Les effets inattendus de la contrefaçon edit

31 janvier 2010

La contrefaçon a mauvaise presse : travail volé, marques pillées, insécurité sur les produits, notamment pharmaceutiques… La perte d’emploi pour l’économie française notamment est importante, et ce au profit des pirates, le plus souvent venus de Chine. Mais les choses sont-elles aussi simples ? N’y aurait-il pas aussi des effets bénéfiques de la contrefaçon ?

Comment, en effet, ne pas être frappé par ce qu’on peut appeler le paradoxe de Shenzen Street, l’équivalent à Shanghai de la rue du Faubourg Saint-Honoré à Paris. On y voit les plus beaux magasins, avec tous les noms de marque qui figurent dans la belle chanson d’Alain Souchon (« Putain ça penche ! ») : Hermès, Boss, Ralph Lauren…, chacun d’eux avec des ventes au m² proches des records mondiaux, malgré ces temps de crise. Pourtant, à quelques centaines de mètres de là, il y a plus grand marché de contrefaçon du monde, où vous trouvez pour quelques yuans les mêmes produits avec les mêmes noms de marque collés aux vêtements, parfois provenant des mêmes usines. Pourquoi le marché de la contrefaçon ne tue-t-il pas toutes les boutiques de luxe ? La réponse, on la connaît : les Chinois qui ont de l’argent préfèrent l’original.

Du coup, il faudrait lire la contrefaçon d’une autre manière, plus ambivalente. Un produit de contrefaçon s’analyserait alors comme une action marketing permettant au plus grand nombre de s’offrir la grande marque à prix réduit. C'est très vrai pour les articles de mode. C’est vrai aussi dans une certaine mesure de la musique déchargée sur Internet : on connaît l’auteur via la contrefaçon, puis, une fois accroché, on lui reste fidèle, y compris pour les ventes pécuniaires.

Les producteurs légitimes cherchent légitimement une voie judiciaire pour affirmer leurs droits de propriété. C'est une première façon de faire monter le risque, et donc le coût de production, pour le pirate. Mais d’autres solutions existent. La première voie, c’est de baisser les prix : la contrefaçon est une force de rappel quand la rente liée à la marque est utilisée « abusivement » par le producteur titulaire. Le snobisme n’a pas de prix… jusqu'à une limite.

Une autre façon consiste à rompre avec le dogme d’une production préservée « à la maison », c'est-à-dire en France pour les grands du luxe. Par exemple, Hermès lancera au printemps une nouvelle marque, créée ex-nihilo et baptisée Shang Xia. L’idée est d’en faire « une maison authentique, avec un style, des matières et des savoir-faire ancrés dans la culture chinoise », selon Patrick Thomas, dirigeant de Hermès. Le design et la production seront locaux. Les points de vente seront en Chine bien sûr, mais aussi à Paris pour crédibiliser la marque à l’international.

Il faut saluer l’esprit entrepreneurial de Hermès, prêt à capitaliser tout à la fois sur la formidable croissance du pays et sur la haute culture chinoise.

Surtout, il faut saluer une stratégie de contournement assez subtile, qui associe des producteurs locaux, dirigeants, créateurs et salariés, à la lutte culturelle, judiciaire et politique contre les contrefacteurs. La brillante designer du futur Shang Xia, Mlle Qiong-Er Jiang, fille d’un des plus grands architectes du pays, qui de plus détiendra une part minoritaire du capital de la société, saura bien jouer de son influence pour y veiller.

C’est aussi cette stratégie qu’acceptent toujours avec prudence les Alstom ou les EADS quand ils veulent bénéficier de grands contrats à l’export.

C’est une réponse moins intéressante pour l’emploi français, mais qui préserve la marque et une grande partie de la valeur ajoutée. Les grands du luxe italiens le font sans vergogne en utilisant comme base arrière pour leur production la région de Naples, avec les bas coûts que permet une exploitation sous la férule de la Camorra, comme le montre de façon extraordinaire Gomorra, le livre témoignage de Roberto Saviano. On y lit les tours dont use la Camorra pour éviter un départ des savoir-faire de haute couture en Asie, y compris en recrutant sur place une Mafia asiatique dont précisément l’intérêt est que la fabrication ne file pas dans le Sichuan.

Enfin, les producteurs peuvent plus indirectement tourner à leur avantage le piratage : par exemple, Windows l’est à 90% en Chine. Mais cela rend les consommateurs captifs. Comme le remarque subtilement dit Bill Gates : « c’est plus facile pour notre logiciel de concurrencer Linux quand il y a du piratage que quand il n’y en a pas ». Les contrefaçons de Viagra peuvent être terriblement nocives pour la santé – et sont à raison passibles de peines criminelles. Mais quel spécialiste de marketing n’y verrait pas, dans son jargon inimitable, l’idéal « entry level product », le produit d’entrée de gamme magique ! « Les marchands et les pirates ont été pendant longtemps une seule et même personne », disait Nietzsche. Cette citation est-elle authentique, ou elle aussi de la contrefaçon ?