Chypre : y a-t-il encore une zone euro? edit

29 mars 2013

Alors que les banques chypriotes ont ré-ouvert sous un régime de strict contrôle, deux questions se posent : est-ce que le plan de renflouement de Chypre est le nouveau cadre dans lequel s’inscriraient les renflouements d’autres états de la zone euro ? Est-ce que la zone euro est encore une véritable union monétaire ? La réponse à chacune de ces questions est négative, à mon avis, mais mérite d’importantes qualifications.

Le plan de sauvetage de Chypre n’est pas un précédent, mais il aura marqué l’entrée en action fracassante du principe de renflouement interne (bail-in). Pour n’avoir pas fait clairement la distinction, les commentaires de M. Dijsselbloem, président de l’Eurogroupe et ministre des finances néerlandais, ont envoyé une onde de choc dans les marchés telle que M. Dijsselbloem a du immédiatement publier un communiqué expliquant que le cas de Chypre était exceptionnel et que les programmes d’ajustement macroéconomiques étaient adaptés au cas de chaque pays.

Depuis, le Président de l’UE Hermann Von Rompuy comme Benoit Coeuré, membre du Conseil exécutif de la BCE, ont martelé le point. Dont acte. Il est vrai que les banques chypriotes sont, ou plutôt étaient, d’une variété assez spéciale, avec un bilan consolidé de proportion quasi islandaise en comparaison de la maigre base d’imposition de la République Chypriote et, surtout, une structure de passif extraordinaire, puisque constituée à 91% de dépôts bancaires. De ce point de vue il est évident que le type de renflouement interne par les créanciers, donc forcément les déposants, des banques chypriotes ne s’appliquera à aucun autre pays de la zone euro. D’ailleurs, M. Dijsselbloem n’a jamais rien dit de tel, selon la transcription intégrale de son interview publiée par le Financial Times. Il s’est contenté de dire sans prendre de gants que les contribuables n’allaient plus se montrer aussi généreux que par le passé pour sauver des banques en faillite. De ce point de vue, le plan Chypriote en général et la liquidation de la banque Laiki en particulier sont cohérents avec le principe du bail-in proposé par le G-20 au sommet d’avril 2009, sous l’acronyme RRP (Resolution and Recovery Plan). Dans l’Union Européenne, le principe du bail-in fut élaboré en détail par les superviseurs et contrôleurs bancaires, puis transcrit par les juristes de la Commission en un projet de Directive rendu public en juin 2012.

Le principe du renflouement interne est bel et bien un nouveau paradigme, conçu pour réduire, sinon éliminer l’alea moral du ‘too big too fail’, c’est à dire le risque de socialisation de pertes privées en raison du caractère systémique de certaines banques. Ce n’est plus un sujet aride pour spécialistes des marchés, c’est maintenant un principe actif. Et c’est à Nicosie qu’il a été lancé dans le grand public, sans aucune précaution, ce qui montre que les dirigeants européens n’ont pas appris grand-chose en matière de communication en temps de crise. Vilipendé depuis, M. Dijsselbloem n’avait fait que dire la vérité de façon candide. Lors de la succession de M. Juncker à la Présidence de l’Eurogroupe, les dirigeants de la zone euro n’auraient pas dû choisir un jeune politicien néerlandais qui, peut-être naïvement, pense que dire la vérité sans prendre de gants ne fait pas de mal, s’ils avaient besoin d’un maitre de la communication comme Alan Greenspan dans ses grands jours, lorsqu’il déclarait « si vous pensez avoir compris ce que je voulais dire, c’est que je me suis mal exprimé ».

A quoi faut-il s’attendre dans les mois qui viennent ? Bien des pays de l’UE ont des systèmes bancaires encore fragiles, comme l’a montré un récent rapport de l’Autorité Bancaire Européenne en calculant le déficit en capital des banques de l’UE, au regard des futures exigences de Bale 3. L’ABE conclut que les banques de type 1 (importantes et opérant dans plusieurs pays) ont encore un déficit de 112 Mds euros pour leurs capitaux propres actions, auquel pourraient s’ajouter 30 à 80 Mds découlant de la limitation du levier (la limite inférieure à 3% du ratio capitaux propres sur dette). Le déficit en capitaux propres serait donc de l’ordre de 200Mds d’euros, soit près de trois ans de profits. La bonne nouvelle est que les banques progressent assez rapidement vers ces objectifs. La moins bonne nouvelle est que les banques européennes ne sont pas encore dans une situation aussi saine que leurs homologues américaines. Dans un contexte de forte récession comme en Italie et en Espagne, ceci continuera de laisser planer le doute sur la résilience des banques, malgré un rapport plutôt positif du FMI sur les banques italiennes et, ce qui est plus grave, sur leur capacité à financer l’économie, les PME en particulier. Ce qui nous conduit à la seconde question : la zone euro est-elle déjà cassée ?

Bien des commentaires ont récemment fleuri sur l’apparition d’un sous-euro à Chypre, en raison de la fermeture prolongée des banques, des restrictions aux mouvements de capitaux et de la participation des gros déposants au renflouement des banques. Il est vrai qu’un dépôt bancaire de 150K euros en Allemagne est plus liquide et a une valeur supérieure que son équivalent à la Banque de Chypre. Stricto sensu et pour une période limitée, le pouvoir libératoire de l’euro n’est pas le même à Chypre que dans le reste de la zone euro. Mais la situation chypriote était extrême : l’alternative aurait été une sortie de l’euro avec une dévaluation d’au moins 70%, ce qui excède largement les pertes qu’encourent certains déposants.

La vraie division dans la zone euro provient de la rupture du mécanisme de transmission monétaire. Une entreprise italienne (ou espagnole) et une entreprise allemande (ou française) ayant des qualités de crédit similaires ne sont plus dans la même zone monétaire : tandis que la première peut emprunter à moyen terme à 3,5%, la seconde le ferait à 5,8% (taux ‘prime’ pour des prêts inférieurs à 1M euros d’une durée de 1 à 5 ans, janvier 2013). Il est révélateur que cet écart de 2,3 points est à peu près le même que celui qu’on observe entre les obligations d’état d’une maturité de deux ans, une parfaite illustration du lien délétère entre émetteurs souverains et banques au sein de la zone euro.

Laissant de côté son importante dimension politique, cette division est la principale menace pour la pérennité de l’euro, car elle alimente un cercle vicieux qui fait suffoquer les économies du Sud sous le poids d’un ‘credit crunch’ tandis que celles du noyau sont inondées de liquidités. La division est en réalité encore plus vive que ne le suggèrent les taux d’intérêt nominaux, car, les taux d’inflation dans les pays du Sud, une fois corrigés des effets transitoires des hausses de TVA et de prix administrés, sont plus bas qu’en Allemagne, de 0,3pp pour l’Italie et de 1,7pp pour l’Espagne. De ce fait l’écart des taux d’intérêt réels, ceux qui importent pour les entreprises dont les prix de vente dépendent des conditions locales, est encore plus large. La BCE a depuis longtemps identifié la rupture du mécanisme de transmission monétaire comme étant le principal obstacle à son action. Elle a également identifié l’antidote : une union bancaire crédible, qui rétablirait des conditions de crédit comparables au sein de la zone euro.