Madame Merkel, écoutez monsieur Monti ! edit

1 décembre 2011

La vertu des crises aigues est de simplifier les termes du débat. Quand les banques peinent à se refinancer et contractent l’offre de crédit, quand des États notés AAA ont du mal à réussir des placements limités de dettes, quand la récession s’installe et que les investisseurs américains ou asiatiques se défont de leurs actifs en euros il n’est plus temps de tergiverser. Pour éviter un enchaînement fatal à l’euro, les Européens doivent aujourd’hui abattre leurs cartes. Pour madame Merkel, la solution réside dans la création rapide d’une union budgétaire qui deviendra un havre de stabilité. Cette annonce devrait selon elle produire un choc de confiance et faire reculer la spéculation contre les dettes souveraines européennes, même si la réalisation pratique de cette union peut prendre du temps.

Par union budgétaire, elle entend une coordination resserrée des politiques budgétaires nationales et une supervision directe par Bruxelles des politiques économiques et budgétaires des pays de l’Eurozone. Pour parer à l’inefficacité avérée du Pacte de stabilité et de croissance (PSC), elle entend conférer à un Commissaire européen de l’Économie un pouvoir d’approbation préalable des budgets nationaux, un pouvoir de sanction direct en cas de manquement aux engagements pris avec une possibilité de saisie de la Cour de justice européenne, et un pouvoir de tutelle sur le pays failli en cas de mise en place d’un plan d’ajustement structurel. L’union budgétaire ainsi consacrée par une révision des traités compléterait l’Union monétaire et interdirait les comportements de passager clandestin de pays ne partageant pas la culture de stabilité de l’Allemagne.

Des esprits avertis des débats franco-allemands des dernières semaines pourraient croire que la proposition allemande est le premier terme d’un compromis dont le second terme serait la création d’eurobonds, l’octroi d’un statut de banque au Fonds de stabilité financière et une certaine acceptation des interventions de la BCE sur le marché secondaire des dettes souveraines européennes. Que nenni, ce n’est pas une question de donnant/donnant, a-t-elle déclaré, les eurobonds ne pourront exister qu’au terme de la réalisation de l’Union budgétaire et après la fin de la crise. Introduits trop tôt les eurobonds écraseraient les spreads de taux qui aujourd’hui incitent à la vertu budgétaire les pays en difficulté, bref ils recréeraient l’aléa moral que la crise actuelle permet de combattre.

Une telle logique échappe à l’entendement puisqu’elle revient à demander à tous les pays de la zone euro de renoncer à une part de leur souveraineté budgétaire… pour rien, puisqu’on ne recrée au niveau fédéral aucun mécanisme de solidarité ou de redistribution. De plus un tel abandon de souveraineté serait probablement censuré par le Bundestag allemand qui depuis l’Arrêt de la Cour de Karlsruhe a récupéré la totalité de son pouvoir budgétaire !

La proposition Merkel est maintenant sur la table et elle constituera sans doute l’ossature du nouveau plan franco-allemand de sauvetage de la zone euro. Que faut-il en penser ? La première réaction est d’incrédulité : comment penser, alors que l’euro est dans l’œil du cyclone, que la promesse d’un changement de traité basé sur des normes budgétaires renforcées et des sanctions automatiques puisse si peu que ce soit contribuer à la solution de la crise et représenter le saut fédéral annoncé. Les esprits avertis rétorquent à cet argument qu’il y a bien compromis entre rigueur renforcée et avènement des eurobonds, simplement il ne faut pas le dire de peur d’effrayer l’opinion publique allemande qui refuse toujours la transformation de l’UE en une union de transferts. M. Steinmeier, leader de l’opposition social-démocrate, abonde dans ce sens puisque selon lui c’est quand Mme Merkel dénonce avec la plus belle énergie une solution, comme aujourd’hui celle des Eurobonds, qu’elle s’apprête en fait à l’adopter, ce qu’il nomme le Théorème Merkel. Comme ce compromis imaginaire peine à convaincre car il ne règle pas les questions structurelles révélées par cette crise, notamment les différentiels de compétitivité, de potentiel de croissance ou de soutenabilité de la dette, une solution magique est avancée, celle d’une mini-zone euro qui réunirait les pays AAA. Mais comment passe-t-on d’une zone euro en crise à une mini-zone incompatible avec les Traités actuels et qui ne règle rien aux problèmes de l’Espagne ou du Portugal ? La menace de dégradation de tous les pays AAA de la zone euro va paradoxalement ressouder les pays de l’Eurozone.

