Pour les économistes l’immigration n’est pas un problème edit

17 avril 2012

La France est-elle confrontée à une vague d’immigration légale massive, comme certains acteurs de la campagne le prétendent ? En 2008, notre pays comptait 5,2 millions d’immigrés, soit l’équivalent de 8,4% de sa population (10,6% si on intègre également les Français nés à l’étranger). A l’heure actuelle, ce sont environ 200 000 ressortissants étrangers qui s’établissent chaque année en France. Est-ce beaucoup?

Ce chiffre représente à la fois l’équivalent d’une ville française de taille moyenne, Rennes par exemple, comme le soulignait récemment Claude Guéant, soit 0,31% (3,1 pour mille dirons les démographes) de la population totale. À titre de comparaison, l’Allemagne a accueilli en 2010 plus de 800 000 migrants sur son sol (ce chiffre est celui des entrées, non celui du solde migratoire; il est à comparer avec celui de 200 000 en France; cf. infra). Avec un tel taux d’immigration, la France se révèle être l’un des pays les plus fermés parmi les pays de l’OCDE ; seul le Japon, connu pour être très hermétique, a un taux plus faible.

Cependant, face aux 200 000 entrées, on trouve un nombre conséquent de sorties de Français, mais surtout d’étrangers qui repartent. En 2010, le solde migratoire (différence annuelle entre les entrées et les sorties du territoire) se situe aux environ de 75 000 personnes. En termes relatifs, ce solde était donc de 1,2 pour mille, c’est-à-dire environ deux fois moins que celui observé au cours des années 1960 dans notre pays, et d’un niveau incomparable aux sommets atteints par certains de nos voisins tels que l’Allemagne (10 pour mille au début des années 1990), le Royaume-Uni ou les États-Unis (5 pour mille) et sans aucune commune mesure avec les taux espagnols du début des années 2000 (15 pour mille entre 2002 et 2007). On se trouve donc bien loin de l’image d’une invasion migratoire.

Les immigrés sont-ils responsables de la montée du chômage et empêchent-ils les salaires, en particulier des travailleurs peu qualifiés, d’augmenter ? Ces questions sont au cœur du débat actuel sur l’immigration. L’institut Ipsos révélait au mois d’août 2011 que 41% des Français soutiennent l’idée selon laquelle les immigrés rendraient l’accès à l’emploi plus difficile aux autochtones. Aux antipodes de cette perception, les économistes aboutissent, fait rare pour être signalé, à un relatif consensus sur une absence d’effets visibles négatifs sur l’emploi ou le niveau de salaire des natifs. Tout simplement parce que l’arrivée de nouveaux immigrés ne se traduit pas par un partage du travail entre autochtones et immigrés, comme on partagerait un gâteau en parts d’autant plus petites que le nombre de convives est grand.

Pour faire simple, l’immigration est souvent assimilée à un choc d’offre sur le marché du travail : en théorie, elle devrait provoquer des pressions à la baisse sur les salaires si elle accroît le degré de concurrence entre des travailleurs « substituables ». Dans le cas de rigidités salariales (par exemple du fait de l’existence d’un salaire minimum), l’effet dépressif de l’immigration passerait alors par des pressions à la hausse sur le chômage. Mais ce type de raisonnement simple n’offre qu’une vision très partielle d’une réalité bien plus complexe. Tout d’abord, l’immigration agit certes sur l’offre de travail, mais également sur la demande. Les immigrés contribuent à augmenter la demande finale de biens et de services, ce qui stimule l’activité et, par ricochet, l’emploi. Une étude récente des Nations Unies montre ainsi qu’une hausse de 1% de la population active provenant de l’immigration augmente également le PIB de 1%. Ensuite, les immigrés entrent plutôt dans une relation de complémentarité plutôt que de substituabilité avec les autochtones. Il suffit pour s’en convaincre de mettre en évidence la forte concentration des travailleurs immigrés dans certaines activités (par exemple l’hôtellerie-restauration, le bâtiment, la sécurité, le nettoyage). Enfin, le stock de capital n’est pas donné et l’économie d’accueil adapte progressivement ses moyens de production et ses infrastructures à l’arrivée de nouveaux travailleurs. C’est ce qui explique, par exemple, pourquoi le retour de 900 000 rapatriés d’Algérie après la signature des accords d’Evian en 1962 n’a eu qu’un impact très limité sur le fonctionnement du marché du travail des départements concernés.

L’immigration serait enfin un fardeau pour les finances publiques. La raison communément avancée repose sur la perception que l’immigré en France est une personne en moyenne moins qualifiée qu’un natif, plus souvent au chômage, et ayant un plus grand nombre d’enfants. Même si cette perception n’est pas toujours fausse, le bon sens qui part de ce constat pour conclure à un impact négatif conséquent sur les finances publiques ne s’en trouve pas moins pris en défaut. C’est ce que nous avions mis en évidence dans une précédente contribution (“ Immigration : combien ça coûte ”, Telos, 14 décembre 2010). Il s’avère ainsi que les immigrés, même s’ils sont surreprésentés dans un certain nombre de branches de la protection sociale (famille, logement, chômage et assistance), et même si leur contribution aux finances publiques est en moyenne inférieure à celle des autochtones, ne représentent pas véritablement un coût du point de vue des finances publiques.

L’explication réside dans un effet de structure par âge. Notre système de protection sociale est pour l’essentiel ascendant, c’est-à-dire qu’il concerne des transferts allant des actifs vers les inactifs, c’est-à-dire majoritairement vers les retraités. Les deux branches de la protection sociale qui sont les plus affectées par le nombre de personnes âgées, à savoir la retraite et la santé, représentent déjà à l’heure actuelle près de 80% de l’ensemble des dépenses sociales de notre pays. Par ailleurs, les migrants sont regroupés dans les catégories en âge d’activité : 55% ont entre 25 et 55 ans (contre 40% dans la population totale). Au final, cet effet de structure par âge, c’est-à-dire le fait que les migrants sont regroupés dans les catégories de ceux qui paient davantage qu’ils ne reçoivent du système de redistribution, va venir entièrement contrebalancer l’éventuel « surcoût » pour certaines branches de la protection sociale.

Fort bien, nous direz-vous, mais ces immigrés dans la force de l’âge ne vont-ils pas vieillir et peser sur le budget ? A contrario, leurs enfants qui représentent aujourd’hui une charge pour les finances publiques se trouveront plus tard en âge de travailler. Ce qui importe est donc la contribution des immigrés et de leurs descendants sur l’ensemble de leur cycle de vie. Ainsi, si l’on reproduit à l’horizon de plusieurs décennies la politique migratoire actuelle, où 70% des nouveaux entrants ont moins de 30 ans, le bilan dynamique pour les finances publiques est légèrement positif du fait de l’apport perpétuel d’individus d’âge actif. Ce n’est donc pas un quelconque durcissement de notre politique migratoire qui permettra de résorber nos problèmes de déficits budgétaires, et en particulier celui de la protection sociale.

Sur cette question de l’impact économique de l’immigration, le « bon sens » se trouve donc pris en défaut. Les contributions des économistes sont sans équivoque et unanimes : l’immigration ne représente pas un coût pour l’économie française. Il ne faut pas pour autant en conclure qu’elle pourrait constituer la solution face aux problèmes des économies vieillissantes. Les véritables enjeux de l’immigration ne se situent donc pas dans le champ économique. Ils se situent dans le champ politique et identitaire.