Leçons des élections (fin) edit

26 juin 2012

Les résultats des élections de 2012 ont semblé renforcer la bipolarisation gauche-droite. Le Modem a sombré corps et biens, emportant avec lui les espoirs de ceux qui entendaient maintenir un centre indépendant. À gauche, les partis ont respecté leurs accords électoraux et les votants ont obéi à la vieille règle de la « discipline républicaine ». À droite, une bonne moitié des électeurs du Front national du premier tour des élections législatives a voté pour les candidats de l’UMP présents au second en l’absence de candidats frontistes. Et les sondages ont montré la disponibilité d’une grande partie de l’électorat UMP à passer une alliance avec le parti de Marine Le Pen. Face à une gauche unie, un bloc de droite a paru être en cours de constitution et c’est ce phénomène qui a retenu l’intérêt des observateurs. Pourtant, le triomphe de la bipolarisation est loin d’être aussi net qu’il le paraît, même si l’échec du Modem paraît consommé.

À gauche, à la différence des lendemains de victoire de 1981 et 1997, le Parti communiste – aujourd’hui l’élément dominant du Front de gauche – a refusé de participer au nouveau gouvernement socialiste/EELV/PRG. Lors de sa Conférence nationale, le Parti communiste a certes exprimé son intention de constituer une « force constructive », mais la tonalité des débats a montré en réalité une attitude de défiance à l’égard du nouveau pouvoir. À droite, s’il est vrai que l’UMP a décidé de banaliser le Front national et de renoncer à l’isoler en abandonnant la tactique du « Front républicain », renvoyant dos à dos ce parti et le Parti socialiste, elle n’en a pas moins réitéré clairement son opposition à tout rapprochement stratégique avec lui. Certes, il n’existe pas de symétrie exacte entre la gauche et la droite : des accords de second tour continuent d’exister à gauche et ils n’existent pas ou pas encore à droite. Mais l’essentiel n’est pas là. Ces élections ont fait ressortir en réalité le clivage insurmontable qui traverse la gauche et la droite. Ce clivage sépare radicalement les partis de gouvernements et les autres et son importance est telle qu’il  tend à mettre en cause la signification politique même des notions de gauche et de droite du point de vue de l’action politique.

Ce clivage se fonde sur les visions opposées, à droite comme à gauche, de la gestion de la crise européenne et plus largement de l’avenir de la construction européenne. Les deux grands partis sont confrontés à la même contradiction : comment concilier l’euroscepticisme d’une partie de leur électorat potentiel avec la dynamique de la politique européenne qui, à la faveur ou sous la contrainte de la grave crise en cours, les conduit à une intégration politique toujours plus poussée, sauf à assumer une explosion de la zone euro dont ils craignent à juste titre les effets terrifiants.

À gauche, François Hollande se retrouve dans la situation de 2005, au moment du référendum de ratification du Traité constitutionnel européen, dont il garde un souvenir épouvantable, mais cette fois-ci en étant à la barre. Son intention permanente de rassembler la gauche l’a conduit pendant la campagne présidentielle à se prononcer contre la ratification du Traité de stabilité signé par son prédécesseur. Or le Front de gauche fait de cette question l’enjeu principal qui déterminera la nature de ses relations avec le pouvoir socialiste. À droite, l’UMP, que Nicolas Sarkozy a mené loin dans la critique de l’organisation européenne, notamment la mise en cause de l’accord de Schengen, ne peut prendre le risque, comme parti de gouvernement, de rompre trop clairement avec la dynamique actuelle de la politique européenne.

Ainsi, à gauche comme à droite, le clivage gauche/droite est concurrencé et menacé par le clivage fédéralisme plus ou moins accru/autonomie nationale. Le second clivage  s’imposera aux partis de gouvernement comme étant le clivage principal ; c’est ce qui s’est passé en Grèce où le clivage principal ne traverse plus la gauche et la droite mais l’acceptation ou le refus de la perte d’autonomie politique par rapport à l’Union européenne. Le problème en France, mais ce fut le même en Grèce hier, est que le clivage gauche/droite, qui continue à structurer le combat politique et à décider de la victoire ou de la défaite, conduit les partis de gouvernement à tenter d’activer au maximum ce clivage et de cacher, de brouiller, de minimiser le clivage fédéralisme-autonomie. Cette attitude est compréhensible mais elle n’en est pas moins à terme très dangereuse à la fois pour ces partis et surtout pour le pays.

En effet, elle les empêche d’expliquer aux Français les véritables enjeux et donc de les préparer aux décisions lourdes et difficiles qui devront être prises, et du coup, de  pas maîtriser la situation dans les temps à venir. Mais elle les empêche tout aussi dramatiquement d’adopter dans les relations avec nos partenaires européens, et en particulier l’Allemagne, une position suffisamment claire pour que les négociations puissent se dérouler sur un terrain ferme. Ainsi, la volonté compréhensible du point de vue des intérêts politiques nationaux de renoncer à toute clarification des enjeux et des positions peut aboutir en réalité à une situation très périlleuse pour le parti au pouvoir. Aujourd’hui, c’est ce qui menace le Parti socialiste.

Pour sortir de cette situation, il faut à un moment donné que le chef de parti, devenu chef du pouvoir exécutif, se transforme en homme d’État, avec tous les risques politiques que cela comporte. Mais l’autre voie n’est pas moins risquée, comme la situation des socialistes grecs l’a montré. Si notre nouveau président pense pouvoir ne pas sortir de l’ambiguïté en refusant de donner clairement la priorité à la dynamique européenne sur le rassemblement de toutes les gauches nationales, il prend le risque majeur de perdre sur les deux fronts européen et national. Il est temps d’expliquer aux Français quelle est la politique de la France et quelle est la vision de l’Europe qui la sous-tend. La finasserie est supportable voire indiquée parfois dans les périodes calmes. Elle ne l’est plus dans les périodes de crise grave, c’est-à-dire aujourd’hui.

La vérité est que du point de vue de la politique européenne de notre pays, qui est aujourd’hui l’enjeu essentiel, les notions de gauche et de droite n’ont pas ou plus de réelle signification. Les partis de gouvernement devraient savoir que dans certaines situations, plutôt peut-être qu’on ne le pense, ce qui les rapproche sera plus important que ce qui les sépare aujourd’hui à savoir le clivage gauche/droite. Que cette perspective ne les enchante pas est tout à fait normal, qu’ils hésitent à en tirer les conséquences peut être compris. Mais qu’ils n’en soient pas au moins conscients serait moins excusable.