Quelle gouvernance pour le Grand Paris? 2. Que faire? edit

16 mai 2018

Les problèmes évoqués dans la première partie de cet article sont-ils graves ? Après tout, l’image internationale et l’attractivité vis-à-vis du reste du monde semble plutôt en progrès. Mais les signaux d’alerte ne manquent pas : stagnation de la croissance en emploi, alors que les métropoles de province (surtout celles de l’ouest) mènent la course en tête ; croissance de la pauvreté et des inégalités ; transports collectifs saturés et logements de moins en moins abordables pour les jeunes des classes moyennes ; en conséquence, déficit marqué des migrations résidentielles chez les jeunes actifs au-delà de 30 ans, en faveur notamment des grandes villes de l’ouest et du sud, où le rapport qualité-coût de la vie est bien meilleur. On notera que le Grand Paris attire les investisseurs, notamment dans l’immobilier, mais ce boom engagé est en grande partie lié au seul grand projet d’avenir, engagé à l’inspiration de Christian Blanc, celui du Grand Paris Express, dont le gouvernement vient malencontreusement d’étaler le calendrier. Et on pourra trouver tristement ironique que face aux défis et aux potentialités immenses de cette agglomération, le débat médiatique porte surtout sur l’ouverture aux promeneurs et aux vélos des voies sur berge ! La presse en a parlé dix fois plus que des retards infligés aux 200 km de lignes nouvelles qui concernent la vie quotidienne de millions de banlieusards.

Alors, que faire ? Certains experts, comme Martin Vanier et Xavier Desjardins (Telos, 10 novembre 2017) pensent que les découpages institutionnels importent peu, qu’il faut penser projet, réseaux, inter-territorialité et partenariats, plus que découpages et territoires figés. Je note pour ma part que les découpages sont là, et pèsent lourdement, de manière systémique, engendrant de criantes inefficacités ; que par ailleurs, la démocratie des réseaux n’existe guère et que l’on n’a pas trouvé mieux pour l’égalité des votes que la référence territoriale. Encore faut-il que celle-ci soit à une échelle qui permette à la fois l’efficacité et la justice.

Le débat actuel, qui se déroule surtout en coulisse, en raison de la technicité du sujet, est assez simple : il porte surtout sur l’avenir des départements et de la Métropole du Grand Paris.

S’agissant d’abord des départements, leur remplacement à terme par des agences gérant les aides sociales, qui constituent désormais de loin leur première dépense, est sans doute plus ou moins inévitable. Leur suppression éventuelle, très médiatisée, n’agirait qu’à la marge sur les six problèmes majeurs évoqués plus haut. Elle n’est donc pas, à mon avis, prioritaire. On peut attendre un peu. Le sujet, à vrai dire, est surtout politique : que faire des conseillers départementaux ?

La question cruciale, en revanche, est celle de la Métropole du Grand Paris, couvrant le territoire des quatre départements centraux (Paris, Seine-Saint-Denis, Val de Marne, Hauts de Seine). Elle concerne à la fois le périmètre et le mode de fonctionnement. Parlons du périmètre, d’abord. Lorsque de Gaulle et Delouvrier ont dessiné la carte des nouveaux départements, l’agglomération se limitait pour l’essentiel à la « petite couronne ». Il suffit de regarder les photographies aériennes de l’époque pour s’en convaincre. Orly et Saclay étaient dans les champs, Roissy dans les limbes. Mais depuis un demi-siècle les choses ont complètement changé ! Toutes les données montrent combien la coupure petite/grande couronne est désormais artificielle, dépassée. La Métropole du Grand Paris (MGP) concentre, il est vrai, les trois quarts du PIB francilien, mais seulement 55% des habitants. Les cinq millions de franciliens qui vient en dehors de ce périmètre, et qui subissent souvent des transports exténuants, sont-ils des citoyens de deuxième rang ? Regardons les mobilités quotidiennes. 2,7 millions d’actifs travaillent et résident dans le périmètre de la MGP. Mais 1,3 millions d’actifs travaillent et résident hors de ce périmètre. Et quid des 1,1 millions d’actifs (vous avez bien lu : 1,1 millions) qui franchissent tous les jours la frontière entre la MGP et le reste de l’agglomération (830 000 dans le sens centripète, 260 000 dans le sens inverse) ? L’idée d’une métropole réduite à la zone la plus dense traduit des effets d’optique bien particuliers. Saclay, par exemple, est toujours perçu par les Parisiens intra-muros comme étant à la frange de l’agglomération. En réalité, un tiers des salariés qui y travaillent viennent des communes situées plus au sud, au-delà même de la vallée de l’Yvette. Saclay n’est plus aux franges, mais intégré dans la métropole. Prenons la vie des entreprises : l’imbrication entre première et deuxième couronne est permanente, des flux intenses de relocalisations ignorent cette « frontière ». Que signifie une métropole qui ne comprend ni Roissy ni Orly, pôles majeurs de développement économique ? Prenons la recherche et l’enseignement supérieur : Paris-centre domine l’agglomération, mais ne concentre que la moitié des forces, l’autre moitié se trouvant surtout en deuxième couronne, et principalement autour de Saclay.

