Bon courage, monsieur le futur président ! edit

23 avril 2012

La campagne du premier tour n’a pas vraiment abordé les deux sujets les plus importants : la crise de la dette publique et le chômage. Sans aucun doute, il en ira de même pour la campagne du second tour. Mais François Hollande, dont la victoire semble assurée, va devoir méditer très précisément ce qu’il dit et, surtout ce qu’il va faire. Un petit tour des questions économiques critiques.

Sur la question budgétaire, la situation est claire. La dette publique de la France va atteindre 90% du PIB, un petit cran en-dessous de la dette grecque avant la crise. C’est insoutenable. Le prochain président devra être le premier d’une longue série à reconnaître la discipline budgétaire comme une contrainte incontournable. Dans un pays qui n’a pas connu de surplus budgétaire depuis 1974, cela signifie qu’un profond changement institutionnel est inévitable. La classe politique ne sait pas faire parce qu’elle s’est octroyé une permissivité désastreuse. Elle continue à considérer que les élus du peuple ne peuvent souffrir d’aucune contrainte parce qu’ils représentent… le peuple. Ce slogan est creux. À les croire, le peuple veut plus de dépenses, moins d’impôts et pas de dette, ce qui est évidemment impossible. Chacun le souhaite individuellement mais compte sur les autres pour faire l’effort d’équilibrer les comptes. La responsabilité des politiques est de transformer ces attentes impossibles en une politique cohérente, ce qu’ils n’ont jamais fait, droite et gauche confondues. Seule une règle constitutionnelle contraignante brisera cette attitude funeste. Il ne s’agit pas de plier devant les marchés, mais de gestion élémentaire.

La demande de François Hollande de renégocier le Pacte budgétaire adopté en mars dernier est, à cet égard, parfaitement angoissante. Bien sûr, le plus qu’il peut espérer obtenir est une modification cosmétique sans contenu réel, comme lorsque le pacte de stabilité fut rebaptisé « et de croissance ». Ce qui est grave, ce n’est pas tant de se complaire dans le superficiel, mais de ne pas vouloir comprendre trois points essentiels. Premièrement, la discipline budgétaire n’est pas antinomique de croissance. Au contraire, les travaux empiriques montrent que les pays disciplinés croissent plus vite. Deuxièmement, ce raisonnement confond le court et le long terme. Aujourd’hui, en pleine récession, l’austérité est criminelle car source d’aggravation de la récession. Mais sur le long terme, il faudra bien faire baisser la dette et donc pratiquer la discipline budgétaire. C’est ce qu’exige le Pacte budgétaire. Vouloir injecter des considérations de court terme dans un arrangement exclusivement consacré au long terme est incohérent et dangereux. Enfin, là encore les travaux empiriques montrent que le rétablissement de l’équilibre budgétaire n’est durable que s’il repose sur une baisse des dépenses, et non sur des hausses d’impôts. Le moitié-moitié suggéré par Hollande est à moitié faux. Vu la gravité de la situation, il faudra être bon à 100%. Dans un pays où les dépenses publiques sont parmi les plus élevées au monde, il ne devrait pas être difficile de taper dans les dépenses.

Quant à la gestion de la crise, Sarkozy nous a fait croire qu’il en a partagé le pilotage avec Angela Merkel. C’est une fable. La France, désormais déclassée, a été à la remorque de l’Allemagne. Hollande devra prendre son courage à deux mains et confronter la chancelière. Pour cela, il devra arriver avec des propositions acceptables par nos partenaires, surtout les plus petits pays qui sont outrés de ce que leur a imposé l’Allemagne avec l’appui paradoxal de la France. Soutenir le Pacte budgétaire mais demander aux pays qui ont des marges de manœuvre de faire de la relance est naturel. Défendre l’indépendance de la BCE et la protéger d’un veto allemand en matière de prêteur en dernier ressort est indispensable. Engager en parallèle la mise en place du Pacte budgétaire et l’introduction d’eurobonds est un pas vers la fin de la crise. Accepter des restructurations de dettes publiques et forcer les banques à la recapitalisation est inévitable mais un tabou à Berlin. Bref, Hollande va devoir s’opposer aux visions dogmatiques et rigides de l’Allemagne, mais avec des idées solides et non hexagonales.

