Un conseiller scientifique du président serait bien utile edit

7 septembre 2020

L’exécutif doit souvent prendre des décisions sur des sujets que les connaissances scientifiques du moment peuvent éclairer utilement. Il peut s’agir de choix structurels, pour lesquels on dispose de travaux de longue durée, comme la lutte contre le changement climatique, les voies de décarbonation de l’économie, ou encore l’usage des OGM ou des pesticides. Il peut s‘agir de crises non anticipées mais pas nécessairement inconnues – c’est le cas de l’épidémie de Covid-19. Il peut aussi s’agir d’événements ni anticipés ni étudiés d’avance. Ainsi, les graves désordres climatiques des années 1780, pluies acides, étés brûlants et hivers glaciaux furent causés par les éruptions du volcan islandais Laki à partir de 1783. On le sait aujourd’hui, on ne le comprenait pas à l’époque.

Un(e) conseiller(ère) scientifique permanent(e), auprès du président de la République comme du Premier ministre pourrait grandement aider à la prise de décision en s’assurant que l’exécutif dispose de la meilleure information scientifique, y compris celle provenant de travaux en cours ou non publiés. La crise du Covid-19 en fournit un bon exemple. Les informations sur l’épidémie inconnue qui démarra à Wuhan commencèrent à filtrer dès le mois de décembre 2019, comme en attestent les messages envoyés par les autorités taiwanaises à l’OMS tout début janvier. Un conseiller scientifique choisi non seulement pour sa compétence dans un domaine scientifique donné, mais aussi pour sa stature internationale et les réseaux qui vont avec, ainsi que pour sa propre curiosité scientifique et son indépendance d’esprit, aurait probablement été alerté, même si sa propre spécialité scientifique n’avait rien eu à voir avec les virus. Il aurait activé ses réseaux et ceux des meilleurs virologues pour en savoir plus. Il aurait demandé des informations aux diplomates français à Taiwan, au cas où ses réseaux chinois se seraient refermés. Il aurait alerté l’exécutif de la gravité de la situation, au moment même où l’OMS affirmait que tout était sous contrôle et que les autorités chinoises prétendaient que le virus n’était pas transmissible. L’exécutif, président et Premier ministre, aurait ou n’aurait pas prêté attention à l’alerte, mais il est raisonnable de penser que nous aurions pu gagner une ou deux précieuses semaines sur le cours des évènements.

Aux États-Unis, le rôle de conseiller scientifique du président et donc de son administration est bien établi, même s’il connaît des hauts et des bas comme c’est le cas aujourd’hui. Il fut créé par le président Roosevelt en juin 1940 pour coordonner les efforts scientifiques requis par le risque de guerre. Vannevar Bush, ancien vice-président du MIT, inventeur prolifique et fondateur de Raytheon, en fut l’initiateur et le premier titulaire. Il contribua de façon décisive à l’effort de guerre et au projet Manhattan malgré le scepticisme des généraux, grâce à ses contacts auprès des meilleurs physiciens du moment. Plus fondamentalement encore, il définit les grandes lignes de la politique de recherche scientifique du pays après la guerre, dans son rapport en réponse aux questions que lui avait adressées le Président Roosevelt en novembre 1944, et sur lesquelles il est intéressant de revenir, 76 ans plus tard.

Roosevelt, qui avait bien conscience que si l’issue de la guerre ne faisait pas de doute, la rivalité avec l’Union Soviétique allait définir l’après-guerre, posait quatre questions à son conseiller scientifique : Comment diffuser les avancées scientifiques accumulées durant la guerre, sans compromettre la sécurité nationale, de façon à stimuler de nouvelles entreprises, créer des emplois et améliorer les conditions de vie ? Dans la lutte contre les maladies, comment s’organiser pour prolonger l’effort engagé durant la guerre ? Que devrait faire l’État pour aider la recherche, publique et privée, et comment leur relation devrait être conçue ?  Comment découvrir et développer les talents scientifiques au sein de la jeunesse, de façon à assurer le futur de la recherche scientifique ?

Plutôt que de répondre à chaque question par un plan d’action détaillé, Vannevar Bush préféra proposer une stratégie intégrée apportant une réponse simultanée à chaque question du président. Son point de départ fut de poser l’acquisition de nouvelles connaissances par la recherche fondamentale (« basic research » en anglais) comme condition première de la réalisation des objectifs suggérés par le président. Bush en tirait les conséquences : il faudrait une organisation – ce serait la National Science Foundation— et des crédits substantiels, que le Congrès devrait allouer. Il soulignait qu’à la différence de l’avant-guerre, les États-Unis ne pourraient plus compter sur l’Europe pour faire le travail de fond et qu’il fallait donc prendre très au sérieux la recherche fondamentale. La recherche appliquée et industrielle, dont il fut un brillant pionnier, suivrait à condition que les carrières scientifiques soient nettement revalorisées, le système de brevets rationalisé, et que des bourses soient généreusement attribuées pour attirer les meilleurs étudiants indépendamment du revenu de leur famille.

L’héritage le plus durable du rapport de Vannevar Bush fut peut-être son intitulé : Science, la frontière sans limite. Ses successeurs jouèrent un rôle plus ou moins critique, selon l’ouverture d’esprit du président à l’approche scientifique. Eisenhower accepta de renforcer le conseil scientifique, sur proposition de son conseiller Israel Isaac Rabi (découvreur de la résonance magnétique nucléaire). Nixon, qui n’avait guère d’appétence pour la science, supprima le poste en 1973, avant qu’il ne fût restauré par le Congrès en 1976. Trump, qui en a encore moins et dont le vice-président est ouvertement anti-science, a laissé vacant le poste durant deux ans. On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif.

Mais revenons en France. Parce qu’on ne saurait préjuger de l’ouverture d’esprit des futurs chefs de l’exécutif, il importe que le poste de conseiller scientifique soit institué de façon permanente plutôt que son existence soit laissée à la discrétion du président. Le conseiller ou la conseillère devrait pouvoir être saisi par le président ou s’autosaisir pour s’adresser au président comme au Premier ministre. Il ou elle devrait être choisi(e) parmi les meilleurs scientifiques du pays, par le président lui-même, de façon à ce que le lien de confiance soit de qualité, mais constituer son équipe devrait être de sa seule responsabilité. Les contacts avec la presse ou les médias sociaux devraient être bannis, de façon à prévenir les pressions qui pourraient s’exercer sur le conseiller ou la conseillère. Ces restrictions ne vaudraient pas au cas où le conseiller, à la demande du président, rendrait public un rapport. Et s’il devait en remettre un sur la politique de recherche, les grandes lignes du rapport de Vannevar Bush lui apparaîtraient probablement toujours valides !

Imaginons que Louis XVI ait eu un conseiller scientifique du calibre de Benjamin Franklin, diplomate mais aussi savant et l’un des premiers à avoir soupçonné que les désordres climatiques des années  1780 avaient un rapport avec les volcans islandais. Le roi aurait été prévenu des effets climatiques probables des éruptions du volcan Laki, y compris du risque de famine. Peut-être aurait-il mieux géré la crise qui finit par emporter l’Ancien Régime et lui avec ?