5G: premier bilan en attendant le métavers edit
Rarement l’avènement d’une nouvelle norme dans les télécoms a donné lieu à une telle médiatisation et son lot de polémiques. Que peut-on en dire aujourd’hui ? D’abord il faut reconnaitre que la norme s’est bien concrétisée avec le déploiement de réseaux 5G dans la plupart des pays. L’année devrait se terminer avec 1 milliard d’usagers accédant à la 5G. Certes avec de grosses différences. L’Asie est en tête en proportion d’abonnés accédant à la 5G, devant les Etats-Unis qui précèdent les pays européens. Partout cependant, la norme devrait s’installer et devenir dominante avant la fin de la décennie.
Pour autant, les infrastructures réalisées sont encore partielles, non seulement en termes de couverture géographique mais aussi dans l’intégration de tous les paliers logiciel programmés. Par exemple peu d’opérateurs opèrent aujourd’hui leur réseau 5G sans s’appuyer sur le cœur de leur réseau 4G, ce qui limite notamment les capacités de formater le mix débit/latence (délai d’acheminement) /capacités en fonction des besoins propres aux différentes applications supportées. En fait les travaux de normalisation ne sont pas terminés et les déploiements suivent avec un ou deux ans de retard.
Des capacités supplémentaires mais pas de «killer app»
L’emphase multidimensionnelle mise sur la 5G a probablement brouillé l’image de cette technologie. Toutefois dès à présent on peut relever au titre des premiers bénéfices de la 5G l’augmentation des capacités disponibles au fur et à mesure de son déploiement pour supporter la croissance ininterrompue du trafic sur les réseaux mobiles (de l’ordre de 25% par an). Cette augmentation des capacités résulte des bandes de fréquences supplémentaires allouées à l’industrie mobile au titre de la 5G et de l’efficience propre à la technologie (plus de bits, c’est-à-dire de données, par hertz). On ajoutera ici que cette efficience se double d’une efficacité énergétique. Même si les antennes 5G installées ajoutent de la consommation d’énergie (appelée pour ce secteur à être de moins en moins fossile) aux réseaux préexistants, les performances progressent de façon significative au regard des générations 2/3/4G.
Il est néanmoins vrai que la 5G ne se caractérise pas, aujourd’hui ,par l'émergence de quelques « killer applications », des solutions adoptées massivement qui entraineraient le marché. Aux Etats-Unis, les opérateurs mettent en avant le succès de la 5G fixe en substitut à la fibre. Il n’est pas sûr que la dynamique se poursuive compte tenu des quelques 40 milliards USD dévolus à la fibre dans le plan de relance Biden. Le jeu vidéo qui migre progressivement vers des architectures en nuages (cloud) et qui justifie une faible latence est aussi naturellement ciblé par les opérateurs. Mais en l’état, même si plusieurs opérateurs ont cherché à valoriser l’accès à la 5G en le couplant avec des plans tarifaires « illimités », il reste difficile de voir dans la 5G un vecteur de relance qui ferait sortir les opérateurs d’une quasi-stagnation de leurs revenus depuis plusieurs années. Alors que dans le même temps, des centaines de milliards ont déjà été investis dans les fréquences et dans le déploiement de la 5G.
De grosses attentes sur le marché entreprise
Comme nous l’avons évoqué, il faudra encore plusieurs années pour constater un déploiement mature de la 5G aux Etats-Unis comme en Europe. Cette maturité reposera sur l’intégration de fonctionnalités en devenir mais aussi sur la capacité de la 5G à trouver des marchés dans les environnements professionnels. Les ports, les aéroports et plus généralement la logistique, les sites manufacturiers denses en robots, les grands établissements hospitaliers, sont des cibles clairement identifiées. Mais on en est au stade très souvent de projets pilotes qui nécessitent en outre de s’inscrire dans des environnements informatiques/robotiques en pleine mutation avec notamment des architectures multi-cloud (avec des applications qui tournent sur leurs équipements et ceux de plusieurs grands prestataires) incluant des capacités de traitement des données au plan local (edge computing). A cet égard les opérateurs sont pour partie en concurrence avec une approche de la 5G privilégiant des réseaux 5G privés (dévolus à un usager) et plus généralement tenus à coopérer avec d’autres acteurs.
Pour rester présents sur le marché des grandes entreprises, alors que les recettes traditionnelles de la téléphonie et de la transmission de données s’effritent, les grands opérateurs ont dû passer des accords avec les hyperscalers (les plus grands acteurs du cloud : AWS, Microsoft, Google…) qui les transforment un peu en distributeurs des services et logiciels des Big Tech. La 5G est ainsi au cœur d’un dilemme pour les opérateurs, dilemme d’autant plus profond que l’intelligence de leurs propres infrastructures réseaux est amenée à basculer vers des architectures cloud dans lesquelles les hyperscalers espèrent jouer un rôle. La résolution de ce dilemme nécessiterait une accélération de la mutation des opérateurs qui passe probablement en Europe par une consolidation des acteurs leur donnant un certain pouvoir de marché. Un peu à l’instar d’Ericsson et de Nokia qui dans leur registre, aidés par le bannissement de leur rival chinois, semblent en mesure d’affronter les mutations profondes de leur industrie.
Et le métavers?
On ne peut pas terminer sans s’interroger sur l’incidence que pourrait avoir le métavers sur la 5G et surtout la 6G. Le patron de Facebook s’inquiétait cet été des capacités des réseaux des opérateurs à supporter le trafic et les contraintes d’une généralisation des applications de la réalité augmentée ou virtuelle, des jumeaux numériques, du web3 et de ses univers parallèles, etc. De notre point de vue, et sans entrer ici sur le grand flou qui caractérise souvent les présentations du métavers, les accès fibre sont dominés par les coûts fixes (notamment de génie civil) et pourraient supporter une explosion du trafic au prix d’une évolution des composants d’extrémité. Mais, la 5G et la 6G promise pour la fin de la décennie, seraient très directement impactées par le succès annoncé du métavers même si une part significative du trafic s’échappe sur les réseaux fixes grâce au WiFi. Il faudrait accélérer l’extinction de la 2G et la 3G pour réutiliser leurs fréquences, progresser vers les fréquences millimétriques (bien au-delà des 6MHz), généraliser les nano-cellules (plus la fréquence est haute plus la portée est limité) et faire progressivement de la radio une option d’accès d’un réseau fibre très fortement maillé. Les investissements des opérateurs pourraient alors devoir repartir à la hausse. Sauf si les opérateurs réussissaient de façon significative à s’imposer dans des applications « à haute valeur ajoutée », cela mettrait en question les modèles tarifaires aujourd’hui largement indépendants des paramètres de débits, d’intensité d’usage, de latences, etc. Ce contexte poserait aussi de façon beaucoup plus concrète la responsabilité partagée des différents acteurs de la chaîne de valeur pour maintenir la soutenabilité de leurs projets, y compris au regard des exigences de la préservation de notre planète.
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