Grèce : les Européens sont-ils crédibles ? edit

16 février 2010

La Grèce fait face à deux difficultés majeures : un problème de solvabilité de moyen terme, avec des finances en piètre état, et une réputation en la matière pas très brillante. La zone euro a également un déficit de crédibilité. Mais il est d’une autre nature : le pacte de stabilité n’est pas parvenu à assainir les finances de ses États membres. Sa capacité à influencer la Grèce pour redresser ses comptes apparaît de ce fait limitée. Aussi cherche-t-elle donc d’abord et avant tout à réduire les primes de risque qui reflètent les différences de situation budgétaires de ses membres. Y parviendra-t-elle ?

Le déficit de crédibilité de la Grèce est bien connu car fort ancien. Les comptes publics ont été maquillés. Au lendemain des élections d’octobre 2009 le nouveau gouvernement socialiste a reconnu que le déficit budgétaire public total de 2009 ne serait pas de 7 mais de 13%. Certes, la Grèce n’est pas le seul pays à prendre ses aises avec les chiffres. Mais force est d’admettre qu’elle en abuse plus que les autres. Pourra-t-elle inverser le mouvement ?

Sa dette publique est la plus importante de la zone euro (à plus de 125 points de PIB, chiffre qui est susceptible d’être révisé à la hausse lorsque la Grèce publiera les premiers véritables comptes de la sécurité sociale et des collectivités locales d’ici à la fin du trimestre). A l’horizon 2030, elle devrait dépasser les 206% du PIB contre 140 % pour la zone euro. On rétorquera que la Japon a une dette de 200% et s’en sort. C’est vrai à ceci près que la  croissance y est faible depuis des décennies, que les taux y sont exceptionnellement bas et que la dette japonaise est principalement financée par les épargnants locaux, alors que 75% de la dette grecque est détenue par des non-Grecs, principalement européens.

Cette question de soutenabilité des finances publiques et de coût du vieillissement n’est pas nouvelle dans la zone euro, et la plupart des pays sont sous pression pour réformer leur système de retraite et « assainir » leurs comptes. Mais ce constat se fait aujourd’hui dans le cadre d’un endettement globalisé, où les émissions de dette souveraines vont atteindre des niveaux sans précédent : les investisseurs devraient donc dans le futur « sélectionner » les dettes qui leur paraissent de meilleure qualité pour y investir l’épargne des ménages. Et l’on sait que les ajustements budgétaires sont longs, en moyenne de 10 à 13 ans dans les pays développés. L’appétit pour investir dans la dette grecque, et plus largement dans les dettes des pays qui ont le plus d’efforts à fournir risque donc de diminuer au profit de pays aux finances publiques plus « vertueuses ».

Pour pouvoir continuer de s’endetter auprès des marchés, des investisseurs traditionnels, la Grèce doit donc convaincre de sa capacité à redresser ses comptes publics. Le problème est que pour gagner en crédibilité, la Grèce doit disposer de temps non seulement pour mettre en œuvre les mesures qu’elle s’est engagée à prendre mais également pour en voir les effets sur son solde budgétaire. Or ce qui distingue la Grèce de ses partenaires européens est non seulement un assainissement budgétaire à mettre en œuvre plus important, mais aussi un besoin de liquidité sur le court terme plus pressant. La Grèce a des échéances rapides et importantes puisqu’elle doit trouver autour de 20 milliards d'euros d’ici à avril/mai pour y faire face. Ses besoins de financement pour l’année sont a priori de 53 milliards d'euros. Il y a donc une forme de décalage temporel entre les besoins de liquidité de la Grèce à court terme et une stratégie de reconquête de sa  crédibilité financière à moyen terme. Certes, la Grèce peut trouver prêteur pour des taux plus élevés :c’est la loi du marché pour compenser un risque perçu comme accru. Mais les taux actuels atteignent des niveaux qui augmentent la charge de la dette et donc le déficit, rendant l’ajustement plus difficile encore.

La raison principale pour laquelle les pays de la zone euro cherchent comment le Traité peut permettre d’aider la Grèce est en réalité de faire bénéficier la Grèce de la crédibilité budgétaire non pas tant financière (les besoins de financement de la Grèce représentent près de la moitié du budget de l’union européenne), que  comme gage de soutien et de contrôle de la mise en œuvre des mesures d’ajustement budgétaire. La stratégie de l’Union européenne est d’arriver à convaincre les marchés que, sous sa stricte férule, la Grèce réussira à assainir rapidement ses comptes publics. Là encore, se pose un problème de crédibilité : en temps beaucoup moins houleux pour la croissance, avec des niveaux de dette inférieurs d’environ 20 points de PIB à ce qu’ils sont aujourd’hui, l’Union européenne  n’a pas réussi à « motiver » suffisamment les pays de la zone euro aux finances peu vertueuses d’adopter une gestion plus rigoureuse et de préparer l’avenir, les coûts du vieillissement démographique. Juges et partie, les chefs d’Etat européens auront été trop indulgents entre eux pour inciter l'un d'entre eux à ajuster ses finances.

Au total, les marchés ne jouent pas avec la Grèce aujourd’hui : ils ont compris qu’un risque budgétaire spécifique à chaque pays persiste en dépit de la monnaie commune. « Ils » demandent à la zone euro d’expliquer 1/ le cadre et les limites de la solidarité budgétaire entre ces pays ; 2/ sa capacité à « entraîner » un ajustement budgétaire difficile dans un de ses pays membres. La Grèce ne veut pas du FMI comme garant de l’orthodoxie budgétaire parce qu’elle est « européenne » ; la zone euro ne veut pas du FMI car elle le perçoit comme une humiliation montrant qu’elle n’a pas la capacité à gérer l’ajustement d’un de ses pays membres. La zone euro convaincrait durablement en étant, pour une fois, précise et tranchée, en présentant des mesures détaillées de soutien avec une conditionnalité précise sur la mise en œuvre des mesures grecques. En s’engageant à « être là », mais sans préciser comment, c’est vers un équilibre plus instable que l’on se dirige, avec des marchés certes convaincus d’une assistance européenne mais avec une incertitude sur les modalités et la capacité à mettre en œuvre rapidement un tel soutien. La Grèce doit « faire ses preuves ». Dans l'immédiat, les marchés feront de nouveau « leur travail » en demandant des rémunérations différentes et plus élevées indéxées sur leur perception du risque de soutenabilité des finances publiques des différents pays de la zone euro.