PS, l’inéluctable scission edit

29 mars 2017

Les scissions partisanes sont rares dans les grands partis, trop coûteuses en énergie et trop incertaines quant à leurs résultats. Elles sont le plus souvent le résultat d’un long processus où les raisons de long terme se mêlent aux accidents et aux hasards. Il en va ainsi aujourd’hui du Parti socialiste qui est entré dans la phase finale de la crise qui a débuté avec la décision de François Hollande de changer le cours de sa politique économique à la fin de l’année 2013. Depuis lors, une dynamique de rupture s’est enclenchée que la succession des événements a rendue de plus en plus inéluctable.

Pour la première fois depuis que le Parti socialiste est revenu au pouvoir, en 1981, une fraction du parti a entrepris de combattre son propre gouvernement à l’Assemblée nationale, allant, à deux reprises, jusqu’à tenter de faire adopter une motion de censure contre lui. Ce comportement a provoqué une fracture profonde au sein du Parti socialiste. D’autant que cette fraction baptisée « frondeurs » s’est alliée pour l’occasion avec les communistes et les écologistes qui étaient devenus des ennemis irréductibles du Parti socialiste. Derrière cette alliance de circonstance s’ébauchait en réalité un projet stratégique alternatif au projet social-démocrate, celui d’une recomposition de la gauche antilibérale fondé sur l’alliance entre la gauche du PS et l’extrême-gauche, et devant déboucher sur la création d’un mouvement nouveau du type de Podemos en Espagne. La réalisation de ce projet commandait d’empêcher le président sortant de se représenter. Pour ce faire, les frondeurs exigèrent l’organisation d’une primaire présidentielle qui eut pour double effet de dissuader François Hollande de se représenter, peu désireux qu’il était de concourir à une compétition qui focaliserait le débat sur la condamnation de son quinquennat et qu’il risquait de perdre, et de confirmer l’existence dans le parti de deux lignes politiques irréconciliables, comme le pensait de son côté le Premier ministre, Manuel Valls. Cette primaire eut ainsi pour conséquence d’élargir la fracture interne.

La victoire de Benoît Hamon sur Manuel Valls à la primaire fut obtenue pour partie grâce à l’apport d’électeurs situés à la gauche du Parti socialiste, ce qui ne pouvait qu’encourager le premier à persister dans sa stratégie. Mais cette victoire acheva de rendre inévitable la rupture interne, le candidat désigné ayant axé sa campagne sur la condamnation sans nuances du quinquennat Hollande. Il ne dévia pas de sa ligne au cours de sa campagne présidentielle, s’efforçant d’unifier la gauche anti-libérale plutôt que le Parti socialiste et défendant la politique du « tax and spend » avec laquelle le pouvoir socialiste avait tenté de rompre. La polarisation extrême du parti sur deux lignes politiques antagonistes et l’absence d’une direction centrale capable de réunir le parti autour de son candidat, créèrent une situation particulièrement dangereuse pour l’unité du parti. Dans cette situation très tendue, l’offre politique incarnée par l’ancien ministre de l’Economie de François Hollande, Emmanuel Macron, et lancée dès l’année précédente en dehors du Parti socialiste, a fourni aux adversaires du candidat socialiste au sein du parti une alternative au vote Hamon. Cette offre nouvelle a joué un rôle de catalyseur dans le processus de scission du parti qui s’est alors mis en route. Les électeurs qui avaient voté pour François Hollande au premier tour de l’élection présidentielle de 2012 (29%) ont rallié le leader du mouvement En Marche pour près de la moitié d’entre eux tandis que les défections individuelles se multipliaient chez les cadres et élus du parti. Manuel Valls lui-même, après avoir refusé de soutenir la candidature de Benoît Hamon, a déclaré qu’il voterait pour Emmanuel Macron au premier tour de l’élection présidentielle et a appelé à une recomposition politique, position qui, de la part de l’ancien Premier ministre de François Hollande, s’apparente à un appel à la scission.

Ayant refusé la stratégie d’élargissement au centre, Benoît Hamon peut-il mener à bien son projet de réunion des gauches antilibérales ? C’est peu probable, pour deux raisons qui s’enchaînent l’une l’autre. L’espace politique dont il s’agit est déjà en partie occupé par le mouvement La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon et le projet de ce dernier n’a jamais été de s’allier avec la gauche du Parti socialiste mais de détruire ce parti pour occuper tout l’espace de l’extrême-gauche. Or les frondeurs, ne percevant pas ou ne voulant pas percevoir cette situation, n’ont cessé de faire la cour à Mélenchon, le conjurant de soutenir la candidature Hamon au nom de la nécessaire unité de la gauche, et de discuter ensemble de l’avenir de celle-ci tandis que lui rejetait régulièrement et insolemment toute proposition de ce genre. Le candidat socialiste a fini par s’aviser, mais bien tard, que pour lui le danger n’était pas situé seulement sur sa droite mais aussi, et peut-être surtout, sur sa gauche. Il critique désormais la politique européenne de Mélenchon ainsi que ses déclarations favorables à une entente avec Poutine. Il prend conscience qu’un social-démocrate, même très à gauche, ne le sera jamais assez pour satisfaire l’extrême-gauche et que son projet stratégique n’est pas réalisable. Le PS et La France insoumise deviennent du coup les deux nouvelles gauches irréconciliables.

La boucle est bouclée, l’impasse stratégique du candidat socialiste apparaissant dans toute sa cruelle vérité, son projet ne pouvant déboucher ni sur l’union des gauches anti-libérales ni sur celle de la gauche social-démocrate. Pire encore, la dynamique politique actuelle semble profiter à Mélenchon et non au candidat socialiste, les intentions de vote présidentiel plaçant le premier devant Benoît Hamon qui n’obtient qu’un peu plus de 10%. Si ces intentions de vote se confirment le 23 avril et que le candidat socialiste arrive en cinquième position, c’est l’avenir même du Parti socialiste qui sera gravement compromis. Les élections législatives qui auront lieu dans la foulée risquent alors d’être catastrophiques pour un parti faible et isolé. Le Parti socialiste ne disposerait plus à ce moment-là d’un espace politique suffisant pour lui permettre de jouer dans l’avenir un rôle politique de premier plan, comme ce fut déjà le cas en 1969 pour la SFIO qui disparut – après que son candidat, Gaston Defferre, eut obtenu 5% au premier tour de l’élection présidentielle – pour laisser la place, deux ans plus tard, à François Mitterrand. Une nouvelle époque s’ouvrait alors pour le Parti socialiste français. Une époque qui est en train de se clore.