G20 : ce que chacun doit faire edit

18 juin 2012

On a beaucoup travaillé depuis la première réunion des chefs d’Etat du G20 à l’initiative de la France et du Royaume-Uni en 2008. On a entrepris des réformes de fond touchant à la régulation des banques et des marchés financiers. Mais les fruits de ces réformes, politiquement et socialement coûteuses, pourraient tourner à l’aigre si l'asymétrie monétaire n'était pas traitée. Les Etats-Unis, la zone euro et la Chine ont chacun leur rôle à jouer pour le réduire et ainsi parvenir à un équilibre plus stable.

En effet, plus de la moitié de l'économie mondiale est, directement ou indirectement, influencée par la politique monétaire américaine. Une grande partie de l’Asie, de l'Amérique latine et du Moyen-Orient appartient à une vaste zone dollar de fait. Ces régions importent de la Réserve Fédérale certaines caractéristiques essentielles de leur politique monétaire, alors que, conformément à son mandat, la Fed fonde ses décisions sur des considérations internes.

Le désendettement des ménages, puis celui, prévisible, de l’Etat fédéral pèseront durablement sur la demande intérieure américaine. La Fed sera donc amenée à maintenir une politique monétaire expansionniste durant des années. Les économies émergentes qui importent cette politique monétaire courent donc un risque endémique de surchauffe. Par le biais de leur forte demande structurelle de matières premières, ce canal de transmission monétaire involontaire conduira à un renchérissement de ces dernières, ce qui pèsera en retour sur la croissance mondiale.

L’inverse se produirait si les Etats-Unis entraient en surchauffe : la transmission d’une politique monétaire restrictive à une large partie du monde pèserait artificiellement sur la demande agrégée. En bref, l'asymétrie du système monétaire international est une source permanente d'instabilité macro-économique.

Un grand pas serait franchi si les dirigeants du G20 reconnaissaient l'asymétrie du système monétaire mondial comme une source permanente d’instabilité.

Le suivant serait de renforcer la coopération entre les grandes banques centrales. Ceci réduirait la volatilité de la croissance mondiale grâce à une évaluation ex-ante des risques mondiaux d'inflation ou de déflation. Bien que leurs mandats soient domestiques et qu’elles doivent préserver leur indépendance, les banques centrales ne peuvent ignorer la nature globale de l’inflation, bien mise en évidence par les travaux de Matteo Ciccarelli et Benoit Mojon Certes, elles coopèrent déjà dans le cadre de la Banque des Règlements Internationaux, mais force est de constater que cela n’a nullement empêché la formation de ce qui restera selon Moritz Schularick et Alan M. Taylor la plus grande bulle de crédit de l’histoire.

Admettons-le : la réticence des banques centrales à coordonner leurs politiques monétaires était et reste contre-productive.

Mais ces deux étapes ne feraient qu’effleurer le problème posé par l'asymétrie du système monétaire international. Le quasi monopole des Etats-Unis pour l’émission de titres sûrs, liquides et en larges volumes contraint les économies émergentes à investir leurs réserves de change en bons du Trésor US. Ainsi les économies émergentes sont naturellement attirées dans une zone dollar de fait, conduisant à un quasi-ancrage du système monétaire mondial au dollar américain. Seule une vision de long terme partagée pourrait ramener l’économie mondiale vers l’équilibre. Pour y parvenir, les Etats-Unis, la zone euro et la Chine devront chacun faire des concessions.

Zone euro : les euro-bons feraient d’une pierre deux coups

La contribution la plus décisive de la zone euro serait de restaurer sa viabilité à long terme. Rendre crédible le code de bonne conduite budgétaire et mettre en place un fonds de secours permanent n’en sont que les deux premières étapes.

Par sa taille, la zone euro devrait être le deuxième émetteur d’obligations souveraines sûres et liquides. Or, au-delà de la fragmentation de ses marchés souverains, la crise de l’euro a fait perdre à la quasi-totalité des obligations souveraines de ses membres leur statut d’actif sans risque. L’émission d’euro-bons restaurerait la stabilité des systèmes financiers et créerait un deuxième réservoir d'actifs sûrs et liquides. Bien évidemment, rendre ces obligations aussi sûres que les Bunds allemands imposerait un abandon significatif de souveraineté budgétaire, fiscale et économique. On imagine mal dans un tel régime la France décider unilatéralement d’abaisser l’âge de la retraite… L’enjeu est à la fois la pérennité du projet européen et une contribution décisive à la stabilisation de l’économie mondiale.

Chine : aller vers la convertibilité

Par sa taille et son formidable rythme de développement, la Chine pèse d’un poids croissant dans le système financier mondial. Ses décideurs vont rapidement avoir besoin de toute la palette des instruments modernes de politique économique pour gérer une économie chaque jour plus complexe et plus sensible aux décisions des agents privés.

Or la politique monétaire chinoise repose sur des instruments non-monétaires (rémunération des dépôts, réserves obligatoires, change) qui s’avéreront d’une inefficacité croissante, comparés à une politique monétaire visant une cible d’inflation via une cible de taux atteinte par des opérations d’open market. Pour y parvenir, la Chine devra renforcer ses marchés de capitaux puis ouvrir son compte de capital et rendre sa devise convertible. Ce faisant, elle deviendrait le troisième émetteur mondial d’actifs sûrs et liquides, qui auraient un vif succès chez les banques centrales de ses partenaires commerciaux et au delà. La Chine ferait elle aussi d’une pierre deux coups, rendant sa propre économie plus robuste et contribuant à la stabilité financière mondiale.

Etats-Unis : consentir à une perte partielle de seigneuriage

Paradoxalement, les Etats-Unis n’ont pas grand-chose à faire pour peu que l’Europe et la Chine remplissent leurs obligations. En préservant les ressorts internes de leur économie, ils offriront à l’économie mondiale son meilleur atout : une économie leader ouverte, innovante et prospère.

L’émission d’euro-bons et l'internationalisation de la dette chinoise auraient toutefois un coût pour les Etats-Unis. Pierre-Olivier Gourinchas et Hélène Rey ont calculé que les investissements américains à l'étranger ont offert un rendement annuel moyen supérieur de 210 points de base à celui des investissements étrangers aux Etats-Unis depuis 1952. La raison de cette asymétrie (ou seigneuriage du dollar) est justement que les investisseurs étrangers cherchent des actifs sûrs et liquides aux dépens du rendement. S’ils avaient accès à une offre plus diverse d’actifs possédant ces qualités, la part des bons du Trésor US dans leurs portefeuilles baisserait, réduisant le rendement excédentaire des actifs nets américains. Cela réduirait le seigneuriage et ferait remonter les taux d'intérêt à long terme.

Soyons réalistes. Dans l’immédiat, la Chine ne peut pas ouvrir son compte de capital, ses marchés de capitaux n’étant pas assez robustes. La zone euro n’est pas en mesure d’émettre des euro-bons, n’ayant pas encore tranché sur sa propre gouvernance. Et les Etats-Unis ne pourraient guère se permettre une hausse significative des taux d'intérêt. Le chemin vers un monde plus sûr est-il donc impraticable ? Pas nécessairement, pour peu que les leaders mondiaux aient une vision à long terme claire et partagée. Construire un ordre monétaire mondial plus équilibré, basé sur trois zones monétaires principales et non plus une, est réalisable d'ici 2020. Les marchés financiers récompenseraient certainement une telle vision. A défaut, attendons-nous à une volatilité endémique de l’économie mondiale aussi bien que des marchés financiers.