L'euro-révisionnisme edit
Dans son discours d'Agen, Nicolas Sarkozy a dit des choses très justes sur l'Europe. Il a fustigé le « court-termisme » du Pacte de stabilité et suggéré qu'il pouvait y avoir de bons déficits publics dès lors qu'ils permettaient de financer réformes et croissance. Mais sur l'Euro et la BCE, ses remarques sont pour le moins contestables. Il dénonce l'euro fort, propose de rediscuter le statut et les objectifs de la BCE, et reprend à son compte la légende selon laquelle l'introduction de l'euro « s'est bel et bien accompagnée d’une forte hausse du coût de la vie et d’une chute du pouvoir d’achat ».
Nicolas Sarkozy reconnaît que cela ne se voit pas dans les statistiques, mais il les qualifie de « virtuelles ». Il rejoint ainsi Ségolène Royal qui s’est, elle aussi, attaquée à l’indice du coût de la vie qui « ne correspond pas à la réalité ». Au moment de l’adoption des billets en euro, il y a eu des arrondis, tous dans le même sens bien sûr, et certains même très généreux. Quand on additionne le tout, et qu’on arrondit les estimations vers le haut, même très généreusement, on arrive à une hausse de 0,2%. Admettons que l’on se trompe, rajoutez 50% et ça fait 0,3%. Ce n’est pas complètement négligeable mais certainement pas une « forte hausse ». De plus, ce phénomène unique ne mérite pas l’aspect diabolique qu’on lui prête, pour deux raisons.
D’abord parce que les prix sont libres en France. Si des commerçants lancent le bouchon trop loin, rien n’empêche d’autres d’en profiter pour leur voler des parts de marché. Si des prix ont sauté le 1er janvier 2002, il faudrait voir ce qui s’est passé dans les mois suivants, sous la pression de la concurrence. En économie de marché, il n’y a pas de prix abusivement élevés : sauf position dominante et non concurrentielle, il n’y a que des prix qui reflètent le jeu de l’offre et de la demande. On peut ne pas aimer, mais il faut être logique : soit on accepte la loi du marché, soit on veut s’en affranchir. En dénonçant des hausses de prix en l’absence de preuve de position dominante, ils risquent de donner l’impression de vouloir revenir au contrôle des prix. Or les expériences d’encadrement des prix se sont accompagnées de désastres économiques.
Ensuite dire que des hausses de prix réduisent le pouvoir d’achat est inexact. Ceux qui ont augmenté les prix à la faveur d’un arrondi généreux ont vu leur pouvoir d’achat augmenter. Bien sûr, cela s’est fait au détriment des autres, par exemple les salariés, mais il s’agit d’un transfert de pouvoir d’achat, pas d’une baisse généralisée. Certains ont gagné, d’autres ont perdu, on peut le déplorer mais suggérer que cette mini-hausse aurait pu causer un ralentissement économique est erroné.
L’euro fort est une autre légende. En moyenne vis-à-vis de nos partenaires commerciaux hors zone-euro, le cours de l’euro est à peu près au même niveau que lors de sa création en janvier 1999. Depuis il a baissé, puis il est remonté, tout ceci librement puisqu’il flotte. On ne peut donc absolument pas parler de surévaluation.
Mais c’est vrai que l’euro a vocation à faire partie des monnaies fortes, c’est-à-dire des monnaies qui ont plus tendance à s’apprécier qu’à se déprécier. Pourquoi ? Parce que la BCE a effectivement mission d’assurer un bas taux d’inflation. Les monnaies faibles, elles, se déprécient pour compenser une inflation élevée. Mais on ne gagne rien à ce jeu : la dépréciation répond à l’inflation qui suit la dépréciation. La France a beaucoup joué à ce petit jeu avant 1983, et puis Jacques Delors a radicalement changé d’orientation. La France a cessé de jalouser le mark allemand, et l’euro continue sur cette lancée. L’inflation, jadis préoccupation majeure des Français, a disparu des sondages. Voilà un problème de réglé, à condition bien sûr de ne pas remettre en cause les objectifs de la BCE.
On reproche habituellement deux choses à la BCE. La première, c’est son attachement à la lutte contre l’inflation. Le Traité de Maastricht – que l’on n’est pas prêt de pouvoir renégocier – dit que la BCE doit d’abord assurer la stabilité des prix et ensuite se préoccuper de croissance. C’est exactement ce que font toutes les banques centrales aujourd’hui. La BCE a le tort de répéter, mois après mois, qu’elle ne s’intéresse qu’à la stabilité des prix. Ce n’est pas ce qu’elle fait depuis 1999. La preuve : elle n’a pratiquement jamais atteint son objectif, garder l’inflation en dessous de 2%, pour la bonne raison qu’elle se préoccupe vraiment de croissance et d’emploi, sans le dire.
La deuxième reproche adressé à la BCE c’est d’être trop indépendante. C’est vrai que ce n’est pas dans la tradition française que de déléguer une tâche importante à des experts indépendants. Mais sur ce point, l’évidence est trop criante pour nourrir un débat : quand on regarde dans l’histoire, l’inflation est systématiquement plus faible dans les pays où la banque centrale est indépendante, et ce sans aucune conséquence sur la croissance et l’emploi. C’est bien pour cela que dans presque tous les pays démocratiques, que ce soient des économies avancées ou des marchés émergents, les banques centrales ont été rendues indépendantes. Et c’est bien pour cela que l’inflation a disparu dans tous ces pays.
Si l’euro était la source de nos problèmes, autre légende populaire, ce seraient tous les pays de la zone euro qui serait sur le déclin. Mais de nombreux pays de la zone euro se portent bien : l’Irlande, bien sûr, l’Espagne, la Finlande, la Grèce. Certes, les trois pays de l’Union Européenne qui n’ont pas adopté l’euro (le Danemark, la Suède et la Grande Bretagne) vont bien, aussi. Mais ce que tous ces pays ont en commun, c’est qu’ils ont réformé leurs structures économiques et... rendu leurs banques centrales indépendantes. La France victime de l’euro est une autre légende.
Ceci ne veut pas dire que tout est parfait en Europe, loin de là. Il faudra sans doute discuter de l’objectif d’inflation de la BCE et obtenir d’elle plus de transparence. Mais la France, seule, ne pourra pas améliorer le fonctionnement de l’Union. Il lui faut d’abord comprendre ce qu’en pensent les autres pays, et ensuite les convaincre de la justesse de notre analyse. Une analyse qui repose sur des légendes qui n’ont plus cours en dehors de l’hexagone est un bien mauvais point de départ. Berlusconi a, lui aussi, essayé de faire porter le chapeau à l’euro, avec les mêmes légendes. Cela l’a complètement marginalisé parmi ses pairs et il a perdu les élections. L’euro-révisionnisme ne paye pas.
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