Bové la déroute edit

25 avril 2007

Le 14 juin 2006, José Bové annonçait sa candidature à l'investiture des collectifs antilibéraux mis en place à l'occasion de la campagne référendaire de 2005. Il estimait que « la dynamique unitaire devrait placer cette candidature dans le carré de tête au premier tour ». Il déclarait même fin juin lors d’un meeting à Aubagne : « on fait campagne pour être en tête au premier tour de la présidentielle ». Or, il n'y a pas eu de candidature unitaire, Marie-George Buffet et lui-même se présentant au nom de collectifs antilibéraux, et le 22 avril 2007, José Bové n'a obtenu que 479 125 voix, soit 1,32 % des suffrages exprimés.

Il recueille, par exemple, moins de voix que Corinne Lepage en 2002. Même si José Bové a affirmé après le scrutin que « nous avons construit les bases d’un élan unitaire », son échec est néanmoins patent. Il reconnaissait d’ailleurs lui-même le soir du 22 avril que « ce résultat n’est pas à la hauteur de nos espérances ».

A l’instar des autres candidats de la gauche radicale, José Bové a bien entendu lui aussi subi l’effet du « vote utile » en faveur de Ségolène Royal, mais aussi de François Bayrou. L’enquête réalisée à la sortie des urnes par Ipsos indique ainsi, par exemple, que 33 % des électeurs d’Olivier Besancenot en 2002 ont voté pour Ségolène Royal et 13 % pour François Bayrou. Mais cela n’explique pas pourquoi José Bové a obtenu un résultat plus faible que ses concurrents directs.

Son échec peut s’expliquer également par les circonstances de sa candidature et par sa campagne même. L’entrée en campagne de José Bové a été tardive et s’est faite un peu dans la confusion. Il a annoncé son intention de se porter candidat en juin 2006 à condition que cette candidature soit unitaire. En novembre, il se retire tout en dénonçant la volonté de Marie-George Buffet de se présenter elle-même au nom des collectifs antilibéraux, avant de revenir dans la course à la suite d’un appel lancé par ses partisans sous la forme d’une pétition. Il annonce finalement sa candidature officielle en février 2007. Cela a eu plusieurs conséquences.

Parti plus tard que les autres, le candidat Bové a eu beaucoup de difficultés à recueillir les parrainages nécessaires d’élus. Il a d’ailleurs été qualifié de justesse. Cela a sans doute mobilisé une grande partie du temps que son équipe pouvait consacrer à la campagne et retardé d’autant son lancement véritable.

Sa candidature a en outre renforcé le sentiment de division de la gauche de la gauche dans la campagne présidentielle d’autant qu’il est le sixième et dernier candidat à la gauche du PS à s’être déclaré. Malgré sa notoriété personnelle et la sympathie qu’il peut inspirer à une partie des Français, ces différents facteurs ont semble-t-il empêché José Bové de se différencier des autres candidats. Arrivé plus tard que les autres, il se présentait, en effet, à la première élection présidentielle depuis le 21 avril 2002 et le « traumatisme » que ce scrutin a représenté pour la gauche, sur un « marché » de la gauche radicale à la fois étroit et saturé par des candidats connus, aguerris à ce type d’exercice et s’appuyant sur des forces politiques structurées qui disposent au minimum d’un socle d’électeurs « captifs ». Or, José Bové n’a pas réussi durant la campagne à convaincre le plus grand nombre qu’il n’était pas qu’un candidat de la gauche radicale de plus ou accessoirement qu’un candidat écologiste de plus.

On aurait pu penser pourtant que José Bové pouvait exploiter certaines de ses singularités. Il incarne en France les luttes altermondialistes en alliant notamment les préoccupations de la gauche radicale et les préoccupations environnementales. Il se présentait en tant que candidat du « mouvement social » et s’appuyait sur un processus de délibération « citoyen » dans le cadre des collectifs antilibéraux.

Cependant, Marie-George Buffet s’est elle aussi présentée au nom des collectifs de la « gauche populaire et antilibérale ». D’autres candidats ont eux aussi revendiqué l’antilibéralisme et même l’altermondialisme. Cécile Duflot, la secrétaire nationale des Verts, affirmait ainsi le 7 avril que la candidature Voynet était la véritable candidature antilibérale et altermondialiste. Par ailleurs, le processus original des collectifs a été très largement éclipsé par les réunions de « démocratie participative » de la candidate socialiste. On peut dire d’un certain point de vue que José Bové a pâti de la « démocratie participative » de Ségolène Royal un peu comme Dominique Voynet a pu pâtir du « Pacte écologique » de Nicolas Hulot. Au total, la dynamique du « non » sur laquelle José Bové basait sa candidature a sans doute été surestimée, tout comme la contribution des collectifs au rejet du traité constitutionnel européen le 29 mai 2005.

Les sondages réalisés à la sortie des urnes (Ipsos, CSA) semblent confirmer cette absence d’originalité de la candidature Bové par rapport aux autres candidats de la gauche radicale. Même si José Bové a bénéficié du soutien de sympathisants d’extrême gauche et des Verts, les premiers lui ont préféré d’autres candidats comme Olivier Besancenot et Ségolène Royal, tandis que les seconds choisissaient en premier lieu Ségolène Royal, François Bayrou ou Dominique Voynet.

La sociologie de son électorat ne met en évidence aucune véritable singularité. Ainsi, pour Ipsos, si les jeunes et les étudiants se démarquent un peu dans son électorat, c’est dans une mesure moindre par rapport à Olivier Besancenot, et s’il en de même pour les agriculteurs, c’est dans une proportion équivalente par rapport à Marie-George Buffet. Ce qui est néanmoins notable, c’est le faible impact de José Bové sur les catégories populaires ou défavorisées. Selon Ipsos et l’institut CSA, les ouvriers, les employés, les chômeurs ou les personnes à revenu modeste ont très peu soutenu le candidat altermondialiste qui se présentait pourtant dans sa profession de foi comme « porte-parole d’un rassemblement de millions de citoyennes et de citoyens qui souffrent de la précarité et de l’insécurité sociale ».

C’est également perceptible a contrario dans les motivations de vote de ses électeurs. Les thèmes qui ont le moins compté dans leur motivation, avec les taux les plus bas par rapport aux autres candidats sont, pour Ipsos, l’insécurité, le pouvoir d’achat et les retraites et, pour CSA, la fiscalité et les retraites. Pour l’institut CSA, de tous les candidats, ce sont les électeurs de José Bové pour lesquels le chômage a le moins compté dans leur choix. Cela tendrait à montrer que son électorat semble avoir privilégié des valeurs générales – lutte contre les inégalités et protection de l’environnement – plus que des préoccupations concrètes et matérielles, qui sont au cœur des préoccupations des Français et notamment des catégories populaires. Ce dernier aspect souligne à quel point les altermondialistes ont du mal à avoir un impact sur les « perdants » de la mondialisation et de la modernisation économique, que sont principalement les catégories populaires et non qualifiées. Rappelons que le 22 avril 2007 les ouvriers ont d’abord voté pour Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy, puis pour Jean-Marie Le Pen et François Bayrou.