Sarkozy et l’exercice du pouvoir edit
Nicolas Sarkozy est aujourd’hui dans une situation politique particulièrement difficile, au point que sa réélection en 2012 paraît compromise. Les enquêtes d’opinion mesurent une très forte dégradation de sa popularité et une grave perte de confiance. Certes les difficultés dues à la crise économique et la nécessité de prendre des mesures impopulaires expliquent pour une part ce désamour de l’opinion. Elles n’expliquent cependant pas l’essentiel. La cause première est la manière dont le Président exerce son pouvoir.
L’élection du Président de la République au suffrage universel pour une durée de cinq années qui correspond à la durée de la législature a conduit Nicolas Sarkozy à concentrer le pouvoir exécutif entre ses mains, de manière à la fois plus large et plus assumée que ses prédécesseurs. Il y a dans cette évolution une certaine logique des institutions. Mais le Président, du coup, perd la posture d’arbitrage et de définition des grandes lignes de la politique qui correspond mieux à la posture d’un chef d’État. S’occupant de tout, il paraît agité, manquant de sérénité. Il est probable que ses successeurs ne reviendront pas en arrière sur cette manière d’assumer clairement leur rôle de chef de l’exécutif. Mais cette vision de la fonction présidentielle n’oblige pas pour autant à minorer le rôle du Premier ministre autant que Nicolas Sarkozy l’a fait. Puisque la Constitution comporte un Premier ministre, autant l’utiliser le mieux possible, sans le court-circuiter aussi souvent dans la relation aux différents ministres, et en prenant un peu de distance par rapport à la quotidienneté des tâches gouvernementales. Le Président a perdu l’image de rassembleur nécessaire à l’exercice de sa fonction. Le premier paradoxe de la situation actuelle est que le Président a une image de Premier ministre tandis que celui-ci, paraissant plus en retrait, a une davantage une image présidentielle. L’hyper-présidence actuelle est moins dans les pouvoirs du président que dans sa manière de les exercer. Du coup, un véritable malaise frappe l’ensemble de l’appareil gouvernemental avec les dysfonctionnements qui en résultent nécessairement. La manière bonapartiste de gouverner du président ne s’accorde pas avec les nécessités d’un gouvernement moderne dont l’action est de plus en plus complexe. Surtout, les Français n’arrivent plus à distinguer l’essentiel de l’accessoire dans son action et finissent, faute de comprendre, par ne plus espérer.
La question de la relation actuelle du président à l’appareil gouvernemental n’est pas le seul dysfonctionnement du système Sarkozy. Un autre est produit par sa relation avec les assemblées parlementaires et particulièrement avec le groupe UMP à l’Assemblée nationale. Les deux dysfonctionnements sont d’ailleurs pour partie liés dans la mesure où le Premier ministre conservant nécessairement un rôle important de liaison entre l’exécutif et le législatif, le premier dysfonctionnement produit nécessairement le second. Ici, le paradoxe réside dans le fait que le même Président qui a voulu et obtenu une profonde et courageuse réforme des institutions, ayant augmenté sensiblement les pouvoirs du Parlement, est celui qui semble dans sa pratique politique ignorer les conséquences et la logique de cette réforme. Le tempérament bonapartiste du Président heurte la réforme parlementariste qu’il a défendue. La mauvaise humeur d’une part notable des parlementaires UMP traduit la difficulté de Nicolas Sarkozy à tirer les conséquences de cette réforme en développant davantage la concertation avec les assemblées, ce qui a conduit le président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, Jean-François Copé, à vouloir bâtir face à l’hyper-présidence un « hyper-parlement », affaiblissant du même coup l’autorité du Président. Au lieu de rechercher la meilleure collaboration possible avec le Parlement, Nicolas Sarkozy crée une atmosphère de conflit qui nuit à son image de chef d’orchestre du dispositif politique.
Un troisième dysfonctionnement caractérise le système Sarkozy : le rapport qu’il entretient avec son parti, l’UMP. Certes, tous les présidents, de gauche ou de droite, ont toujours veillé à conserver une emprise directe sur leur parti. C’est dans la logique du système. En revanche, Nicolas Sarkozy ne semble pas prendre conscience de la nécessité de modifier sa relation à l’UMP, nécessité liée à la dynamique de nos systèmes politiques et à leur modernisation. La création de l’UMP avait pour but, défendable en soi, de rassembler l’essentiel de la droite et du centre dans un grand parti présidentiel pour créer les meilleures conditions pour gagner l’élection présidentielle sans craindre une concurrence dangereuse au sein de cet espace politique. Mais alors, il fallait que ce nouveau parti puisse intégrer de manière satisfaisante l’ensemble des tendances réunies en son sein et qu’il dispose d’un minimum d’autonomie de proposition et d’action par rapport au président. Il fallait faire confiance à la capacité de ce parti, par sa diversité même, à contribuer à l’enrichissement du débat public et à la cohésion de son camp. Or, il n’en a rien été, au point que plusieurs candidats potentiels se pressent déjà, dans ce camp, sur la ligne de départ de la prochaine élection présidentielle sans qu’aucun dispositif partisan ne soit en place pour gérer cette situation. L’échec est patent. La parti issu du gaullisme, caporalisé aujourd’hui comme il l’était du temps de ses prédécesseurs, connaît une telle crise que le président UMP du Sénat, Gérard Larcher, envisage comme au Parti socialiste de faire élire le secrétaire général du parti par l’ensemble des militants. Ajoutons que si les primaires socialistes sont un succès, l’UMP devra aussi probablement adopter ce mode de désignation de son candidat à l’élection présidentielle.
C’est ici qu’apparaît le troisième paradoxe : alors que les gaullistes sont à l’origine d’un système institutionnel que les socialistes n’ont jamais complètement accepté, ce sont ces mêmes socialistes qui semblent s’adapter le mieux à sa logique et à son évolution. Le retard pris par l’UMP est considérable de ce point de vue et nul doute que la manière dont le Président gère ses rapports avec ce parti y soit pour beaucoup.
Tout cela crée un malaise politique à droite qui fait ressortir l’isolement du président actuel. Donnant l’impression de s’enfermer dans une politique clanique, il lui faut absolument et rapidement se donner de l’air politique, en faisant évoluer son système de pouvoir et en pratiquant une politique d’ouverture… en direction de son propre camp, dans toutes ses composantes ! Cela permettrait peut-être de stopper la dangereuse dérive vers la droite, et la dégradation simultanée de son image politique, qui empêcherait à coup sûr sa réélection si rien ne change d’ici 2012. Les problèmes de Nicolas Sarkozy sont multiples. Son exercice du pouvoir est le principal.
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