Le référendum du «tous contre Renzi» edit

22 novembre 2016

Le 4 décembre, les Italiens sont appelés à se prononcer par référendum sur la réforme de la constitution proposée par le gouvernement Renzi et approuvée, à la majorité simple, par le Parlement, le 12 avril dernier. Après deux ans de tractations politiques au sein de son propre parti et de sa majorité, Matteo Renzi ne contenait pas son enthousiasme ce jour-là. « A présent, l’Italie est le pays le plus stable d’Europe », clamait-il haut et fort. Sans doute un peu vite car, en l’absence d’une majorité des deux tiers lors du vote parlementaire, la voie référendaire devenait du même coup incontournable. C’est à ce rendez-vous décisif pour le sort politique de Matteo Renzi que les Italiens sont maintenant conviés.

Que prévoit cette réforme ? Une réduction du nombre de parlementaires, mais surtout une  rupture symbolique très forte : la fin du bicaméralisme parfait qui caractérise la vie politique italienne depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. La constitution en vigueur donne en effet les mêmes pouvoirs  au Sénat et à la Chambre des Députés, pour l’approbation de chaque acte législatif et pour la confiance au gouvernement. Pour les constituants de 1946, il s’agissait alors de consolider autant que possible la digue démocratique, au sortir de vingt ans de fascisme. C’était aussi, dans les rangs les plus conservateurs de la Démocratie Chrétienne, une façon d’ériger un autre garde-fou pour prévenir et, le cas échéant contenir, une possible victoire électorale du Parti Communiste Italien.

Outre les lenteurs et le maquis procédural que le bicaméralisme a pu favoriser en sept décennies, il fut aussi à plusieurs reprises la source même de l’instabilité. Le corps électoral du Sénat étant réservé aux adultes de plus de 25 ans, les résultats entre les deux chambres pouvaient donner deux majorités distinctes. Romano Prodi en fit les frais en 2006.

La réforme de Matteo Renzi prévoit de transformer la Chambre Haute en un Sénat des Régions comptant uniquement une centaine de membres, au lieu des 315 actuellement. Les conseils régionaux choisiraient 74 conseillers régionaux et 21 maires en représentation des collectivités territoriales. Ce nouveau Sénat conserverait un droit de véto en matière constitutionnelle, et un pouvoir tempéré de contrôle de la Chambre, mais celle-ci aurait le dernier mot pour l’approbation ordinaire des lois et sur la confiance au gouvernement.

En janvier 2016, près de 60% des Italiens se déclaraient favorables à cette réforme et prêts à la voter en cas de référendum. Fin novembre,  la majorité est renversée, et toutes les enquêtes donnent le « non » vainqueur de quelques points  le 4 décembre au soir. Avec une faible participation. Ce qui augure d’une possible crise gouvernementale et, pour le coup, d’une instabilité financièrement périlleuse pour une Italie déjà très affaiblie par la crise et toujours  alourdie par une dette publique qui dépasse encore 130% de son PIB. Les milieux gouvernementaux et de nombreux analystes estiment que la moindre hausse des taux d’intérêts mettrait la gestion des comptes publics au bord d’un nouveau précipice, comme celui que dut affronter Mario Monti à la chute de Berlusconi, fin 2011. L’inquiétude des marchés est renforcée par la crainte que de possibles trous noirs non encore élucidés puissent plomber le système bancaire italien.

Mais ces appels à la raison pèsent probablement très peu dans la manière dont les électeurs vont se positionner dans quelques jours. Très populaire à son arrivée au pouvoir il y a mille jours, Renzi ne suscite plus l’engouement initial. Comment le jeune « matador » comme l’appelle Angela Merkel, celui qui a pris le Parti Démocrate (PD) à la hussarde, puis Palazzo Chigi, le siège du Gouvernement, en une trahison éclair aux dépends de Enrico Letta, a-t-il pu voir s’éroder le capital politique qui avait porté son PD à 40% des suffrages aux européennes de 2014 ?

« Beaucoup d’électeurs sont montés sur le char de Renzi parce qu’il avait l’aura du vainqueur », estime Piero Ignazi, professeur de sciences politiques à l’Université de Bologne. « Mais ce type de consensus est lié à la performance, il n’est pas fondé sur un idéal partagé ». Or les performances, malgré tout l’activisme du jeune florentin, sont chaque mois un peu moins perceptibles. La croissance stagne, les jeunes diplômés partent, l’épargne s’est rétréci. Les 80 euros mensuels distribués aux petits salaires il y a deux ans ont depuis longtemps été dépensés. La réforme du marché du travail, mêlant flexibilité et sécurité progressive, a eu des effets initialement prometteurs, mais largement estompés sitôt passée  l’aubaine des dégrèvements fiscaux.

