Les grandes attentes face à la dépendance edit
Les Français souhaitent majoritairement, en cas de dépendance, rester vivre chez eux. Ils demandent une implication accrue des pouvoirs publics, concevant, pour une majorité plus réduite d’entre eux, qu’il soit nécessaire de cotiser et épargner davantage. Les demandes de soutien sont également élevées en ce qui concerne les aidants. Ces constats, établis depuis le début des années 2000, ne connaissent pas de grandes variations dans l’opinion. Des attentes hautes donc, que ne doit pas décevoir un gouvernement qui a organisé une grande concertation nationale sur la question.
Une concertation de grande ampleur, sur le thème « grand âge et autonomie », a été menée de fin 2018 à 2019. Il en ressort un rapport officiel faisant le point sur les situations et les évolutions, les politiques et les dispositifs, les besoins et les perspectives[1]. Ce document, consistant, salué par les experts comme par les opérateurs, rend d’abord compte des fortes demandes de transformation exprimées dans le cadre de la concertation. Il en va d’une priorité au maintien à domicile, de propositions pour l’amélioration de la qualité de la prise en charge en établissement, pour le respect du besoin d’être « chez soi » quel que soit le lieu de vie, pour la simplification du parcours et de l’accompagnement, pour une plus grande égalité de traitement selon les territoires. Ces observations et recommandations, rendues au gouvernement, doivent nourrir les réflexions et les annonces pour renforcer ce secteur singulier de l’action publique qu’est devenue la dépendance.
Afin de prévenir la dépendance et de promouvoir l’autonomie, il importe de mesurer les aspirations et opinions des Français à ces sujets. La concertation aura été l’occasion d’écouter les Français, notamment les plus concernés, et de réaliser des expertises et des exercices de synthèse. C’est ce que propose cet article en synthétisant les résultats d’une grande enquête d’opinion abordant les sujets de la dépendance et de l’autonomie des personnes âgées.
Nombre de sondages ponctuels apportent de l’information utile. Les enquêtes dites barométriques – parce que répétant les mêmes interrogations plusieurs fois, parfois sur temps très long – fournissent des données encore plus intéressantes, car permettant de repérer des évolutions et des continuités. Le ministère des Affaires sociales produit, depuis 2000, une telle étude. Celle-ci, conduite sous l’égide de sa Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (DREES), interroge chaque année un échantillon représentatif de la population française. Cet échantillon, de taille très honorable (3000 personnes de plus de 18 ans vivant en France métropolitaine), se voit passer un questionnaire très large sur la protection sociale. Les questions abordent les thèmes de la dépendance. L’enquête de la DREES permet ainsi quelques enseignements extrêmement clairs.
Rester chez soi d’abord
En cas de survenance de la dépendance, prévaut, pour les Français une large préférence pour le maintien à domicile. Interrogés depuis une vingtaine d’années sur la question, ils privilégient nettement, pour leurs proches comme pour eux-mêmes, les solutions permettant de demeurer à domicile.
Confrontés hypothétiquement à la dépendance d’un proche, la part des répondants estimant qu’ils placeraient ce membre de leur famille dans une institution spécialisée a augmenté de quatre points entre 2000 et 2017. La part des répondants se déclarant prêts à accueillir à leur propre domicile ce proche devenu dépendant a, quant à elle, baissé de cinq points. Mais ces deux options ne rassemblent pas la majorité des Français. Ceux-ci mettent toujours en avant l’option du maintien à domicile de la personne devenant dépendante, soit en l’aidant financièrement, soit en l’aidant matériellement. Dans l’éventail des possibles, c’est la modalité d’une implication accrue des personnes elles-mêmes auprès de leur proche, à son domicile, qui arrive aujourd’hui en tête. L’option du placement dans une institution spécialisée reste la dernière.
Si l’on ne s’intéresse pas à un proche mais à soi-même, l’option de l’établissement pour personnes âgées (la maison de retraite, ou dit plus techniquement, l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes – EHPAD) s’avère de moins en moins envisageable. En 2000, elle était déjà minoritaire, avec 55 % des Français ne la considérant pas comme envisageable en ce qui les concerne directement. En 2017, ce sont les deux-tiers des Français qui estiment inenvisageable une telle perspective. Dans toutes les questions posées barométriquement sur la dépendance, c’est ce sujet qui a vu le plus d’évolutions, avec une part de Français réticents à la perspective de l’établissement qui progresse de plus de 10 points sur près de 20 ans.
Ces résultats sont largement corroborés par d’autres sondages ou d’autres informations tirées par exemple de la concertation conduite entre 2018 et 2019. Il ressort que l’entrée en établissement se vit comme un déracinement, une rupture difficile à vivre sur bien des plans, avec des conséquences d’ailleurs problématiques sur l’état de la personne ainsi nouvellement logée. Maintenir à domicile c’est une façon de préserver, jusqu’au bout, si cela peut être rendu possible, un environnement fait de souvenirs, de conditions de vie jugées plus favorables, avec de l’autonomie et de la liberté.
Une attente d’intervention publique
Si les Français aspirent, au grand-âge, à demeurer physiquement dans la sphère privée qu’ils ont pu se constituer, ils demandent, à tout âge, un effort accru de la sphère publique pour mieux traiter de la dépendance. Ils sont majoritaires à estimer que c’est à l’État et aux pouvoirs publics en général de prendre en charge financièrement les personnes âgées dépendantes. La question n’est posée que depuis 2014 et on ne saurait noter trop de variations sur cette période. Ce sont ainsi deux tiers des répondants qui avancent la nécessité d’une prise en charge principalement publique des dépendants. Ils ne sont qu’un quart à penser que la responsabilité en incombe d’abord aux descendants et à la famille des personnes qui ne pourraient plus vivre seules sans aide. Enfin, un Français sur dix répond que c’est aux individus concernés de s’assurer et de prévoir.
