La France a-t-elle vraiment besoin de routes solaires? edit

24 février 2016

Si le développement du solaire photovoltaïque en France a été tardif, on assiste en ce moment à un rattrapage. Des politiques publiques restent nécessaires pour développer et renforcer ce secteur qui n’a pas encore atteint sa maturité. Mais entre effets d’annonce, d’un côté, confusion entre intérêts industriels et intérêt public, de l’autre, ces politiques ne sont pas toujours bien conçues. La récente décision de lancer 1000 kilomètres de routes solaires en est un cas d’école.

Commençons par une question naïve : le photovoltaïque consomme-t-il tant d'espace et l’espace est-il si rare en France qu’il faille utiliser celui des routes ? Quelques calculs permettent de s’en faire une idée.

La France s’enorgueillit d’avoir sur son sol la plus grande centrale solaire photovoltaïque d’Europe, à Cestas, en région bordelaise. D’une puissance de 300 MW, elle occupe une surface continue de 2,6 km2 et produira chaque année environ 0,34 TWh. La demande électrique française annuelle est d’environ 500 TWh. Si, dans une démarche très ambitieuse, nous voulions couvrir le quart de notre demande électrique avec le photovoltaïque, le calcul est simple : moins de 1000 km2 suffiraient.

Ce chiffre est à comparer à l’espace disponible : en 2004, dans notre pays, 9620 km2 étaient occupés par les jachères agricoles, 4950 par les friches, 670 par les terrains vagues, 3590 par les parkings nus, 8270  par les bâtiments, et 470 par les hangars (enquête Teruti). La SAU (surface agricole utile) française, par ailleurs, est de 290 000 km2. Il faut enfin penser aux plans d’eau.

L’espace disponible n’est donc pas la question. Des fermes photovoltaïques peuvent non seulement être installées dans certains de ces espaces, mais encore contribuer à résoudre certains problèmes. Prenons trois exemples.

Les terres agricoles. Le grand solaire est parfaitement compatible avec l’élevage d’animaux (moutons, poules, abeilles etc.) et le maraîchage. Les panneaux solaires protègent en outre les animaux de la pluie, du vent et du soleil. Certaines plantes, les laitues par exemple, poussent très bien en dessous des panneaux. L’empreinte surfacique réelle du solaire photovoltaïque est ainsi marginale. Cette approche « Solar Sharing » est actuellement en déploiement sur l’île d’Ukushima au Japon. La location des terres pour cette exploitation photovoltaïque permet d’assurer un revenu complémentaire aux agriculteurs - un atout pas négligeable aujourd'hui.

Les plans d’eau. La PME Ciel & Terre a développé une technologie de solaire photovoltaïque flottant particulièrement efficiente et pertinente car permettant de réduire l’évaporation des réserves d’eau douce ainsi que la prolifération des algues vertes. Les brevets sont français. Le coût du kWh est de seulement 8 c€.

Les parkings. Placer des ombrières photovoltaïques sur les parkings nus, comme on l’a fait récemment à l’aéroport de Montpellier, permet d’améliorer le confort des usagers tout en contribuant à réduire l’effet d’îlot de chaleur urbain.

Mais, nous direz-vous, peut-être la technologie du projet Wattway soutenu par le ministère de l'Environnement fait-elle la différence ?

Raisonnons d’abord en termes de coûts. Les ombrières, par exemple, ont le leur. « Une structure porteuse coûte 50 à 80c€/W », précise Richard Loyen, délégué général d'Enerplan, le syndicat des professionnels de l'énergie solaire. Contre 7,5 c€ pour les structures standards des grandes centrales photovoltaïques au sol selon l’institut Fraunhofer en Allemagne. Les ombrières conduisent à augmenter le CAPEX (dépenses d'investissement de capital) d’un facteur environ 1,5, mais restent quatre fois moins onéreuses aujourd’hui que les routes solaires de technologie Wattway, dont le CAPEX est de 6€/W.

Cet argument des coûts a ses limites, certes, et il fut longtemps utilisé contre le solaire. De fait, il y a 20 ans, un système photovoltaïque au sol complet coûtait justement 6€/W environ. Mais il ne coûte plus qu’entre 0,8 et 1€ aujourd’hui.

On pourrait alors considérer que les coûts de cette technologie émergente sont amenés à baisser, et qu’un passage à l’échelle industrielle, tel que la construction de 1000 km de routes, est précisément ce qu’il faut pour accélérer la baisse des coûts.

C’est raisonner un peu vite, et extrapoler bien légèrement. Car pour que le CAPEX du photovoltaïque standard baisse d’un facteur 6 en 20 ans, il a fallu injecter des milliards et des milliards de dollars en Allemagne, Chine, Japon, Corée du sud, Taïwan, États-Unis, etc. Et cela a pris 20 ans.

Ajoutons que le solaire routier a intrinsèquement un rendement et une durée de vie écrasés, pour des raisons physiques qu’un collégien peut facilement comprendre. Et cela se traduit par un coût du kWh et un impact environnemental sensiblement plus élevés.

Le média financier Equities.com comprend mal, dans ce contexte, pourquoi la ministre de l’Écologie veut absolument faire rouler des camions et des voitures sur des cellules PV. Et le Electronics Engineering Video Blog y a consacré une vidéo furibonde et hilarante (en anglais), dénonçant une engineering folly.

Dès lors, la question peut être posée. Si l’on admet que dans le contexte de la transition énergétique française le recours à la solution Wattway n’a pas de pertinence économique face aux autres solutions disponibles, alors de deux choses l’une. Soit nous sommes face à un « coup de com » aussi irresponsable que coûteux, soit nous sommes dans une forme de soutien à la production, dans l’espoir de développer une spécialité française.

De la politique industrielle, en somme. Cela n’est pas en soi illégitime. Mais il faut le dire clairement et faire les choses sérieusement. Accepter, par exemple, de soumettre ce projet à des experts qui en évolueront la pertinence, en mesurant les retombées attendues (en chiffre d’affaire à l’export, en emplois, etc.) au regard des investissements consentis. Envisager, aussi, la possibilité ou non pour d’autres pays d’imiter cette technologie au cas où, dans dix ou vingt ans, elle se révèle compétitive. Et s’interroger, enfin, sur la différence entre soutenir une filière et subventionner une grande entreprise.

Ce texte a été repris sur Slate. Une version anglaise, disponible sur Telos, est publiée par Renewable International (Hannover, DE).