PS : à quoi serviront (vraiment) les primaires ? edit
Le Parti socialiste vient d'adopter les règles qui vont s’appliquer pour l’organisation de sa primaire présidentielle. À quoi va-t-elle servir ? C’est la question que l’on est en droit de se poser après les récentes déclarations de plusieurs dirigeants du parti.
Deux conceptions s’opposent en réalité dans la manière de concevoir cette primaire ouverte. La première est proche de la réalité américaine, mais elle se place également dans la suite logique de la précédente primaire – fermée – organisée par le PS en 2006. Plusieurs candidats socialistes ayant des personnalités mais aussi des programmes et des idées relativement différents les uns des autres entrent en concurrence dans un contexte de relative neutralité de la direction et sans projet contraignant élaboré par le parti lui-même, le Premier secrétaire n’étant pas lui-même candidat. Dans cette conception, la primaire est une compétition suffisamment ouverte pour que les sympathisants –hier les adhérents – puissent choisir celui qui correspond le plus à ses souhaits. La mobilisation de ces sympathisants, qui est absolument nécessaire pour donner un intérêt à cette primaire et une légitimité claire au candidat désigné, dépend fortement du caractère véritablement ouvert et compétitif de cette procédure. L’espace idéologique et politique de la compétition doit donc être suffisamment ouvert pour qu’elle ait un sens, un intérêt et que le résultat ne soit pas connu d’avance. Dans cette optique, le parti et sa direction doivent être relativement discrets et il est préférable que le leader du parti ne soit pas candidat, ou s’il l’est – ce qui n’est pas souhaitable –, qu’il le soit, si l’on peut dire, en son nom personnel comme les autres candidats à la candidature. Les candidats ne doivent pas alors être excessivement contraints par les textes programmatiques du parti. C’est plutôt cette conception qui semble avoir dominé la réflexion qui s’est développée dans le parti après l’élection présidentielle de 2007.
Or, c’est dans une direction tout à fait différente que semble aujourd’hui s’orienter la direction du PS. D’abord, il fait de moins en moins de doute que la Première secrétaire s’apprête à être candidate, ce qui est déjà un premier élément, fondamental, de différence. Car derrière elle, il est clair que la direction véritable de ce parti – ses partisans, ceux de Laurent Fabius et la gauche du parti – est clairement engagée en faveur de sa candidature.
Ensuite le parti vient d’adopter un document qui, s’il n’est pas un programme imposant absolument ce que les candidats devront dire, est néanmoins un projet qui indique ce qu’ils ne devront pas dire. Par exemple que la retraite à 60 ans est négociable. Martine Aubry, en disant la semaine dernière que « chacun a bien compris que nous devions collectivement porter ce projet », avant d’ajouter que « nous saurons trouver, avec notre intelligence collective et avec l’aide des Français, dans les primaires, la ou le candidat(e) qui pourra porter ce projet », ne désignait-elle pas ainsi son porteur naturel, c'est-à-dire elle-même ?
Mais surtout, ce qui met en question le processus de la primaire dans sa conception même c’est le discours que la direction tient depuis quelques jours sur la nécessité de l’unité tout se suite, valeur qui est centrale dans le modèle génétique même du parti. Commentant les déclarations, par ailleurs ambiguës de Ségolène Royal, prête à sacrifier sa candidature sur l’autel de l’unité du parti, Benoît Hamon s’est félicité de ce langage, entonnant lui-même l’air de l’unité nécessaire dès maintenant. Mais alors, si l’unité du parti regroupé derrière sa Première secrétaire et autour d’un projet doit être réalisée avant et non après le choix du candidat, à quoi sert réellement la primaire ? En effet, tout candidat à la candidature qui voudra affronter la Première secrétaire dans la primaire risque d’apparaître comme un candidat de division, voire comme un adversaire. C’est ce que voulait dire Benoît Hamon lorsqu’il estimait, dans le langage qui lui est propre, que « Strauss-Kahn fait chier de faire ses déclarations en plus d’être à Washington à la tête du FMI ». Ainsi l’un des candidats potentiels les plus crédibles à la primaire est disqualifié d’entrée de jeu. Le seul fait pour un socialiste de diriger le FMI est en soi presque infâmant. Plus généralement, c’est d’autres candidats possibles, François Hollande et Manuel Valls par exemple, que le même Benoît Hamon voulait sans doute aussi parler lorsqu’il ajoutait : « Cette aile droite est marginalisée au sein du parti et ne pèse pas autant qu’on pourrait croire ». On comprend dans ces conditions que Ségolène Royal, par sa déclaration et par ses surenchères « anti-Sarkozy » ait reconnu qu’elle devait coller ou faire semblant de coller à l’appareil du parti pour garder une chance d’être candidate et donc entonné, elle aussi, le grand air de l’unité.
Ainsi, l’appareil partisan est en train de contourner la difficulté que représenterait pour lui la part d’incertitude qui fait l’intérêt d’une véritable primaire ouverte, en verrouillant d’entrée de jeu la procédure. Les dés seront pipés puisque l’éventuelle compétition interne ne sera pas présentée par l’appareil comme une compétition loyale et légitime entre des candidats également légitimes mais comme un combat entre un appareil du parti pouvant à tout instant agiter l’arme du projet et appeler à l’unité incarnée par son leader, et des candidats qui ne représenteraient pas véritablement la ligne du parti. Bref le combat éternel entre la gauche – la direction du parti représentée par sa Première secrétaire – et des candidats égarés dans les impasses du modérantisme, du libéralisme ou d’autre chose.
Ce faisant, il faut reconnaître que la direction du parti joue bien à court terme même si le vote des sympathisants n’est jamais certain. Elle se place en bonne position, contrairement à 2006, pour garder le contrôle de la situation. Ségolène Royal a bien compris la gravité du danger mais il lui sera difficile de le contrer cette fois-ci.
À un peu plus long terme, le Parti socialiste prend cependant deux risques majeurs. Le premier est que cette primaire, ainsi conçue, déçoive et démobilise des Français comprenant qu’il s’agit d’un jeu de dupes. Or une primaire ratée serait un handicap réel pour affronter l’élection présidentielle. Le second est qu’une primaire réellement ouverte a aussi pour fonction de se donner les meilleures chances de désigner le meilleur candidat possible, c'est-à-dire en présentant un véritable choix aux électeurs dès la primaire. Martine Aubry a l’air convaincue désormais qu’elle est la meilleure candidate socialiste possible. C’est tout à fait possible, mais si tel est le cas, il aurait mieux valu donner aux électeurs les conditions les meilleures pour le dire. Il n’y avait là que des avantages. Et si non…
L’unité avant tout et tout de suite : la vielle culture unanimiste du parti demeure intacte. Elle n’a pas toujours eu des effets positifs dans le passé. Il n’est pas sûr qu’elle corresponde à l’état actuel de notre démocratie, état qui pourtant, bien analysé au départ, avait précisément suggéré l’instauration de cette primaire « ouverte » !
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