Mais la question du périmètre n’est qu’un aspect du problème. Car, en termes fonctionnels et politiques, quelle est la nature de cet objet nouveau qui prétend porter l’intérêt métropolitain ? Dans le droit comme dans les faits, la MGP constitue essentiellement un parlement des maires. Sa charte non écrite est de garantir le fait qu’aucune instance supérieure ne viendra limiter ce pouvoir communal, et surtout pas la MGP elle-même. Prenons le cas de la consultation d’urbanisme très médiatisée que la MGP a lancée sous le terme « Inventons la métropole », essentiellement autour des gares futures du Grand Paris Express. Il est parfaitement clair que les choix seront exclusivement ceux des maires, la MGP n’ayant ni les moyens ni la volonté d’opérer le moindre arbitrage en termes de priorités ou de pertinence de ces multiples projets, allant au-delà de leur impact strictement local. Le financement lui-même illustre parfaitement ce faux-semblant. Le principe de base est, on l’a dit, la neutralité budgétaire. De fait le budget de la MGP est une invraisemblable tuyauterie qui concentre 3,426 milliards de ressources des collectivités membres, mais en restitue 3,379 à ces mêmes collectivités ! En 2017, l’excédent disponible était, tenez-vous bien, de 27 millions pour les actions propres, soit un peu moins que le budget de Gif-sur-Yvette.

Les plus optimistes noteront que la MGP a au moins le mérite de constituer, pour la première fois depuis très longtemps, un forum où les maires se rencontrent, échangent entre eux, et où une conscience métropolitaine pourrait progressivement éclore. Mais nous avons besoin d’institutions autres que symboliques. La conclusion, à mes yeux, s’impose. Le seul niveau correspondant aux enjeux actuels et futur d’une véritable stratégie métropolitaine est celui de la Région. On peut bien sûr chicaner : trop petite au Nord, vers l’Oise, un peu trop grande peut-être en Seine et Marne. Ce sont des questions de second ordre. Et il n’y aurait aucun sens à définir au sein de la région une sous-entité correspondant aux 10,7 millions d’habitants que les convention de l’INSEE affectent à l’ « unité urbaine de Paris ».

Trois arguments sont souvent avancés contre cette idée de la métropole-région. Elle nous entrainerait, redoutent les uns, dans un rapport défavorable avec les territoires ruraux, qui risquent d’y être sur-représentés et de freiner les dynamiques urbaines du cœur d’agglomération. Quand on voit le poids de la Ville de Paris et des grandes communes adjacentes, ce risque paraît bien théorique ! Elle favoriserait l’étalement urbain, craignent d’autres. C’est le contraire qui est vrai, car l’étalement urbaine est surtout le fait de cette multiplication incontrôlée de lotissements dans des zones périurbaines plus ou moins lointaines échappant à toute régulation. Enfin, certains se demandent pourquoi inclure de vastes zones non construites, agricoles, forestières, dans la métropole ? Là encore, la réalité est que l’agriculture est une partie essentielle de l’économie métropolitaine et que de nombreux enjeux essentiels (énergie, biodiversité, eau, alimentation) sont liés aux nouvelles relations à bâtir entre les espaces denses et les espaces ouverts de la métropole. Cette vaste couronne peu dense est en réalité une grande chance pour une métropole qui se veut d’avant-garde en matière écologique et énergétique.

Cela dit, la question du périmètre, là encore, n’est pas seule en jeu. La métropole-région ne pourrait pas être la région actuelle dotée de quelques compétences supplémentaires. Son mode électoral (scrutin de liste à deux tours) devrait être revu, pour assurer un meilleur ancrage et une meilleure représentation des territoires si divers qui composent l’immense conglomérat francilien. On pourrait pour cela combiner une assemblée élue au suffrage direct et une sorte de Sénat des territoires (intercommunalités). Les compétences de base, outre les transports, devraient comprendre les domaines qui comptent dans l’insertion internationale (recherche, enseignement supérieur, tourisme, développement économique et technologique) et ceux qui engagent de manière stratégique l’agglomération dans le long et moyen terme (énergie, écologie).

Et pour le reste ? La couche communale, chacun le sait, est protégée dans notre pays par une révérence quasi-religieuse, et il est totalement vain de vouloir forcer des regroupements entre communes, qui seraient pourtant bien utiles. Gardons donc les communes. Mais il faut à l’évidence un échelon intermédiaire. L’autre grand enjeu de la réforme devrait être de faire véritablement émerger, grâce à un mix bien ajusté d’obligations et d’incitations, le niveau intercommunal. Il s’agirait de faire monter en puissance des groupements vraiment actifs, des « villes » allant de 400 000 à 600 000 habitants, chargées de la gestion opérationnelle de l’agglomération. L’aménagement, le pilotage des politiques de logement, la définition et la gestion des équipements majeurs ne peuvent en effet se réaliser qu’à ce niveau, qui serait l’équivalent au sein de l’agglomération parisienne des « communautés urbaines », telles qu’elles existent à Strasbourg, à Bordeaux, à Nantes et dans la plupart des grandes villes françaises. C’est un défi essentiel, mais difficile. Comme pour la nouvelle région, cette petite révolution devra, pour réussir, s’appuyer sur une élection au suffrage universel du président ou de la présidente. C’est un point essentiel. Pour donner de la légitimité aux intercommunalités, et pour y faire émerger de véritables leaders, il est crucial que les électeurs sachent pour qui ils votent, et ne laissent pas les choix de présidence aux tractations de coulisse, comme c’est le cas aujourd’hui.

Une nouvelle région-métropole, chargée des dossiers stratégiques et globaux ; une vingtaine de « villes », intercommunalités revigorées, chargées de l’aménagement, de l’urbanisme, du logement, des équipements ; des communes maintenant les liens de proximité ; une évolution départementale gérée calmement, sans suppression-spectacle. Voici quels pourraient être les principes simples d’une réforme redonnant à la région-capitale le souffle et la lisibilité qu’elle mérite. Ne ratons pas un deuxième virage…