Les jeunes sont-ils sacrifiés par la protection sociale? edit

18 avril 2016

L’excellente note de d’Albis, Cusset et Navaux pour France Stratégie, Les jeunes sont-ils sacrifiés par la protection sociale, souligne le déséquilibre croissant de la structure par âge des dépenses publiques. Elle a retenu l’attention des medias, notamment en faisant la Une du Monde par Patrick Roger le 31 mars avec son article « Les politiques publiques favorisent les vieux ». L’OCDE avait relevé dans son Étude économique sur la France en 2013 que la hausse tendancielle des dépenses publiques en France, principal moteur du déséquilibre des finances publiques depuis plusieurs décennies en l’absence de politique budgétaire adaptée, était alimentée par la montée en charge des dépenses sociales de santé et de retraite. Celle-ci était d’ailleurs largement prévue compte tenu du vieillissement démographique anticipé, et ces prévisions largement connues. France Stratégie a donc raison de mettre en avant les modifications de la structure par âge des bénéficiaires des politiques publiques. Analysons trois questions qui en découlent. Cette déformation implique-t-elle un transfert intergénérationnel des baby-boomers vers les jeunes ? Se fait-elle au détriment des jeunes ? Quelles pourraient être les mesures correctrices ?    

La hausse des dépenses de retraite reflète la part croissante des personnes âgées dans la population. Le poids des dépenses de retraite dans la richesse nationale (PIB) atteint un niveau proche de 14% du PIB, plaçant la France et le Portugal au troisième ou quatrième rang des pays de l’OCDE après la Grèce et l’Italie, dépenses publiques et privées confondues. Ce ratio est le produit de trois facteurs : le nombre de retraités rapporté à celui des personnes en emploi ; la pension moyenne relativement au salaire moyen ; et le ratio entre salaire et productivité du travail qui déborde largement le cadre de cet article.

Le vieillissement démographique implique à politiques inchangées l’augmentation du premier facteur, appelé un peu improprement « taux de dépendance des personnes âgées », et donc mécaniquement la hausse des dépenses de retraite dans le PIB. Pour annuler cet effet il faudrait que l’âge effectif de la retraite s’accroisse de façon à stabiliser le ratio de dépendance (premier facteur). Sinon, pour contrecarrer l’impact de l’augmentation du ratio de dépendance, le revenu relatif des retraités devrait s’ajuster à la baisse (deuxième facteur).

En France, l’âge effectif moyen de sortie du marché du travail a stoppé sa tendance baissière au début des années 2000 et s’est un peu redressé depuis, en partie sous l’effet des réformes de retraite ; cependant, il reste le plus faible parmi les pays de l’OCDE, ce qui accroît le nombre de retraités compte tenu du vieillissement de la population. De plus, le taux de chômage est resté structurellement élevé, ce qui tautologiquement limite le nombre de personnes occupant un emploi. Le taux de dépendance s’est donc accru. Les réformes de retraite passées entraînent une baisse des taux de remplacement des pensions, limitant la dérive des dépenses, mais leurs effets ne jouent pas encore pleinement. On le voit, pour éviter que les pressions sur les dépenses de retraite ne se traduisent à nouveau par une baisse des pensions futures, l’augmentation de l’âge effectif de départ à la retraite et l’amélioration des performances d’emploi sont essentielles.

Néanmoins la question reste posée : la hausse des dépenses dont bénéficient principalement (santé) ou exclusivement (retraite) les personnes âgées traduit-elle inéluctablement un transfert intergénérationnel ? Inéluctablement, non, mais dans le cas de la France, oui. Tout d’abord, on pourrait imaginer de financer la hausse des dépenses par celle des cotisations retraite. Outre l’effet négatif d’une telle mesure sur l’emploi et la compétitivité des entreprises, la baisse du revenu disponible induite (que ce soit les cotisations employés ou employeurs qui augmenteraient) serait bien au cœur du transfert intergénérationnel des salariés vers les retraités actuels. Dans le cas français, il y a bien transfert intergénérationnel car les retraités actuels reçoivent un niveau de pension bien supérieur à ce qu’autorisent actuariellement (quelles que soient les hypothèses retenues) leurs cotisations passées. La France a fait le choix d’un système par répartition, et ses paramètres n’étant pas initialement fixés pour assurer sa viabilité financière le transfert intergénérationnel est devenu inévitable.

Ce transfert se fait-il au détriment des jeunes ? Pour répondre à cette question il faut s’interroger sur le financement du surplus des prestations perçues par les personnes âgées relativement à leurs contributions. Le déficit cumulé s’est mué en réalité en un problème de finances publiques. Il est et sera financé par les contribuables notamment via les cotisations sociales, y compris ceux qui devront rembourser la dette publique transférée. En grande partie le transfert a déjà eu lieu via les pensions versées ; les actions envisagées ne peuvent qu’en limiter la portée. Revenir sur les engagements pris sur le niveau actuel des pensions – la méthode la plus directe – n’est en effet pas concevable, tant en raison de sa brutalité que de ses effets délétères sur la confiance dans le contrat social que représente un système des retraites par répartition. L’instrument le plus propice pour rééquilibrer la dimension intergénérationnelle dans un environnement budgétaire fort contraint consiste à supprimer les nombreuses niches fiscales et sociales non ciblées dont bénéficient encore les retraités. Mais la question du financement de l’assurance maladie mérite peut-être aussi d’être posée. Au-delà de la CSG, assortie d’un taux minoré pour les retraités, une grande partie reste financée par les actifs via les cotisations employeurs. Un basculement sur la fiscalité contribuerait à répartir son financement plus équitablement entre les générations.

Le lien avec la situation des jeunes est donc étriqué. Les difficultés qu’ils rencontrent sont certes nombreuses,  que ce soit dans le parcours éducatif ou l’accès à l’emploi. Dans ces domaines, les politiques publiques ne souffrent pas en France d’un manque de moyens en comparaison internationale : les problèmes principaux ne sont pas financiers, mais davantage liés au manque d’efficacité des politiques de l’éducation et de l’insertion des jeunes dans le marché du travail. Néanmoins, à condition que des politiques d’activation efficaces soient mises en œuvre, la situation matérielle des jeunes devrait être améliorée via l’extension du RSA ou la Garantie jeunes.

On peut donc soutenir à la fois la suppression des niches fiscales bénéficiant aux retraités et l’amélioration du filet social pour les jeunes. Le lien entre les deux est ténu cependant. Il n’est que marginalement lié aux causes essentielles du transfert intergénérationnel qui renvoie à la générosité passée du système de retraite, à une sortie trop précoce du marché du travail – et donc en partie au faible niveau de l’âge minimum légal de départ à la retraite - , à l’existence de régimes spéciaux et au financement de l’assurance maladie.  

Note. Les opinions exprimées dans cet article sont celles de leur auteur et n’engagent que lui.