L’autre question quasi existentielle, c’est le chômage. Cela fait plusieurs décennies que le taux de chômage fluctue autour de 8%. Il est à environ 25% chez les jeunes, et à 50% chez les jeunes des banlieues défavorisées. Si le taux de chômage global était divisé par deux, et s’il était approximativement le même dans toutes les catégories, comme c’est le cas dans de nombreux pays, il n’y aurait plus de problème de banlieues, la criminalité ne serait plus une honte nationale, le logement cesserait d’être une calamité, les délocalisations seraient une soupape de sécurité, l’immigration serait vécue comme une chance pour l’avenir et le communautarisme deviendrait source de richesse culturelle. Le chômage de masse n’est pas seulement la honte de la France, c’est l’alpha et l’oméga de nos difficultés.

C’est un problème structurel. Une relance peut permettre de gagner temporairement un ou deux points de chômage mais, comme on l’a vu si souvent, le problème ne disparaît pas. Il ne disparaîtra que lorsque le marché du travail aura été réformé. C’était la promesse de Sarkozy, il ne l’a pas tenue. Ses prédécesseurs n’ont rien fait, ou ont aggravé la situation, par exemple avec les 35 heures. Et pourtant, les solutions existent et ont été appliquées dans de nombreux pays. Ici encore, la politique peut avoir des effets délétères.

C’est une tarte à la crème que de dire que la main d’œuvre constitue la richesse potentielle du pays. Mais il est politiquement incorrect de reconnaître qu’une partie importante de notre main d’œuvre est inemployable. Les jeunes sans formation et les séniors fatigués aux connaissances parfois obsolètes sont cependant capables de travailler. Il leur faut des emplois adaptés, c’est-à-dire non spécialisés et dont les salaires correspondent à leur productivité. Or, les personnes sans qualification sont victimes du SMIC. Pour pouvoir en employer quelques-unes, les entreprises françaises ont été amenées à faire des investissements qui assurent une productivité suffisante. De fait, la productivité moyenne des travailleurs français, presque égale à celle aux États-Unis, dépasse de 20% celle de l’Allemagne et elle est supérieure de 40% à celle de la Grande-Bretagne. Occasionnellement cause de fierté nationale, cette performance est catastrophique car elle est obtenue grâce à une automatisation poussée. Pour être compétitives, les entreprises françaises ont été forcées de faire disparaître les « petits boulots ». Certes, les petits boulots et les travailleurs pauvres ne sont pas un objectif excitant. Mais vaut-il mieux taxer tous les travailleurs (de manière discrète avec la TVA, par exemple) pour compenser les laissés pour compte en leur versant des allocations de chômage ou des aides sociales pitoyables, pour financer des plans banlieues à l’inefficacité établie, pour maintenir de solides forces de l’ordre destinées à « tenir » des jeunes sans aucun avenir professionnel ? Au minimum, la question se pose, mais elle n’est jamais posée parce qu’elle est considérée comme choquante.

En promettant une hausse du SMIC, Hollande a déjà commis la première erreur majeure de sa présidence. Les solutions qu’il devra adopter s’il veut vraiment réduire le chômage de manière durable sont aux antipodes du programme du PS. Elles sont bien connues. Il va falloir trouver un moyen de créer une sorte de SMIC-jeunes, allonger l’âge de départ effectif à la retraite, rompre la distinction entre CDI et CDD en passant à un contrat unique qui évolue avec l’ancienneté, détricoter la judiciarisation des relations sociales, passer de la protection des emplois à celle des personnes, réduire la durée des aides sociales pour les personnes valides, transformer l’usine à gaz Pôle emploi en système efficace de placement, cesser de masquer les chiffres du chômage avec des formations bidon et réduire la pression bureaucratique qui étouffe les PME.

Courage monsieur le président !