Pourquoi il faut renationaliser le Pacte de stabilité edit
Le Conseil européen, qui se réunit le 18 octobre à Lisbonne pour finaliser le projet de Traité simplifié, ferait bien de se pencher avec un peu plus d’imagination sur la manière dont la zone euro est gouvernée. Lundi nous abordions la question de la place de la BCE dans cette gouvernance. Aujourd’hui, nous abordons un second volet dans lequel nous proposons ni plus ni moins que la renationalisation du Pacte de stabilité et de croissance.
L’objectif du pacte – la discipline budgétaire – est louable mais sa mise en œuvre est discutable. Après la débâcle de 2003, qui avait conduit à la suspension du pacte, les changements adoptés en 2005 ont introduit de la flexibilité mais ces aménagements sont contredits par l’approche comptable et juridique de la Commission. C’est ainsi que le nouveau pacte prévoit de tenir compte des « mesures qui contribuent à accroître le potentiel de croissance ». C’est précisément l’argument présenté par la France pour justifier un retour différé à l’équilibre budgétaire par rapport aux engagements pris par le gouvernement Villepin. La position du nouveau gouvernement est que des réformes structurelles majeures sont en cours, qu’elles devraient se traduire par des gains de croissance et d’emploi conséquents mais que la stratégie du donnant-donnant implique un alourdissement du budget de l’Etat. Sans même essayer d’évaluer l’effet de ces réformes, ni même leur coût, la Commission se prépare à censurer le France au prétexte qu’un engagement est un engagement. Pour elle, les engagements pris par le précédent gouvernement doivent être respectés, même si ce dernier n’avait pas prévu de réformes.
En fait, il ne va pas de soi que le Pacte constitue la bonne réponse au besoin de discipline budgétaire. Il n’est pas non plus établi que l’indiscipline budgétaire d’un pays pose un sérieux problème aux autres pays membres, en tout cas suffisamment pour justifier une mécanique aussi lourde que le pacte. Le fait que le pacte ait été accepté par tous les pays membres n’est pas une preuve de son utilité, même si c’est ce que répètent la Commission et, hélas, nombre de nos partenaires attachés au respect des textes adoptés.
Pourtant, on peut faire mieux que le pacte. On peut à la fois s’attaquer à l’indiscipline budgétaire, un fléau qui sévit dans plusieurs pays de la zone euro, et respecter la souveraineté des gouvernements et des Parlements en la matière, un des acquis fondamentaux de la démocratie. La solution est de renationaliser le pacte. Il s’agit de confier à chaque pays le soin de mettre soi-même en place un mécanisme efficace de contrôle des déficits. On peut en même temps corriger un gros défaut du pacte, une fixation rigide sur les déficits annuels, en replaçant le principe de discipline dans une stratégie de réduction de la dette publique à moyen terme.
Ce mécanisme, qui devrait être « agréé » par l’Eurogroupe et la Commission, peut prendre diverses formes, complémentaires entre elles.
. Un renforcement du ministère des Finances, qui lui permet de limiter les dépenses des autres ministères. De nombreuses recherches sur les causes de l’indiscipline budgétaire montrent en effet qu’elle est plus marquée là où les ministères dépensiers ont plus de poids politique, ce qui est bien normal.
. Une procédure de préparation du budget en deux temps par le gouvernement : dans un premier temps, le gouvernement décide du solde budgétaire, sur proposition du ministre des Finances puis, dans un deuxième temps, sont décidées les recettes et les dépenses. Il s’agit donc de choisir d’abord comment faire évoluer la dette au titre de l’intérêt général, avant de plonger dans le marécage des intérêts particuliers qui s’accordent pour laisser filer les dépenses.
. Une interdiction pour le Parlement de modifier le solde budgétaire proposé par le gouvernement, ce qui signifie que toute dépense supplémentaire doit être financée par des recettes correspondantes. C’est un puissant levier pour mettre un prix sur les besoins, toujours impérieux, des ministères dépensiers. La Loi organique relative aux lois de finance (LOLF) a avancé un peu dans ce sens, mais beaucoup de chemin reste à parcourir.
. La mise en place d’un Haut-Conseil de la politique budgétaire doté de trois missions consultatives : 1) proposer au gouvernement une évaluation de la dette publique sur plusieurs années, ce qui revient à prévoir les déficits ou surplus budgétaires sur cet horizon ; 2) évaluer le budget proposé par le gouvernement avant son adoption par le Parlement ; 3) surveiller en cours d’année l’évolution du solde budgétaire et, au besoin, recommander des ajustements. En confiant à des experts le souci de ramener la dette publique à un niveau plus décent, on crée un groupe de pression soucieux de l’intérêt général mais sensible aux autres impératifs, par exemple le financement de réformes fondamentales. Certains pays, dont la Suède et le Chili, ont mis en place de tels organismes. Une version plus ambitieuse donnerait au Haut-Conseil un pouvoir décisionnel en matière de solde budgétaire sans qu’il puisse intervenir sur le niveau et la structure des dépenses comme des recettes.
Le lien entre budget et réformes est au cœur de la stratégie de Lisbonne, qui a manifestement échoué. Non, l’Union Européenne ne sera pas en 2010 « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde ». Ce type d’approche, qui définit des objectifs inatteignables, rappelle étrangement la planification soviétique. Il a conduit à la mise en place d’un processus bureaucratique qui comporte des rapports nationaux emplis de vœux pieux, leur évaluation par la Commission et une discussion annuelle au Conseil européen où chaque chef d’Etat ou de gouvernement fait semblant de croire en la valeur de l’exercice. Il peut difficilement en être autrement car toutes les politiques concernées sont nationales et non pas du ressort de l’UE. L’idée que la pression par les pairs allait encourager des gouvernements à conduire des réformes dont ils connaissent le coût politique était condamnée à l’avance.
Comme pour le Pacte de stabilité, l’objectif est essentiel mais la mise en œuvre est défectueuse. Aux objectifs irréalistes il convient de substituer des incitations qui encouragent les gouvernements à consacrer aux réformes les moyens nécessaires. Ces moyens peuvent être des coûts directs – par exemple la recherche et le développement ou la formation – ou indirects – le donnant-donnant qui émousse les réactions hostiles aux réformes. La révision du Pacte de stabilité ouvrait une telle perspective ; l’exemple de la France montre que cela ne fonctionne pas. La renationalisation du pacte représenterait un pas important dans la bonne direction si elle s’accompagnait de la mise en place de Hauts-Conseils de la politique budgétaire dont le mandat inclurait la prise en compte du coût des réformes.
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