Pigeons volent… edit

9 octobre 2012

Le gouvernement est dans l’embarras : peut-on trouver gens plus sympathiques que les fondateurs de start-up ? Manifestement non : d’où la gêne quand ceux-ci s’insurgent contre le projet de loi de finances qui taxe de même façon au barème de l’impôt sur le revenu, les revenus du travail et les plus-values de cession. Alors ?

Premier point : le débat sur la taxation des plus-values de cession se ramène au débat plus général sur la taxation des revenus du capital, à savoir : faut-il les taxer à l’égal des revenus du travail ? En effet, si les taux diffèrent entre plus-value et revenus du capital, il est facile pour l’entrepreneur qui cède son entreprise de se distribuer (ou non) avant cession un dividende qui ira en déduction du prix de vente. L’arbitrage fiscal est facile.

Deuxième point, il n’y a que quatre solutions pour taxer les revenus du capital :

1. ne pas les taxer ;

2. les taxer à un taux fixe, inférieur au taux marginal de l’IR, solution retenue par les Scandinaves et qui était le régime commun jusqu’à ce projet de budget ;

3. les taxer comme les revenus du travail, choix fait par François Hollande au moment de sa candidature ;

4. les taxer selon une échelle progressive, prenant par exemple les taux progressifs appliqués aux revenus du travail, mais en les divisant par deux, solution que retiennent à peu près les États-Unis.

Au risque de surprendre, ne pas les taxer du tout n’est pas absurde. L’impôt sur les revenus du capital a en effet le gros défaut de fausser le comportement d’épargne des personnes physiques. Imaginez Pierre et Paul touchant tous les deux 100 € en revenu du travail. Pierre décide de consommer tout son revenu tout de suite ; Paul d’attendre un an et donc d’épargner intégralement son revenu la première année au taux de rendement de disons 10%.

Si le revenu du capital n’est pas taxé, Paul pourra consommer 110 la seconde année. Si le taux marginal est par exemple de 50%, il ne pourra épargner que 50, qui donneront un revenu brut de 55 l’année suivante. Mais il devra la seconde année payer l’impôt sur les 5 € de revenu financier. Sa consommation sera donc de 55 – 2,5 = 52,5 €. Le taux de rendement est réduit à 5%. Paul peut trouver alors plus sage de suivre Pierre et de consommer tout immédiatement.

Aujourd’hui en France, avec un taux d’impôt marginal à 45% + 15,5% de CSG-CRDS, la charge est de 60,5%. Si le taux de rendement espéré de l’épargne est de 5%, une belle performance par les temps qui courent, ça fait en net du 2%. Moins que les 2,25% hors taxes du livret A, qui devient le placement imbattable du moment.

C’est sur cette base qu’un grand économiste (de gauche) comme Nicholas Kaldor a proposé dans les années 50 de ne taxer que la consommation. Comme les hauts-revenus épargnent davantage que les bas-revenus, n’est-ce pas injuste ? Pas forcément, puisqu’une telle proposition n’empêche nullement un impôt progressif, par exemple en définissant la base imposable comme le revenu (facile à connaître) moins les placements nets d’épargne du ménage (tout aussi faciles à connaître, puisqu’ils font déjà l’objet d’une déclaration des institutions financières au fisc). Cette progressivité aurait de surcroît l’avantage de limiter la consommation somptuaire des hauts-revenus. Cette proposition est aujourd’hui examinée très sérieusement aux États-Unis, moins en Europe qui dispose de la TVA. Voir ce propos, le livre passionnant de Robert H. Frank (<em>The Darwin Economy: Liberty, Competition, and the Common Good</em>, Princeton University Press, 2012). Il relève que le budget des riches américains consacré à la fête de mariage de leurs filles a été multiplié par quatre sur les 20 dernières années. L’essentiel n’est pas en effet d’offrir un beau mariage en soi à sa fille (qui le jugeait tout aussi beau il y a 20 ans quand il coûtait quatre fois moins cher) ; il est d’offrir un mariage plus beau que celui qu’offre le voisin. C’est évidemment un jeu qui régale les prestataires de services de mariage ! L’impôt peut ici rétablir les bonnes incitations.

Pour autant, cette proposition est trop crue, notamment parce que « riches » et « pauvres » n’ont pas la même latitude d’épargner. Les mêmes économistes amendent donc cette proposition en recommandant d’y ajouter de préférence un impôt sur le patrimoine, et à défaut une taxation, mais moins élevée, des revenus de l’épargne. Tous les rapports faits sur la fiscalité optimale (Meade, Mirrlees – qui est considéré comme la Bible, le rapport de 2005 au Congrès américain…) vont plutôt dans ce sens. Et tous rejettent fortement l’idée de l’alignement pur et simple des taxations sur le travail et sur l’épargne, notamment parce que celle-ci a davantage les moyens de se servir de ses pieds pour quitter le territoire. Dans le cas français, en outre, elle accroît encore le privilège donné aux placements en assurance-vie. 

Le débat s’est tenu dans les coulisses du Parti socialiste avant la présidentielle. L’économiste Philippe Aghion recommandait une taxation à un taux fixe, sur le modèle scandinave. C’était un bon usage du principe de précaution : quand une très grande majorité d’experts recommandent de ne pas faire quelque chose, il est prudent… d’être prudent. Il fallait différer la décision au moment du grand projet de refonte fiscale, celui qui doit se pencher notamment sur la fusion ou pas de la CSG et de l’IR et sur la réduction des charges sociales sur le travail. Il n’a pas été suivi. C’est ce choix qui donne aujourd’hui quelques cheveux blancs aux responsables de Bercy, obligés de trouver en catastrophe les décotes d’impôts propres à éteindre rapidement le mouvement des Pigeons. Espérons que la bévue n’inhibe pas la volonté de faire la grande réforme.