Mort d’un dissident islamiste edit

24 décembre 2009

Le Grand Ayatollah Hossein Ali Montazeri, mort le 19 décembre 2009 à Qom à l’âge de 87 ans, avait une personnalité particulière qui le distinguait nettement des autres ayatollahs iraniens. Opposant au régime du Shah, il avait connu la prison à cette époque. Favorable à l’instauration, sous la direction de Khomeyni, d’une république islamique, il avait, en tant que président de l’Assemblée des experts chargée de rédiger la Constitution, contribué à inclure dans la loi organique le concept de Velayat-e faqih, la « tutelle du juriste théologien », qui donne au Guide une prééminence absolue sur toutes les instances du régime. Théoricien du nouveau régime, rien ne le prédestinait à devenir une figure emblématique de la dissidence iranienne.

Désigné comme le dauphin du Guide de la révolution, il collabora étroitement avec Khomeyni durant près de dix ans sans jamais critiquer ouvertement le fondateur de la République islamique. Toutefois, il se conduisait avant tout comme un homme de religion plutôt qu’un homme politique, ce qui lui a valu une grande considération et une popularité qui a parfois fait défaut à d’autres personnalités de la République islamique.

Ainsi, son opposition à la répression violente des opposants était de notoriété publique, et ses objections à la poursuite de la guerre avec l’Irak après 1982, alors que l’Iran avait récupéré l’ensemble de son territoire, étaient connues des responsables de haut rang  du régime. C’est pourquoi, à la différence des autres proches de Khomeyni, les parents des prisonniers politiques avaient remarqué la bienveillance de Montazeri à leur égard. Il était accessible à leurs doléances, les écoutait avec compassion et essayait de les aider dans la mesure du possible.

Longtemps, les  divergences de Montazeri avec Khomeyni restèrent très discrètes. Mais, après la fin de guerre Iran-Irak, durant l'été 1988, quand le Guide ordonna que les prisons du pays soient purgées de leurs prisonniers politiques et qu’environ 3000 prisonniers, généralement membres du mouvement des Moujahedines du peuple ou des partis de gauche, furent exécutés et enterrés dans des fosses communes, l’ayatollah Montazeri  ne parvint pas dissimuler sa désapprobation devant de telles méthodes. Il sera l’une des rares personnalités liées au pouvoir à condamner vivement ces exécutions massives, de son point de vue contraires aux principes coraniques de clémence. Cette attitude est d’autant plus courageuse que sachant Khomeyni gravement malade il aurait pu attendre le décès de celui-ci afin d’accéder au poste qui  lui était réservé : celui du successeur du fondateur du régime. Mais il préféra critiquer Khomeyni et prendre ainsi le risque de tomber en disgrâce.

Ce qui fut rapidement fait puisqu’en mars 1989 l’Assemblée des experts décida de ne plus reconnaître l’ayatollah Montazeri comme le successeur désigné de Khomeyni. Pour éviter toute possibilité  de revendication, l’article 107 de la Constitution fut révisé, et l’exigence de la qualité de marja (source d’imitation) pour occuper le poste de Guide fut annulée. Cette modification ouvrait la possibilité à un clerc de rang intermédiaire d’accéder à cette responsabilité. Ce sera le cas d’Ali Khamenei qui va succéder à Khomeyni.

Tombé en disgrâce, Montazeri se retire dans sa maison de Qom où, même pendant les périodes où il n’est pas officiellement considéré comme en résidence surveillée, ses mouvements, ses rencontres, ses enseignements, son téléphone seront contrôlés par les services de sécurité du régime. Ses bureaux dans les provinces sont fermés, les prêches dans les mosquées et autres lieux de prière lui sont interdits.

Mais cela ne réduit pas Montazeri au silence. Par l’intermédiaire de sa famille, de ses nombreux élèves et partisans, il maintient un contact avec le monde extérieur. Il répond aux questions que les journalistes lui adressent par écrit. Il publie ses mémoires qui rencontrent un grand succès et qui deviennent une source intéressante pour comprendre le fonctionnement de la République islamique durant les années Khomeyni (1980-1989). Ses critiques à l’égard du régime font de lui l’un des dissidents iraniens les plus en vue à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. De plus, fait extrêmement rare, il reconnaît ses propres erreurs dans la mise en place d’un système politique dont il n’avait pas prévu les possibles dérives. Il reconnaît publiquement s’être trompé en soutenant la prise de l’ambassade américaine en novembre 1979.

Avec la crise qui commence après l’élection contestée d’Ahmadinejad le 12 juin 2009, le rôle de l’ayatollah Montazeri sur la scène politique prend de nouvelles dimensions. Ses idées concordent avec celles des contestataires qui reconnaissent en lui en quelque sorte le leader spirituel de leur mouvement. En effet, pour Montazeri, la République islamique n’a plus rien d’islamique et elle a perdu sa qualité de république puisqu’elle ne  tolère pas la moindre liberté et ne respecte plus aucune des règles de la démocratie.  Elle est devenue une vulgaire dictature qui, tout en mettant la religion au service du pouvoir, n’hésite pas à organiser des élections truquées et à réprimer sauvagement toute contestation populaire. Ce n’est pas ce genre de régime qu’il avait souhaité  pour son pays durant les années où il avait lutté contre le régime du Shah.

Avec la disparition de Montazeri, l’opposition iranienne perd un de ses plus importants soutiens. Certes, Ali Khamenei peut se réjouir de la disparition d’un homme qui mettait en cause non seulement sa politique mais ne le reconnaissait même pas comme un religieux pouvant prétendre au titre d’ayatollah. Mais en même temps la participation de centaines de milliers de personnes aux obsèques de l’ayatollah montre clairement au régime combien son isolement devient de plus en plus grand depuis six mois. Le fait même que des milliers d’Iraniens se soient retrouvés dans la ville sainte de Qom pour rendre un dernier hommage à l’ayatollah Montazeri en scandant des slogans hostiles au régime démontre à quel point la contestation s’est introduite au cœur même du pouvoir de la révolution islamique, au sein de la ville qui regroupe le plus grand nombre d’écoles et d’institutions religieuses de l’Iran.

Il est vrai que la succession de Montazeri peut être assurée par d’autres autorités religieuses critiques à l’égard du pouvoir, comme le Grand ayatollah Youssef Saneï. Mais au-delà de la personne, ce qui est restera surtout de l’héritage de Montazeri pour l’avenir de l’Iran c’est la conclusion à laquelle son expérience personnelle l’avait amené : vouloir à tout prix mêler religion et politique est un exercice périlleux dont la victime principale risque d’être la religion elle-même.