Quant aux modalités de cette prise en charge, c’est d’abord autour du financement d’un tel effort, par une cotisation, que sont interrogés les Français. Ils l’ont été depuis 2000, là aussi sans bouleversement important de l’orientation et de la hiérarchie des opinions. Si une cotisation spécifique devait être créée afin de couvrir le risque de dépendance[2], elle devrait – aux yeux des Français – être facultative. Ce qui est – soit dit-en passant – assez étrange pour un risque que l’on appelle à voir davantage socialisé. En tout état de cause, un Français sur deux estime qu’une telle cotisation ne devrait être acquittée que par ceux qui le souhaitent. Un tiers des Français estiment, au contraire, qu’il devrait s’agit d’une véritable cotisation sociale, obligatoire. De façon originale, l’obligation de cotiser pourrait légitimement – selon un Français sur cinq – être modulée en fonction de l’âge. L’obligation de cotisation « dépendance » ne débuterait qu’à partir d’un certain âge. Lequel ? C’est une affaire de paramètres que ne traite pas le baromètre.
Sur le plan de l’épargne personnelle, le questionnaire interroge, depuis 2000, sur ce que les Français seraient prêt à faire. On ne leur demande pas une mesure de leur effort possible, mais simplement de dire s’ils pourraient davantage épargner en prévision d'une éventuelle situation de dépendance les concernant. En la matière, on doit relever une majorité de personnes prêtes à épargner plus, mais avec une certaine érosion, dans le temps, de cette proportion. Du côté des Français qui ne se disent pas prêts – soit qu’ils n’en aient pas les moyens, soit qu’ils n’en voient pas les fondements – à le faire, la proportion passe du quart des répondants au début des années 2000 à presque 40% en 2017. C’est une autre des transformations importantes, dans le temps, de l’opinion.
Après les recettes, les dépenses. Pour couvrir le risque de dépendance, il faut certes du financement, mais il faut aussi un instrument. Les Français sont, en l’espèce, interrogés sur la prestation qui pourrait venir compenser les surcoûts liés à la dépendance[3], à domicile ou en établissement. Il s’agit, avec cette question, de savoir si la prestation doit être attribuée avec une condition de ressources ou non. Une majorité forte se dégage en faveur d’une allocation qui serait ciblée sur les personnes disposant de faibles revenus. On doit cependant signaler une progression significative de l’opinion selon laquelle l’aide financière par rapport à la dépendance doit être versée à tout le monde. En 2000, 24% des répondants se prononçaient en faveur de ce que l’on appelle communément, dans le secteur de la protection sociale, l’universalité. Ils sont 30% en 2017.
Aider les aidants
Les Français sont également consultés sur leurs rôles et leurs demandes en tant qu’aidants. Ils demandent là aussi, pour ceux qui sont concernés, un soutien accru des pouvoirs publics.
D’abord, c’est un peu plus d’une personne sur cinq qui est concernée. On trouve en effet cette proportion de gens déclarant apporter personnellement une aide régulière et bénévole à une personne âgée dépendante, que cette dernière vive chez elle, au domicile de l’aidant ou en établissement.
Depuis 2011, on peut repérer une baisse de la part des individus se déclarant aidants. Mais cette baisse se compense, en partie, par l’augmentation du nombre de répondants indiquant qu’ils ne peuvent aider car ils doivent eux-mêmes être aidés.
Au-delà de cette remarque de détail, l’essentiel est dans la proportion des aidants – les trois quarts – qui disent avoir le sentiment de ne pas être suffisamment aidés et considérés, en tant qu’aidants, par les pouvoirs publics. Il s’ensuit de nouvelles demandes aux pouvoirs publics. Celles-ci, pour reconnaître et appuyer les aidants, passent d’abord par l’ouverture de centres d’accueil de jour pour recevoir les personnes dépendantes dans la semaine. Pour plus du tiers des aidants déclarés, c’est cette option qui doit être prioritaire. Vient ensuite, pour un quart des suffrages, la fourniture d’une aide financière. Ce sont des nécessités d’aménagement du temps de travail ou de formation qui suivent.
En tout état de cause, pour le ramasser dans une conclusion bien rapide, il reste bien des choses à faire ! À ne pas trop décevoir, surtout après une ambitieuse concertation.
[1]. Il s’agit du rapport « Libault », rendu par Dominique Libault à la ministre des Solidarités et de la Santé en mars 2019. https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_grand_age_autonomie.pdf
[2]. Il est implicitement évident qu’une telle cotisation irait au-delà de la contribution solidarité autonomie (CSA). Celle-ci, de 0,3 % à la charge de l'employeur, affectée à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), afin de financer des actions en faveur de l'autonomie des personnes âgées ou handicapées, a été créée en 2004. La question du baromètre avait été posée auparavant et n’a pas été revue depuis.
[3]. Il va là aussi sans dire que l’on n’entre pas précisément dans la technique du dossier. Avant que la question ne soit posée pour la première fois en 2000, existait, depuis 1997, la prestation spécifique dépendance (PSD). Cette PSD, d’ailleurs sous condition de ressources, a été remplacée en 2001 par l’allocation personnalisée d’autonomie (APA). La question du baromètre conserve cependant bien toute sa légitimité car elle porte sur la philosophie plus que sur la nature du dispositif.
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