Comment le monde a changé Obama edit

10 octobre 2012

Dresser le bilan de la politique étrangère d’un président américain au terme d’un mandat de quatre ans est un exercice périlleux. Il n’y a en effet guère de méthodologie claire et rigoureuse pour le faire. Prenons l’exemple de la guerre en Irak. Y mettre un terme et s’en retirer étaient l’objectif d’Obama. Formellement il y est clairement parvenu. Mais à quel prix ? L’influence politique américaine en Irak est désormais insignifiante alors que celle de l’Iran y est prépondérante. Le régime irakien de plus en plus à une dictature chiite soutenue par l’Iran. Cet échec n’est guère imputable à Obama qui s’opposa à la guerre. Mais il n’est parvenu ni à renverser la situation en prolongeant comme il l’espérait la présence militaire américaine dans ce pays après 2012, ni à imposer un arbitrage politique entre chiites et sunnites.

Le cas de l’Afghanistan est en apparence très différent puisque dans ce pays Obama a clairement assumé le choix de la guerre. Il y a certes obtenu une victoire symbolique forte en éliminant Ben Laden et en plaçant les Talibans sur la défensive. Mais malgré l’ampleur de l’engagement militaire américain dans ce pays, les États-Unis commenceront à se retirer après 2014 sans avoir en vue la moindre solution durable à la crise politique dans ce pays. Le régime de Kaboul est l’un des plus corrompus de la planète, grâce notamment à l’aide américaine. Quant à la prétendue relève militaire des Américains par les Afghans elle s’inscrit plus dans une optique de maquillage d’un échec politique, que d’une réalité tangible au regard du haut degré d’infiltration de cette armée par les Talibans. Les seules forces fiables sont des forces non pachtounes qui seront immédiatement combattues dès le départ des Américains. L’échec américain en Afghanistan est donc colossal.

Mais la capacité d’absorbation des échecs demeure une des forces de la puissance américaine. C’est un échec personnel d’Obama qui présentait cette guerre comme une guerre nécessaire mais qui en réalité ne semble plus l’être depuis qu’elle apparaît ingagnable. Mais c’est là aussi la marque d’une puissance que de faire passer un échec patent pour un retrait de convenance. Plus préoccupant encore est l’effondrement de la stratégie pakistanaise d’Obama. Le partenariat avec Islamabad est désormais en lambeaux et les relations américano-pakistanaises retrouvent le cours traditionnel qui était le leur avant le 11-Septembre : une coopération minimale fondée sur une méfiance maximale. Pour le Pakistan l’alliance avec les Etats-Unis n’a véritablement d’intérêt stratégique que si elle est de nature à lui permettre de modifier à son avantage le rapport de force avec Delhi. Or cela n’est toujours pas le cas. L’administration Obama n’a pas réussi à faire avancer le dialogue entre Delhi et Islamabad sur le Cachemire, pomme de discorde entre les deux pays. Du coup le Pakistan ne veut en aucune façon renoncer à pouvoir manipuler les Talibans et ses alliés pour affaiblir le régime de Kaboul, jugé trop proche de Delhi.

En réalité sur tous les enjeux stratégiques pour la sécurité américaine dont il a hérité : Iran, Corée-du-Nord, Iraq, Afghanistan, Pakistan, conflit israélo-palestinien, Obama n’a à peu près obtenu aucun résultat politique significatif, car le pouvoir de contrainte des Etats-Unis s’est érodé de manière structurelle. De ce point de vue on peut très clairement conclure que ses résultats sont modestes.

On ajoutera que son exceptionnelle popularité et son charisme indéniable ne lui auront été que d’un faible secours. Malgré une gestion très adroite du printemps arabe, seule surprise stratégique à laquelle il a été véritablement confronté, sa crédibilité dans le monde musulman s’est depuis largement effritée. À tort ou à raison, les promesses du discours du Caire n’ont guère été tenues en tout cas du point de vue des sociétés musulmanes pour qui le cœur du problème reste le règlement du conflit israélo-palestinien. Il a pourtant eu pour mérite à ce jour de freiner Israël dans sa volonté de bombarder l’Iran, car tout le monde sait qu’un tel choix serait désastreux pour toute la région. Obama juge que l’intensification des sanctions peut conduire Téhéran à différer son programme nucléaire militaire, même si historiquement il n’y a pratiquement aucun exemple de pays ayant renoncé sous la contrainte à arrêter son programme nucléaire militaire.

En réalité, la seule vraie grande percée d’Obama en matière de politique étrangère, et elle n’est pas négligeable, aura été de sortir les États-Unis de l’idéologie du 11-Septembre dans laquelle la précédente administration les avait délibérément maintenus. Le tout sans baisser la garde militaire des États-Unis ce qui n’était pas gagné d’avance. Jimmy Carter avait voulu rompre avec Nixon et le Vietnam. Mais sa conduite fut à tort ou à raison perçue comme celle d’un État faible et velléitaire qui finit par payer le prix fort en Iran et en Afghanistan. Barack Obama n’a pas commis cette erreur. Ses échecs indiscutables au Proche-Orient, il les a compensés par une préparation des États-Unis à une stratégie de <em>containment</em> de la Chine.

Face à une Chine désireuse de dénier aux États-Unis le maintien d’un pouvoir d’arbitrage régional entre elle et ses voisins (<em>area denial strategy</em>), les États-Unis réagissent soit en renforçant leurs relations avec l’Asean, le Japon et la Corée soit en freinant une intégration économique asiatique autour de Beijing. D’où la version américaine du TPP (TransPacific Partnership) proposée par Obama aux pays asiatiques à la fin 2011. Officiellement tout le monde est convié à la table des négociations pour mettre en place une zone économique préférentielle entre les États-Unis et les pays du Pacifique. Mais dans les faits il s’agit d’exclure la Chine en plaçant la barre très haut sur le plan réglementaire, ce que dans le jargon du commerce international on appelle les <em>beyond borders issues</em>. L’opacité des entreprises publiques chinoises est directement visée par le projet américain. Les États-Unis ont d’ailleurs enterré les négociations multilatérales à l’OMC au profit d’une stratégie plus régionale. Mais c’est parce qu’ils savent bien que ce projet vise à contraindre la Chine que certains pays asiatiques dont la Corée et le Japon voire l’Indonésie hésitent à rejoindre le TPP.

L’administration Obama cherche très clairement à redéployer sa stratégie vers l’Asie pour faire face à la Chine quitte à se désengager du Moyen-Orient. Mais ce calcul est illusoire. Le Moyen-Orient rattrapera les États-Unis, qui tant qu’ils resteront une grande puissance resteront présents partout dans le monde. Les intérêts d’une grande puissance peuvent se hiérarchiser, non se découper. Et ce n’est pas au moment où la puissance chinoise se mondialise que les États-Unis vont sonner le repli.