Le mur contre les réformes edit
Ça y est, c’est parti! La petite musique lancinante a commencé. Les maires, les militaires, les syndicats, les magistrats, et tous les groupes de pression commencent à se plaindre du tout début des intentions de changement de Macron. La somme des intérêts particuliers ne constitue pas l’intérêt général, cela n’a jamais été le cas, mais le bruit monte, relayé par des médias apparemment crédules. Goutte à goutte, le poison de ces râles si français va atteindre l’opinion publique et les marges de manœuvre du tout nouveau président vont commencer à se réduire. Face à une pression qui va aller crescendo, Macron va devoir affronter le grand défi que tout réformateur connaît un jour ou l’autre.
Macron a choisi la réforme du marché du travail pour constituer l’axe fondateur de sa présidence. Les syndicats, un moment sidérés par le souffle des élections présidentielle et législative, ont d’abord fait preuve de modération. Au fur et à mesure où les contours de la réforme se précisent, ils commencent à tracer un peu partout des lignes rouges et certains parlent déjà de « luttes sociales » à la rentrée. Le pinaillage sur l’inversion des normes (c’est au niveau de l’entreprise que seront conduites les négociations les plus sensibles) cache une lutte pour le pouvoir. C’est à ce niveau que les syndicats sont le plus faibles car les employés comprennent que leurs intérêts ne sont pas solubles dans les querelles idéologiques. Les syndicats préfèrent que les négociations soient conduites au niveau des branches, puisqu’à ce niveau, toutes les entreprises du secteur cessent d’être concurrentes. En effet, elles sont toutes affectées peu ou prou de la même manière par des accords qui augmentent leurs coûts ou freinent leur productivité. Du coup, elles sont tentées de préférer un mauvais accord à une fermentation sociale. Certes, elles risquent de souffrir à l’international, mais l’économie française est relativement fermée – au total les échanges internationaux ne représentent que 30% du PIB contre plus de 40% en Allemagne ou presque 80% aux Pays-Bas – ce qui rend parfois la paix sociale plus importante que la compétitivité. Non seulement les entreprises sont plus enclines à accepter de mauvais accords de branche, mais c’est aussi à ce niveau que les syndicats emploient le plus de permanents. La défense de l’emploi des syndicalistes est la ligne rouge la plus sacrée.
Bien sûr, l’inversion des normes n’est pas la seule question qui fâche. Les conditions de licenciement, les contrats plus flexibles car mieux adaptés aux besoins fluctuants des marchés, l’encadrement des tribunaux pour réduire l’incertitude légale figurent parmi les sujets qui ont marqué les débats sur la loi El Khomri et les reculades de François Hollande. Faire revivre ce moment intense d’agitation sociale est évidemment un objectif essentiel des idéologues, pour qui la lutte des classes est plus importante que la performance économique du pays. La France insoumise est déjà à la manœuvre pour ce fameux troisième tour des élections.
L’autre source d’agitation est la réduction du poids de l’État. J’ai déploré sur Telos la faiblesse des intentions (une baisse des dépenses de 3% du PIB et des recettes de 1% sur cinq ans alors que 10% serait un objectif à la fois réaliste et ambitieux) tout comme je regrette la sanctuarisation d’un déficit budgétaire en dessous de 3% en début de mandat. Mais de toute façon, tôt ou tard, il faudra couper dans les dépenses. Où couper et de combien est un choix éminemment politique, donc forcément arbitraire. Collectivement, l’objectif est incontournable, mais évidemment chacun préfère que cela se passe ailleurs. La logique, ici, est de créer une sorte de solidarité dans l’effort collectif, mais les premières réactions sont déjà spectaculairement corporatistes. La Grande Muette n’a pas attendu des heures pour se plaindre publiquement, même si on lui promet des ressources accrues plus tard. Les maires angoissent devant la quasi disparition de la taxe d’habitation, même si le gouvernement promet des compensations. Le monde de la justice a repris le refrain de la paupérisation au lieu de proposer des pistes pour accroître sa productivité, donc de faire plus avec moins. Tout ceci a l’apparence de la normalité. Des personnes qui travaillent avec un haut niveau de conscience professionnelle ont toujours du mal à comprendre que l’on cherche à réduire leurs moyens, qui sont toujours insuffisants, c’est vrai. Mais enfin, c’est aussi le cas dans le secteur privé. Cependant, là, l’aiguillon salutaire de la concurrence a inculqué depuis longtemps la notion que la productivité est l’alpha et l’oméga de la survie des entreprises. Toute naturelle qu’elle soit, la pérennité assurée du service public ne peut masquer la réalité. Le service public est un monopole, bien protégé de la dure loi de la concurrence, mais ce n’est qu’une apparence. L’amélioration du niveau de vie général du pays passe par un effort continu de gains de productivité, partout. A commencer par les services publics, qui absorbent une part considérable du PIB, et contribuent ainsi à déterminer la croissance du pays.
Tous les acteurs de cette saga savent bien ce qui se passe. Ils jouent leurs rôles classiques, et c’est là que le bât blesse. Pour que la France se réforme, ce que veut une large majorité de gauche comme de droite et ni-de-gauche-ni de droite, la partition doit changer. C’est bien cela le pari de Macron. Il a déjà engrangé des succès majeurs, à commencer par sa propre élection et sa majorité parlementaire. Au PS comme chez les Républicains, les « constructifs » acceptent le changement. Mais le bruit de ceux qui restent arc-boutés dans leurs vieux réflexes et leurs certitudes idéologiques va aller s’amplifiant. Macron et tout le gouvernement devront faire preuve d’une très grande pédagogie. Les médias aussi font face à une responsabilité historique. Relayer l’accumulation des complaintes fait partie du devoir d’information, les situer dans le contexte d’un effort inédit de réforme, et des résistances qui vont avec, est essentiel.
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