Réforme bancaire : indispensable mais improbable edit

17 janvier 2013

Dans les décennies qui ont précédé la récente crise bancaire, les régulateurs et les superviseurs ont systématiquement échoué dans trois domaines clés.

Ils n’ont pas mesuré les risques des banques de façon assez crédible ou assez précise, et ils n’ont pas imposé aux banques les garanties en capital qui leur permettraient d’absorber leurs pertes potentielles.

Ils n’ont pas réussi à faire respecter les exigences déjà insuffisantes qu’ils avaient imposées, parce que les superviseurs n’ont pas toujours réussi à identifier les pertes des banques, qui continuaient à augmenter, ce qui a permis aux banques de surestimer leur niveau de fonds propres.

Ils n’ont pas réussi à concevoir ou à appliquer des protocoles d’intervention pour une résolution rapide des problèmes des banques fragilisées, et se sont ainsi avérés incapables de limiter l’exposition des contribuables aux dettes des banques affaiblies mais « trop grandes pour faire faillite ».

Les échecs de la réglementation prudentielle bancaire sont pourtant visibles depuis des décennies et de nombreuses propositions de réformes ont été faites par les économistes.

Il existe des solutions crédibles aux principaux défis auxquels doivent faire face les autorités. Pour la plupart, les solutions que je proposerai ici ne sont pas nouvelles : elles sont connues et défendues depuis un certain temps par les économistes spécialisés. N’avoir pas pu empêcher la crise ne signe pas un échec de la réflexion, mais un manque de volonté de notre système politique. Politiques et régulateurs ont jugé opportun d’offrir aux banquiers des subventions cachées pour les amener à prendre des risques, en combinant la protection d’un filet de sécurité et une réglementation prudentielle inefficace. Les tentatives visant à identifier et maîtriser ces subventions ont été bloquées politiquement, et à plusieurs reprises.

Les réformes proposées en réponse à la crise seront-elles efficaces cette fois-ci? Les réformateurs réussiront-ils à modifier les règles du jeu de façon à réduire le risque d’une répétition de la crise récente ? L’expérience n’incite pas franchement à l’optimisme. Au mieux, le bilan est mitigé. Les politiques, en fait, n’ont guère intérêt à résoudre les problèmes de la réglementation bancaire – plus précisément ils sont fortement incités à faire semblant de s’y attaquer.

Les mesures typiques de réponse à la crise donnent l’apparence d’être diligentes : politiques et régulateurs font la liste de tout ce qui est allé de travers avec la crise – mais leur liste ne prend généralement en compte que des symptômes spécifiques engendrés par des politiques peu inspirées, et elle tend à ignorer les problèmes structurels d’incitations produits par des politiques erronées. Cette liste est ensuite à l’origine d’un nouvel ensemble plus complexe d’initiatives de réglementation, et on présente ces lois et règlements comme le remède qui va prévenir une récidive.

On est censés remédier aux carences en ayant recours à des ensembles toujours plus complexes de règles d’évaluations des risques, en accordant plus de pouvoir discrétionnaire de surveillance à une myriade de nouveaux fonctionnaires ayant des mandats divers et variés, en lançant des dizaines de nouvelles initiatives de recherche menées par des équipes pourtant de plus en plus fragmentées et par les divisions de surveillance des banques centrales et des organes de surveillance, ou encore en créant de nouveaux groupes d’étude internationaux. On m’accusera peut-être de cynisme, mais j’ai tendance à voir dans cette augmentation exponentielle de la complexité, tant des règles que des instances de réglementation et de surveillance chargées de les concevoir et de les faire respecter, un échafaudage délibérément conçu pour faire en sorte que les acteurs du secteur aient moins de comptes à rendre, en divisant les responsabilités et en rendant le processus réglementaire le moins compréhensible possible pour les non-initiés.