Dans le monde réel, on n’échange pas la réalité des abandons de souveraineté budgétaire contre des eurobonds imaginaires et une mini zone euro parée de toutes les vertus. Si la proposition allemande venait à être soumise aux gouvernements, aux Parlements, et aux opinions publiques nationales sous sa forme de pacte de stabilité renforcé, pendant que la crise de la dette se développe et que l’Italie est condamnée à emprunter à des taux de 8%, elle n’aurait aucune chance d’être adoptée. De plus l’expérience a montré que la norme et la sanction ne constituent pas une incitation puissante à la vertu, et ce pour trois raisons. La première est qu’un pays qui respecte formellement les exigences du Pacte de stabilité peut en réalité connaître des déséquilibres profonds ; ce fut le cas de l’Espagne. La deuxième est qu’un pays qui sort des clous peut le faire pour de bonnes raisons en cas de choc asymétrique par exemple ; on ne punit pas dans ces cas-là un pays en difficulté. La troisième raison tient à l’exercice du pouvoir de sanction : en quoi la Cour de Justice Européenne serait-elle qualifiée pour juger de la nature d’un déficit excessif ?

Cette illusion de l’efficacité de la norme et de la sanction est en fait régressive. Que nous enseigne en effet la crise européenne des deux dernières années ? C’est la combinaison de la pression des marchés et de l’Allemagne relayée par le Conseil Européen qui a permis que la culture de la stabilité gagne des pays comme la Grèce ou l’Italie. C’est cette double pression qui a eu raison de Berlusconi et qui accélère l’adoption de réformes structurelles en Italie, qui vont bouleverser le régime des retraites ou l’organisation du marché du travail. C’est en tirant les leçons de ce qui a été réalisé au plus fort de la crise qu’on peut bâtir une véritable union budgétaire. L’adoption d’une règle d’or à l’allemande, ainsi que de réformes structurelles qui rendent possible la trajectoire d’élimination des déficits, d’une part, l’action décisive de la banque centrale pour limiter la hausse des taux de long terme et dissuader la spéculation, d’autre part forment les deux termes d’une même action de résolution durable de la crise.

Le moment est donc venu de dire franchement à nos amis allemands que le sauvetage de la zone euro ne passe pas par un nouveau bricolage des traités mais par la mise en œuvre du programme Monti : Rigueur + Croissance + Équité.

La rigueur suppose en effet que la souveraineté budgétaire des nations soit encadrée, car il n’est pas possible que des États laxistes mettent en péril l’édifice commun et puissent compter sur une aide automatique des pays mieux gérés. Cette rigueur passe par une réforme lourde des modèles administratifs et sociaux nationaux. Une stratégie de croissance s’impose, car il n’y a pas de discipline budgétaire nationale viable sans mobilisation des avantages compétitifs des nations qui forment l’UE. Cela passe donc par des investissements communautarisés et une stimulation de la demande dans les pays qui ont encore des marges de manœuvre. L’équité enfin doit s’imposer dans les choix réalisés car c’est la condition de l’acceptation par les peuples de l’ajustement brutal qu’ils subissent déjà dans certains pays de la zone Euro. Mais l’équité concerne aussi les efforts consentis par les différentes nations pour le bien commun européen. On ne peut pas laisser les efforts des peuples ruinés par un coût de la dette qui échappe à tout contrôle. La mobilisation de la BCE pour qu’elle mette une limite au coût de financement de la dette des pays de la zone euro est un impératif.

Au total le débat actuel sur la nouvelle union budgétaire est une distraction coupable, sauf si elle annonce le nouveau compromis européen dont nous avons esquissé ici les termes.