Les banques centrales face à l’inflation: peuvent mieux faire edit
Après une décennie de lamentations parce que l’inflation était trop basse, voici qu’elle est devenue trop haute. Les raisons sont multiples. La reprise exceptionnellement vigoureuse après les vagues successives de Covid a buté sur un redémarrage de la production moins rapide, en partie parce que les moyens de transport ne pouvaient répondre aux besoins. Du coup, les prix des matières premières se sont envolés. En même temps, un peu partout dans les pays développés on observe de fortes tensions sur les marchés du travail. Les entreprises ont souvent dû améliorer leurs offres d’emploi, que ce soit en matière de rémunération ou de conditions de travail. Et, pour couronner le tout, la Russie a envahi l’Ukraine, déclenchant une vague de sanctions et de contre-sanctions qui ont fait exploser les prix du gaz et, moins violemment, du pétrole.
L’inflation est au cœur du mandat des banques centrales. Autant sidérées sur le coup que nous, elles ont d’abord fait le choix de la prudence. Elles ont toutes proclamé que cette envolée des prix était temporaire, justifiant ainsi leur inaction. Double erreur ! Elles se sont trompées, et elles se sont montrées imprudentes pour n’avoir pas voulu imaginer une situation totalement inédite. Alors qu’elles répètent à l’envi que leur première vertu est d’être crédibles, les banques centrales ont été sérieusement décrédibilisées. Une par une, elles ont reconnu leur erreur et cherchent aujourd’hui à se montrer d’autant plus fermes qu’elles ont été trop longtemps passives.
C’est alors qu’elles ont commis une troisième erreur : annoncer qu’elles comptent faire redescendre l’inflation à l’objectif de 2% sans provoquer de récession – un « atterrissage en douceur ». C’était encore une annonce irréaliste car elles ne savent pas à quelle vitesse l’inflation baissera, ni ce qui va se passer sur le front des prix des matières premières et encore moins en Ukraine. Elles ont changé leur communication à présent, mais leur crédibilité a encore souffert.
La hausse des taux d’intérêt dans laquelle elles se sont engagées a pour but de ramener la demande en dessous de l’offre, autrement dit de ralentir la croissance et de réduire l’emploi. Ce ralentissement est censé refreiner l’ardeur des entreprises à augmenter leurs prix et celle des employés à demander des hausses de salaires pour compenser la perte de pouvoir d’achat. La durée et l’ampleur du ralentissement nécessaire est mal connue – et a beaucoup varié ces dernières années – et dépend d’un ensemble d’événements politico-sociaux et géopolitiques difficiles à anticiper.
La détermination des banques centrales garantit certes que l’inflation redescendra. Mais leur perte de crédibilité pourrait bien rendre cette descente plus difficile.
Les chiffres indiquent que le ralentissement est en cours, mais ils sont trompeurs. En effet, dans la plupart des pays, les marchés du travail sont historiquement tendus après la reprise exceptionnellement forte qui a suivi la pandémie. Cette situation n’était pas soutenable si bien qu’un ralentissement est inéluctable. Il ne s’agit pas nécessairement d’une récession, mais d’un nécessaire retour à la normale. En ce sens, les messages angoissés qui font la une des journaux sont totalement injustifiés. La lutte contre l’inflation nécessite que l’on passe suffisamment en dessous de la normale, et suffisamment longtemps, pour faire pression sur les prix et les salaires.
C’est ici que les banques centrales doivent éviter une nouvelle erreur. Jusque très récemment, elles indiquaient l’intention de faire revenir les taux d’intérêt à la normale, aux environ de 3%, mais ce ne sera pas suffisant. Il leur faudra aller plus loin. Ce qui inquiétant c’est qu’elles se gardent bien de dire à quel niveau elles pensent pousser les taux d’intérêt. Il est vrai qu’elles ne le savent pas, mais elles pourraient dire, au moins, que ce sera bien au-delà de 3%. Cette timidité renforce leur perte de crédibilité et pourrait les forcer à finalement aller encore plus loin pour atteindre leurs objectifs.
Mais les banques centrales ne sont pas les seules à cafouiller. Inquiets de voir la grogne monter, les pouvoirs publics s’efforcent d’atténuer les pertes de pouvoir d’achat. Nombreux sont les gouvernements qui offrent des subventions qui ont pour résultat de limiter les hausses de prix. Mais, comme expliqué dans un article récent de Gilbert Cette sur Telos, ces mesures ne font que déplacer dans le temps la pression inflationniste, tout en limitant le ralentissement de la croissance. Cela complique le travail des banques centrales. D’une part, en réduisant artificiellement et temporairement l’inflation, ces mesures peuvent amener les banques centrales à ralentir la montée des taux d’intérêt. D’autre part, en soutenant l’activité, elles peuvent au contraire pousser les banques centrales à accentuer la hausse des taux. Dans la mesure où ces effets sont limités dans le temps, les banques centrales devraient poursuivre leur action comme de si rien n’était pour éviter de laisser se créer une fausse impression que l’inflation est vaincue alors que les entreprises et leurs employés s’installent durablement dans un rattrapage lancinant des prix et des salaires.
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