La théorie sous-jacente qui justifie ce genre d’initiatives, dans la mesure où il existerait une théorie, c’est que si la crise récente a eu lieu, c’est parce que les normes réglementaires pèchent par un manque de complexité, parce que le pouvoir discrétionnaire des diverses commissions de supervision bancaire n’était pas assez étendu, et parce que les règles et règlements interdisant ou décourageant des pratiques spécifiques ne couvraient qu’un champ trop restreint. Cette théorie est manifestement fausse. Au cœur de la récente crise financière – et de toutes celles qui l’ont précédée dans le monde entier au cours des trois dernières décennies – on trouve des problèmes élémentaires d’incitations créées par les règles du jeu fixées par les autorités. Avant la crise, la complexité réglementaire était sans précédent, la sanction par les autorités de supervision pratiquement inexistante, et les banques pouvaient prendre des risques quasiment illimités sachant que leurs pertes éventuelles seraient couvertes par les contribuables. Or, c’est précisément cet environnement qui a produit les trente années les plus instables de l’histoire bancaire mondiale ainsi que la crise financière la plus grave aux États-Unis depuis la Grande Dépression.

L’heure n’est pas à des règles plus complexes ni à plus de pouvoir discrétionnaire de surveillance. Les futures règles devront être

  • utiles pour mesurer et limiter les risques ;
  • difficiles à contourner pour les acteurs du marché ;
  • appliquées de manière crédible par les autorités de supervision.

On aura d’autant plus de chances d’aboutir à ces qualités si l’on élabore des règles simples, fondées sur une réelle compréhension de ce qui motive tant les acteurs du marché que leurs superviseurs.

Les clés d’une réforme efficace dans toutes ces catégories consistent, premièrement, à identifier les principaux problèmes d’incitation qui ont encouragé la prise de risque excessive et ont rendu inefficace la réglementation prudentielle et la supervision, et, deuxièmement, à concevoir des réformes robustes sur le plan incitatif - c’est-à-dire des réformes qui ne sont pas susceptibles d’être sapées, d’une part, par les arbitrages réglementaires des participants du marché et, d’autre part, par la tendance des autorités de surveillance à éviter de reconnaître les problèmes.

J’ai développé de nombreuses propositions de réforme spécifiques :

  • Une réforme de l’utilisation réglementaire des notations qui quantifierait la signification des notations et rendrait les agences de notation agréées financièrement responsables en cas d’inexactitude flagrante de leurs prévisions ;
  • L’utilisation des écarts du taux d’intérêt sur les prêts comme indices de prêts non performants, afin de définir les capitaux nécessaires pour absorber le risque de défaut de paiement ;
  • L’établissement d’une obligation de fonds propre d’urgence transparente et simple conçue pour inciter les grandes banques à reconstituer en temps opportun tout capital perdu (plutôt que de maquiller les pertes et de se dispenser de remplacer les capitaux) ;
  • La mise en place, pour les banques, d’exigences simples en matières de fonds propres (cela ne ressemblerait pas aux récentes « réserves de liquidité » complexes et mal conçues créées dans le cadre des Accords de Bâle III) ;
  • La création d’une règle macroprudentielle simple pour régir la variation des besoins en fonds propres au fil du temps et qui n’entraînerait des changements que dans des circonstances extrêmes, sur la base de critères objectifs et observables ;
  • Une réforme des procédures de résolution (mise en faillite) des grandes institutions financières qui rendrait obligatoire une décote minimale prédéfinie appliquée aux créances non-garanties chaque fois que l’autorité de résolution aurait à utiliser l’argent des contribuables (à savoir chaque fois qu’on s’éloignerait de l’application de stricte priorité dans le processus de résolution) ;
  • La mise en œuvre, dans le cadre de « testaments » qui définissent les résolutions des institutions financières de taille mondiale, de lignes de démarcation claires pour ce qui est des compétences juridiques et réglementaires (« ring fencing » ou séparation des comptabilités) concernant la cession de tous les actifs et passifs d’une banque.

Un tel programme de réformes serait efficace pour surmonter les failles graves qui menacent notre système financier depuis des décennies. Cette approche permettrait d’éviter une grande partie des dommages collatéraux qui ont pour origine ces centaines et des centaines de pages de mandats complexes, coûteux et peu judicieux, et qui ne sont généralement que des substituts à toute forme de réforme réellement crédible. Les politiques, cependant, sont presque unanimes à détester ce genre d’idées simples, basées sur des critères observables, précisément parce que le fonctionnement de ces dernières supprimeront le contrôle discrétionnaire dont avec les banquiers et les régulateurs ils profitent et abusent lorsqu’il est question d’appliquer les normes réglementaires. Surmonter ce défi nécessitera donc bien plus que de la pensée économique, aussi bonne soit-elle.

 

Traduit de l'anglais par Daniel Cochin. Une version anglaise de cet article est en ligne sur le site de notre partenaire Vox.