La fin des professionnels de la politique? edit

11 septembre 2017

La cause serait entendue, les professionnels de la politique se détourneraient de ce métier pour rejoindre la société civile. Les reconversions récentes des anciens premiers ministres François Fillon, comme associé d’une société d’investissement, et Bernard Cazeneuve, comme avocat, l’illustreraient. Du côté droit de l’échiquier politique, parmi les 68 anciens ministres ou secrétaires d’État des gouvernements Fillon, ils ne sont que quatre à avoir réélus députés en 2017, alors qu’ils étaient 30 en 2012. Du côté gauche, ils sont bien neuf (dont Annick Girardin restée au gouvernement) à avoir, parmi les 74 anciens ministres ou secrétaires d’État des gouvernements Ayrault, Valls et Cazeneuve, été réélus députés en juin. Mais ils sont 23 à avoir été battus, alors que les anciens ministres de Sarkozy ne sont que cinq à avoir subi le même sort.

La perte du mandat parlementaire a donc été mieux anticipée à droite. Beaucoup ont fait le choix d’un autre gros mandat, maire de grande ville (Estrosi à Nice, Baroin à Troyes), président de région (Pécresse, Bertrand, Wauquiez, Morin) ou de département (Sauvadet, Bussereau, Devedjian) qui leur assure un statut confortable. Confrontés à la nouvelle règle du mandat unique, des personnalités politiques aux ambitions nationales ne cherchent pas à conserver une tribune à l’Assemblée nationale ; l’assise donnée par un exécutif local est privilégiée. Même après le séisme électoral de 2017, la droite conserve de nombreux barons et baronnes. Les véritables retraits volontaires sont rares : outre celui de Fillon dont la circonscription parisienne avait été promise à NKM, à un moment où il pouvait, après son investiture à la primaire, nourrir d’autres ambitions, on ne trouve guère que Luc Chatel à avoir fait le choix d’abandonner à 53 ans, au moins un temps dit-il, tout mandat, et Pierre Lellouche, à 66 ans, à se retirer de la vie politique, Jean-Louis Borloo ayant, par ailleurs, fait ce choix dès 2014.

À gauche, il se trouve 17 anciens ministres élus députés en 2012 à avoir renoncé à se présenter aux législatives, mais, pour plusieurs d’entre eux, il pouvait s’agir d’une anticipation sur un échec probable. Seuls Carole Delga, présidente de la région Occitanie, Philippe Martin, président du conseil départemental du Gers, Frédéric Cuvillier, qui avait repris son mandat de maire de Boulogne-sur-Mer à sa sortie du gouvernement, ou, à un degré moindre, Hélène Geoffroy, redevenue maire de Vaulx-en-Velin (45 000 habitants) dans l’agglomération lyonnaise, disposaient d’un mandat exécutif qui peut expliquer ce choix. Les autres n’ont rien, ou un mandat de conseiller municipal (3) qui n’assure pas un statut professionnel. De même, parmi les battus, 14 n’ont aucun autre mandat, ou un simple mandat délibératif dans un conseil municipal (3), départemental (2) ou régional (4), souvent d’opposition. On retrouve les effets conjugués des règles de non-cumul plus strictes imposées par François Hollande à ses ministres et des échecs électoraux successifs aux élections intermédiaires. Par ailleurs, parmi les anciens ministres qui n’avaient pas été élus députés en 2012, il ne reste que six sénateurs (dont Nicole Bricq décédée récemment), un député européen (Peillon), un maire de grande ville (Rebsamen à Dijon), un ministre resté en poste (Le Drian) et… un président de la République… comme professionnels établis de la politique.

En revanche, à droite, on trouve également, parmi ceux qui n’avaient pas été élus députés en 2012, un maire de grande ville (Juppé à Bordeaux), un président de région (Richert dans le Grand Est), quatre députés européens et neuf sénateurs. Enfin, alors que François Hollande a, pour l’essentiel, promu des parlementaires, il se trouvait dans les gouvernements Fillon plus de ministres « société civile » (Christine Albanel, Martin Hirsch, Bernard Laporte, etc.) qui n’ont pas cherché à poursuivre une carrière politique.