Résultat, la cote de popularité de Matteo Renzi a chuté de 30 points en deux ans. Le Parti Démocrate a perdu au printemps les municipalités de Rome (où il n’a gagné que dans le quartier de Parioli, l’équivalent du 16e arrondissement) et de Turin au profit du Mouvement 5 Etoiles (M5S), le jeune parti antisystème de Beppe Grillo qui fait désormais jeu égal avec le PD dans les sondages. Surtout, l’excès de communication du jeune Matteo irrite. Renzi a commis une erreur majeure (qu’il a lui-même reconnue, mais trop tard), au printemps dernier, en mettant sa carrière politique en jeu sur ce référendum constitutionnel. « Je préfère être arrogant que de renoncer aux réformes », argumentait-il. « Le problème, c’est que cela augmente le nombre d’ennemis », remarque le politologue Ilvio Diamanti. « Et le jour du référendum, ils vont tous se compter ». La liste est longue. De la droite radicale et de la Ligue au M5S en passant par des pans entiers du parti démocrate (emmenés par un Massimo D’Alema vindicatif) et une bonne partie de ce qu’il reste de Forza Italia, le parti de Berlusconi.

Une autre raison, liée à la forte culture juridique qui anime les débats italiens, travaille le corps électoral à la veille du référendum, surtout à gauche. Les Démocrates italiens ont toujours eu tendance à estimer que l’instabilité gouvernementale chronique du pays tenait davantage aux travers et aux corruptions de leur personnel politique qu’à la charte constitutionnelle, révérée comme un modèle d’équilibre. A force de voir déballés sur la scène italienne, par les Italiens eux-mêmes, un festival de personnages et de pratiques rocambolesques et illicites, de Cicciolina à Berlusconi en passant par les pires mafias ou les petites corruptions ordinaires, on finirait par oublier que la société italienne est aussi animée par un juridisme de haute volée.

Le soutien de l’opinion aux magistrats a été un rempart essentiel pour l’unité du pays aux pires heures de la démocratie italienne, celles des années du terrorisme politique et des massacres de la mafia. Pour ce pan important de la société, souvent éduqué, toucher à la constitution comporte un risque que Matteo Renzi, manifestement, ne parvient pas à dissiper. Si la droite italienne et les éléphants du parti démocrate voient surtout dans le référendum une bonne occasion de faire trébucher le jeune prodige, la gauche avance aussi des arguments de substance qui vont peser sur la participation le 4 décembre. D’autant que la simplification au cœur de la réforme constitutionnelle en discussion, combinée avec l’actuelle loi électorale qui donne une prime au parti arrivé en tête aux élections, porte pour de nombreux électeurs de gauche le risque d’une concentration des pouvoirs dans les mains du leader du parti de majorité. Leurs craintes ne portent  pas tant sur Renzi que sur un éventuel successeur qui serait issu d’un parti radical.

Gagner un référendum par le temps qu’il fait actuellement en Occident relève du miracle. S’il a lieu, Matteo Renzi consolidera durablement sa position sur la scène italienne, au centre de l’échiquier, là même où la Démocratie Chrétienne a toujours su occuper un rôle de pivot incontournable, et où Berlusconi avait flairé l’espace à prendre à la chute de la DC en 1992. La législature ira à son  terme, en février 2018, et Renzi pourra même envisager son avenir avec sérénité.

S’il échoue, en revanche, ce que les sondages et l’air du temps laissent présager, il perdra le contrôle sur son propre parti et l’Italie ne sera pas le pays le plus stable d’Europe qu’il annonçait le 12 avril. Elle aura le choix entre renouer avec les transitions alambiquées assurées par des gouvernements techniques, ou sauter dans l’inconnu d’une nouvelle élection. Avec en embuscade une formation antisystème comme le Mouvement 5 Etoiles qui s’est toujours déclarée favorable à la tenue d’un référendum sur la sortie de l’Italie de la monnaie unique. A la veille du soixantième anniversaire des Traités de Rome, le 25 mars prochain, on voit mal le Président de la République faire ce saut dans l’inconnu. Mais l’avis de tempête n’en serait que repoussé.