Les trois défis de Berlusconi IV edit

20 juin 2008

Le gouvernement Berlusconi est confronté à de sérieux défis. Les trois principaux sont la question du fédéralisme fiscal, la réforme électorale et la fraude fiscale.

Le nouveau gouvernement italien, le quatrième dirigé par Silvio Berlusconi, est à la fois fort et faible. Il est fort parce qu’il a une majorité solide à l’Assemblée et au Sénat et parce que sa coalition est moins fragmentée que les précédentes. Il est faible parce que le soutien populaire est relativement faible et qu’il n’y aura pas d’état de grâce cette fois-ci. Les Italiens ont plus voté contre le gouvernement Prodi que pour un nouveau cabinet Berlusconi. Ils sont, à juste titre, fatigués d’une classe politique qui su augmenter ses propre salaires (+10% par an dans les 50 dernières années contre à 2 à 3% pour les Italiens moyens) au lieu de s’attaquer aux entraves structurelles à la croissance. Qu’attendent-ils ?

On peut identifier trois chantiers majeurs, qui sont autant de défis. Le premier concerne le fédéralisme fiscal. Les vrais vainqueurs des élections furent deux mouvements régionalistes appartenant à la coalition de Berlusconi – la Ligue du Nord et le Mouvement pour l'autonomie (Sicile). Sans eux, pas de majorité, ni à la Chambre ni au Sénat. La Ligue du Nord réclame le fédéralisme fiscal afin d’empêcher l'argent public de filer dans le sud : dans son projet, 90% de l’impôt sur le revenu doit rester dans les régions qui le produisent. Le Mouvement pour l’autonomie souhaite de son côté que les revenus du pétrole raffiné sur l'île (et ce où qu’il soit vendu !) soient alloués à la Sicile. Même le parti de Berlusconi (PDL, Popolo delle Libertà) soutient une loi récemment votée par la Région de Lombardie et selon laquelle doivent rester dans la région 80% des revenus de la TVA, 15% de l'impôt sur le revenu et l’intégralité des taxes sur le pétrole, le tabac et le jeu. En même temps, cette loi confère aux collectivités locales la responsabilité de plusieurs programmes actuellement financés par l'Etat, ce qui érode encore la redistribution entre régions.

Si cette loi devait être adoptée au niveau national, des régions entières se retrouveraient sans ressources suffisantes pour payer leurs instituteurs. L'Italie a certes besoin d’une dose de fédéralisme fiscal, mais elle doit aussi réduire ses dépenses publiques, qui ont crû plus vite que le PIB, notamment au niveau local. En rendant les collectivités locales fiscalement responsables, on pourrait probablement réconcilier ces deux objectifs, puisqu’il y aurait une sanction politique pour les collectivités locales qui laisseraient trop filer les déficits. Mais sur un sujet aussi délicat la cohérence s’impose. Or, le premier conseil des ministres (qui s’est tenu le 21 mai à Naples) a acté l’élimination complète de la taxe foncière, le seul véritable impôt local existant. Dans ce contexte, le fédéralisme fiscal à l’italienne risque fort de continuer à articuler décentralisation des dépenses et centralisation des revenus de l'impôt. C’est la meilleure façon de perdre le contrôle sur les dépenses locales, puisque les électeurs ne considèrent pas les régions comme responsables des impôts qu'ils paient.

Le deuxième défi concerne la loi électorale. Dans un an devrait se tenir sur ce sujet un référendum qui promet d’être animé. La loi actuelle est fondée sur une combinaison complexe de listes bloquées décidées par les dirigeants des partis, d’une dose de proportionnelle, et de seuils régionaux d’éligibilité (8% des votes dans le cas du Sénat) afin d’éviter le morcellement. Les sondages suggèrent que les 2/3 des Italiens veulent changer la loi électorale. Ils souhaitent en particulier être en mesure d’élire des candidats qui ne soient pas présentés par les partis, car ils n'ont pas l'intention de continuer à signer des chèques en blanc aux dirigeants des partis. Les grands partis de leur côté auraient beaucoup à gagner en adoptant un système majoritaire. Le système fonctionne très bien par contre pour les partis relativement petits avec des électeurs concentrés localement, comme la Ligue du nord. Celle-ci souhaite bien entendu que ce système soit conservé et elle combattra de toutes ses forces pour empêcher un référendum.

Il serait suicidaire pour le nouveau gouvernement de ne pas s’appuyer sur les résultats remarquables obtenus par l’équipe Prodi dans la lutte contre la fraude fiscale et le travail au noir. On estime en effet que les économies réalisées en réintégrant davantage de revenus dans la base d’imposition représentent environ 20 milliards d’euros. Ici se trouve le troisième défi du nouveau gouvernement.

En effet, l’attribution du portefeuille des Finances à Giulio Tremonti, le champion des amnisties fiscales, a clairement envoyé aux Italiens le signal d’un relâchement de la discipline fiscale. La tradition des trois premiers cabinets Berlusconi a toujours été une baisse des revenus fiscaux, même quand les taux d'imposition restaient inchangés.

Les premiers pas du nouveau gouvernement ne sont à cet égard pas très encourageants. Les mesures fiscales décidées le 21 mai réduisent le taux d’imposition de la part variable du salaire (primes, part liée à la performance, et heures supplémentaires). Ce n’est a priori pas une mauvaise idée de réduire les charges qui pèsent sur le travail, car le taux d'imposition marginal pour le travailleur moyen atteint aujourd’hui 60%. Mais avec d’aussi fortes asymétries (le salaire variable ne sera taxé qu’à 10%), comment ne pas voir qu’on encourage les employeurs et leurs travailleurs à s’entendre pour transformer le salaire fixe en salaire variable ? Une approche plus raisonnable serait d'augmenter les déductions d'impôt pour tous les salariés, indépendamment des heures travaillées, et d’indexer leur salaire sur la productivité.

Une version anglaise de ce texte est publiée sur le site de notre partenaire VoxEU.