Les véritables situations de sortie contrainte de la politique professionnelle sont donc rares à droite : outre Chatel et Fillon déjà cités, on ne trouve guère, avec les battus de juin, que NKM – démissionnaire en 2015 du corps des ingénieurs des Ponts, des Eaux et des Forêts, mais toujours conseillère de Paris –, Claude Greff – conseillère régionale d’opposition dans la région Centre –,  David Douillet, Thierry Mariani, Frédéric Lefèbvre  – sans autre mandat – à se trouver en nécessité de reconversion. S’y ajoutera en septembre Chantal Jouanno qui ne sollicite pas le renouvellement de son mandat de sénateure de Paris.

À gauche, les situations de ce genre sont beaucoup plus fréquentes, et d’autant plus difficiles qu’elles n’ont souvent pas été anticipées. La vogue des démissions de la haute fonction publique n’a certes pas contaminé la gauche, et ils sont quelques-uns à pouvoir rebondir au plus haut niveau, au Conseil d’État en particulier (Michel Sapin, Marisol Touraine, Dominique Bertinotti), ou dans d’autres corps issus de l’ENA (Matthias Fekl, Juliette Méadel). Christian Eckert, plus modestement, annonce reprendre son métier de professeur de mathématiques dans le secondaire. Aurélie Filippetti, agrégée de lettres, pourrait en faire autant, mais elle n’a pour l’instant annoncé qu’une activité de chroniqueuse sur RTL. Les anciens membres du barreau comme Bernard Cazeneuve, ou éventuellement Arnaud Montebourg, dont la reconversion dans les affaires semble encore fragile, pourront reprendre, comme Frédéric Lefebvre l’a déjà annoncé à droite, leur activité. Mais pour tous ceux qui, anciens permanents ou collaborateurs d’élus avant d’être élus eux-mêmes, n’ont jamais exercé d’autres métiers que politiques, sans intégrer au tour extérieur la fonction publique, la situation s’annonce plus difficile. Quelques annonces ont été faites. Jean-Marie Le Guen ne pouvait guère reprendre une activité médicale exercée à la MNEF il y a plus de vingt ans... Il serait devenu courtier en assurances. Thierry Mandon s’engagerait dans la presse avec le lancement d’un hebdomadaire. Deux anciennes ministres déclarent chercher un emploi dans leur ancienne branche d’activité, le logement pour Emmanuelle Cosse, la « silver economy » des personnes âgées pour Pascale Boistard. À droite, un autre ancien ministre du logement, Benoist Apparu, qui n’entend pas se contenter de son mandat de maire de Châlons-en-Champagne (avec moins de 50 000 habitants, ce mandat ne lui vaut que des indemnités relativement faibles : 3483 euros bruts mensuels, non compris son mandat de vice-président de la communauté d’agglomération), a intégré l’organisme paritaire qui gère le 1% logement.

Un avenir incertain

Pour beaucoup d’autres, à gauche surtout, l’avenir semble plus incertain. Les prochaines élections sénatoriales (en septembre) et européennes (en 2019) risquent de ne pas offrir aux socialistes ou écologistes beaucoup d’opportunités de reclassement. Certes, les anciens députés et ministres bénéficient encore de régimes de chômage et de retraite qui devraient en mettre quelques-uns à l’abri. Il serait étonnant qu’on en retrouve au RSA dans les années à venir.

Leur situation est moins grave que celles de leurs anciens collaborateurs confrontés, avec la perte de nombreux employeurs potentiels, à un reflux considérable des débouchés. Mais la multiplication ces dernières décennies des profils de purs professionnels de la politique, sans métier préalable dans la société civile, apparaît comme un risque important face à la fragilisation des carrières électorales qu’entraînent les règles de plus en plus strictes de non-cumul des mandats. Les « députés barbus » de 1981 ont pu redevenir enseignants après un échec électoral, l’Éducation nationale se montrant au besoin assez généreuse pour leur trouver un poste aménagé. Les promotions ministérielles sous Hollande se sont souvent payées cher en termes d’éloignement du terrain. Les anciens ministres ont bien constitué des carnets d’adresses dans leurs portefeuilles même éphémères, mais il n’est pas simple de les valoriser à l’heure où la chasse aux conflits d’intérêts bat son plein. Il sera intéressant de voir comment les nouveaux élus En Marche issus de la « société civile » vont gérer la perspective d’un mandat qui s’annonce unique pour beaucoup d’entre eux, avec les effets conjugués d’un probable reflux électoral et de la réduction annoncée des effectifs parlementaires. L’investissement de certains dans leur mandat pourrait n’être que partiel.