Politique étrangère: Donald Trump au miroir de Berlusconi? edit

24 mars 2016

Les ressemblances troublantes entre Trump et Berlusconi ont déjà été l’objet de quelques commentaires et d’articles dans la presse, souvent à juste titre. L’homme d’affaires italien a fondé sa fortune sur un grand groupe financier et médiatique, Mediaset, là où son homologue américain, un magnat de l’immobilier, est devenu homme de médias grâce à son émission, The Apprentice. L’argent-roi et le spectacle semble unir les deux hommes, l’un s’étant illustré dans le football européen à la tête du Milan AC, l’autre s’étant rapproché un temps du monde du catch et du golf aux Etats-Unis.

Fortune faite, la célébrité cathodique de ces deux milliardaires leur a donné un appétit politique certain, se positionnant en fonction des opportunités du moment : Silvio Berlusconi, un temps proche du socialiste Bettino Craxi, s’est ensuite consacré au mouvement de centre-droit qu’il a créé autour de valeurs de liberté, chrétiennes, de la famille et du travail. Aussi opportuniste, Donald Trump a alterné ces dernières décennies autour des deux grands partis américains (après un passage de quelques années par le Parti de la réforme), s'étant rallié aux Démocrates entre 2001 et 2009 avant de repasser aux Républicains. Dans les deux cas, leur figure est apparue à un moment de difficulté pour les modérés de leur camp : la démocratie chrétienne s’était retrouvée décimée en Italie peu avant 1994 suite à l’opération « mani pulite », tandis que la montée de mouvements radicaux comme le Tea Party marginalise les candidats de l’establishment dans la présente primaire républicaine.

Sans doute les affinités de l’Américain et l’Italien ne sont pas similaires en tout point : derrière une rhétorique parfois inspirée par la Commedia dell’arte, le Milanais était également un collectionneur de tableaux et d’art, et il s’est lui-même, lorsqu’il était à la tête du plus grand éditeur italien, occupé en personne de l’édition d’ouvrages de Machiavel, de Thomas More et de Marx et Engels. Pour l’heure, Donald Trump n’a pas communiqué un intérêt comparable pour les trésors de la Renaissance, sa réussite dans les affaires restant son principal vecteur de légitimité.

Si leur ressemblance dans la conquête du pouvoir est frappante, il reste à voir ce que pourrait donner l’exercice du pouvoir, particulièrement en matière de politique étrangère. Lors de son deuxième (2001-2006) et troisième passage (2008-2011) au gouvernement, Silvio Berlusconi a pu être à la fois considéré comme atlantiste (favorable à la guerre d’Irak) et proche de Vladimir Poutine. Plus qu’une proximité historique entre les deux pays, restés par exemple en bons termes y compris à l’époque de la Guerre froide, les bonnes relations entre les dirigeants et les intérêts économiques et géopolitiques ont joué un rôle dans l’élaboration de cette relation spéciale, ces différents facteurs pouvant se retrouver sous de nouvelles formes chez Donald Trump.

Au sujet de l’affinité des dirigeants, le style macho et autoritaire de Poutine a exercé une véritable attraction sur Silvio Berlusconi, les deux partageant la même volonté de s’éloigner du politiquement correct. Cette bonne relation se manifeste encore aujourd’hui : alors qu’il n’est plus au pouvoir, l’ancien Président du Conseil a été pressenti en juillet 2015 comme possible ministre de l’Économie de la Fédération de Russie. Plus récemment encore, en septembre 2015, les deux hommes se sont retrouvés en Crimée, l’Italien devenant ainsi le premier ancien chef de gouvernement européen à le faire. Assurément, Donald Trump se retrouvera dans ce style, les saillies misogynes et xénophobes de sa campagne contribuant assurément rapprocher le style des deux hommes. Précisément, l’électorat de Donald Trump ne se distingue pas par son niveau d’éducation, ses revenus ou ses origines, mais par son attirance pour l’autoritarisme, rendant la critique envers Vladimir Poutine moins pavlovienne. La rhétorique de John McCain, l’un des plus fervents contempteurs du président russe sur l’échiquier politique américain, semble lointaine. Par contraste, Donald Trump n’a pas manqué d’affirmer qu’il serait capable de faire affaire avec Vladimir Poutine, étant mu comme lui par un rejet commun d’Obama, et la volonté de sortir du cadre qu’on veut lui imposer.

Le facteur économique pourrait également avoir son importance, mais d’une autre manière que pour l’Italie. Si Silvio Berlusconi n’était pas à l’origine du projet de gazoduc South Stream, fruit des relations entre ENI et Gazprom, il a constamment soutenu son développement, malgré le courroux de quelques Etats-membres au sein de l’Union européenne. Les opportunités d’affaires entre Washington et Moscou sont sans doute moindres qu’entre Russes et Européens, du fait de la structure des exportations russes, s’appuyant largement sur des matières premières et notamment des ressources énergétiques, dont les Etats-Unis n’ont pas besoin. Face à la posture commerciale agressive que souhaite promouvoir Trump, la Russie ne semble pas être aux premières loges, même si les deux pays se retrouvent désormais en concurrence sur le marché du pétrole, dont les Etats-Unis sont devenus récemment exportateurs.

Pour l’heure, les prises de position de Donald Trump en matière de politique étrangère font de fait apparaître une hostilité envers la Chine, le Mexique et le Moyen-Orient. Par contraste, la Russie, ainsi que Vladimir Poutine, semblent relativement épargnés, dans un pays où ce dernier n’a pourtant pas bonne presse, ni de réels soutiens au sein du Congrès. La Chine en tant que partenaire économique trop efficace à son goût, le Mexique pour ses émigrants qu’il dénigre violement et le Moyen-Orient du fait de sa méfiance envers l’islam et les musulmans, apparaissent comme ses cibles premières. Face à Barack Obama et Hillary Clinton qui sont considérés comme responsable de l’enracinement de l’Etat islamique, le natif de New York affirme sans ambages sur CBS que « Tant que (Poutine) attaque l’EI, je suis pour ».

L’hypothèse d’une arrivée de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis marquerait-elle une nouvelle ère dans les relations russo-américaines ? Au-delà des incertitudes autour de la candidature de Trump et de son efficacité électorale dans une élection nationale, un certain nombre de freins pourraient bloquer cette perspective. Certes, son éventuelle arrivée au pouvoir ne devrait d’évidence pas s’accompagner d’une nouvelle dégradation des relations, déjà fortement abîmées. Sans doute cependant, Trump ne pourra pas aller aussi loin qu’il le voudrait dans le développement de cette relation : la reconnaissance de l’annexion de la Crimée n’est pas à l’ordre du jour. La complémentarité des politiques au Moyen-Orient, la force des intérêts économiques en présence et le jeu des alliances ne convergeront pas spontanément vers une alliance durable. Au-delà des bonnes relations personnelles, Poutine ayant vu dans Donald Trump « un homme brillant et plein de talents » dans sa conférence de presse annuelle de décembre 2015, la question de la capacité du président à s’imposer au Congrès reste entière, puisque la Russie reste l’une des cibles principales du lobby militaro-industriel. Il faudrait, pour être suivi, mener une politique très vigoureuse à l’égard de la Chine, tant pour des raisons économiques que géopolitiques.

Au final, que Donald Trump, à l’exemple de Silvio Berlusconi, soit a priori plus à même de coopérer avec Vladimir Poutine que Hillary Clinton semble évident ; que le candidat républicain soit en mesure de réorienter le cours des relations russo-américaines reste à démontrer.