confirme que le dosage proposé par Fillon est loin d’être extravagant.

Il est presque drôle de voir les rivaux, passés et futurs, de Fillon se désoler en nous disant que nous allons manquer d’infirmières – l’image maternelle du fonctionnaire qui nous fait du bien – et de policiers – la nouvelle image paternelle de la protection face aux terroristes sanguinaires. Personne ne nous parle des autres fonctionnaires qui œuvrent pour nous réglementer, nous contrôler, nous imposer des amendes et bien d’autres services dont nous ne sommes pas sûrs qu’ils soient toujours utiles. Il faudrait être sérieusement pervers pour réduire le nombre d’infirmières là elles sont en nombre insuffisant au lieu de réduire le poids de la vraie bureaucratie, celle qui souffre de sureffectifs si l’on en juge par le nombre d’heures travaillées et les absences au travail. Surprenamment, Fillon ne précise pas les endroits où les effectifs seront réduits.

Une fois les dépenses en reflux, on peut, on doit baisser la pression fiscale, du même ordre de grandeur, soit 4% du PIB. Dans l’imaginaire collectif, l’impôt est avant tout prélevé sur le revenu, et il pèse plus lourdement sur les riches. Baisser les impôts signifie donc faire un cadeau aux riches. Or cette forme d’impôt ne représente que 3% du PIB, un petit peu plus que les impôts sur les entreprises. Sauf à purement et simplement supprimer ces deux impôts, on n’ira pas loin sur cette voie. Plus de la moitié des prélèvements obligatoires sont aspirés par la sécurité sociale. Assis sur les salaires, ces prélèvements constituent une taxe sur l’emploi, et contribuent donc puissamment au chômage de masse. Ce non-sens est dénoncé rapport après rapport.  C’est bien là qu’il faut tailler, donc, ce qui a été considéré jusqu’à maintenant politiquement impossible. Pourquoi ?

Parce que c’est la base de la sécurité sociale à la Française, intouchable car inventée en 1944 par le mythique Conseil national de la résistance. Ces prélèvements financent les dépenses sociales qui sont gérées de manière paritaire entre employés et employeurs (même si le Parlement a son mot à dire sur le budget de l’assurance maladie et l’exécutif sur celui de l’assurance chômage). Dire que c’est un gage d’efficacité serait bien excessif. Penser que cela conduit à une politique éclairée en matière d’aide aux chômeurs, de retraites et d’allocations familiales relève de l’angélisme. Ce qui est sûr, c’est que c’est là où gisent les plus gros gisements de réformes en matière de dépenses et de recettes publiques, ce que personne n’a osé toucher. Fillon s’y attaque, et c’est impressionnant.

Faire sauter ce verrou est essentiel puisqu’il sépare le budget en deux parties de tailles semblables mais théoriquement hermétiques, dont l’un est largement sanctuarisé en raison du paritarisme. Non seulement cela rend les rééquilibrages deux fois plus difficiles, mais c’est une source majeure de chômage. Dans un budget unifié, il y aura d’un côté les dépenses, qu’il s’agit de réduire sélectivement en fonction des besoins et de leur efficacité et, de l’autre côté, les recettes qu’il faudra adapter à la baisse aux dépenses. C’est évidemment la bonne approche. 

L’autre défi majeur est le chômage. Là encore, le diagnostic a été dressé, et les solutions décrites des dizaines de fois En bref, le coût du travail est trop élevé en raison des charges sociales, les contraintes sur le licenciement bloquent le recrutement, une montagne de réglementations asphyxie les entreprises, les 35 heures, même contournées, constituent une norme paralysante, les allocations chômage ne sont pas conçues pour aider le retour à l’emploi et le SMIC rend inemployables les personnes non qualifiées, avant tout les jeunes sans expérience professionnelle. Le programme de Fillon s’attaque, on l’a vu, aux charges sociales, c’est essentiel. Alléger le code du travail est tout aussi incontournable, mais on en reste pour l’instant aux intentions générales. Réduire le rôle de syndicats arc-boutés sur la défense des avantages (bien mal) acquis est une condition préalable, on peut prévoir que la bataille sera rude et l’issue incertaine. Fillon propose de faire disparaître les 35 heures, ce qui est plus symbolique qu’effectif, mais il faudra bien un jour effacer les dernières scories de cette erreur historique. Il veut accroître la dégressivité des allocations chômage, sans plus de précision, et ne dit pas un mot sur le SMIC. Les belles phrases sur la formation, l’apprentissage et le numérique ne semblent pas de taille à faire la différence. Sans réforme en profondeur de l’Éducation Nationale et du système de formation continue, cela reste du domaine de l’affichage.

Le grand mérite du programme économique de Fillon est de dégager une vision stratégique cohérente et de proposer des solutions conformes aux analyses largement développées précédemment mais jamais mises en œuvre, ou très partiellement, par les précédents gouvernements. Les critiques qui pleuvent depuis sa victoire à la primaire sont très largement injustifiées, surtout celles qui cherchent à présenter ce programme comme extrémiste et réactionnaire puisque les efforts précédents ont été bien trop timorés pour arrêter le déclin et faire reculer le chômage. Ceci ne signifie pas que tout est parfait.

Tout d’abord, le projet de réduire le déficit budgétaire année après année ignore superbement la situation conjoncturelle. La reprise économique est là, mais très faible. Après des années d’austérité budgétaire, cela n’a rien de surprenant. Poursuivre l’austérité est un non sens, ce que même la très austère Commission a fini par admettre. La bonne stratégie est de commencer par réduire les impôts et de réduire les dépenses ensuite, ou plus lentement. Autrement dit, on laisse d’abord le déficit augmenter puis, la croissance revenue, on le réduit fermement.

L’autre erreur est d’ignorer que les (bonnes) mesures de réduction du poids de l’État, côté dépenses comme côté fiscal, auront pour effet de redistribuer les revenus aux dépens des personnes défavorisées. Il en va de même des mesures concernant les allocations familiales (universalité et déplafonnement) : personne ne peut croire que les ménages aisés ont besoin d’aides publiques pour faire des enfants. Le succès quasi-universel des politiciens populistes repose sur le fait qu’une partie de la population a vu passer le train de la mondialisation sans en recevoir les bénéfices, et souvent en en faisant les frais. Ce constat concerne aussi la France : lutter contre le Front National exige de prendre en compte la souffrance de cet électorat. Fillon a évoqué cette souffrance mais il n’en tire pas toutes les conséquences. On n’attend certes pas d’un président de droite qu’il mette en place une vaste redistribution des revenus en faveur des catégories défavorisées, mais ce serait une erreur morale et politique de redistribuer dans l’autre sens. Faire baisser le chômage est une condition nécessaire pour répondre à la menace populiste, mais ce n’est pas suffisant.

Enfin, un petit calcul électoral s’impose. Il y a presque 6 millions de fonctionnaires. Presque tous sont évidemment opposés au programme de réduction des effectifs et à l’augmentation annoncée des heures travaillées. Si on ajoute les partenaires, les enfants ou les parents, les cousins et les amis, ce sont peut-être 20 millions de Français qui pourraient être tentés ne pas choisir entre Fillon et Le Pen au second tour. C’est bien sûr le genre de calcul qui, depuis des lustres, a bloqué une réforme indispensable. Fillon va devoir réussir la quadrature du cercle. Un premier recul dans ses ambitions, somme toute modérées ?