Alain Juppé: la demande de consensus edit

5 octobre 2016

Notre histoire politique est marquée depuis la Révolution par l’alternance de périodes de bipolarisation politique entre la gauche et la droite et de périodes de rassemblement autour d’un chef qui incarne l’unité de la Nation. Lorsque les périls sont grands et que le clivage gauche/droite perd de son intensité ainsi que de son efficacité à traduire les oppositions réelles qui traversent le pays, manipulé du coup avec excès par les leaders politiques qui en dévoilent ainsi le caractère artificiel, la demande d’un leader capable de rassembler le pays se refait jour dans l’opinion. C’est peut-être au développement de ce processus que nous assistons en ce moment.

Un premier élément va dans ce sens. L’enquête d’octobre du baromètre du Figaro Magazine marque un effondrement de la cote d’avenir de Nicolas Sarkozy chez les sympathisants de droite et d’extrême-droite : moins 13 points chez les proches des Républicains et moins 9 chez les proches du FN. Dans l’ensemble de l’électorat, l’ancien président de la République, avec 22 points, est désormais distancé de 16 points par Alain Juppé. Chez les proches des Républicains, la cote d’avenir de ce dernier est de 62 contre 51 pour Nicolas Sarkozy. Il s’agit pour l’ancien président d’un véritable décrochage.

Symétriquement, la même enquête marque un nouveau recul de la cote de confiance du président de la République qui, avec 84% de défiance, réalise l’un de ses plus mauvais scores. D’autres sondages récents ont montré que l’immense majorité des électeurs ne souhaite les candidatures ni du président de la République ni de son prédécesseur à la prochaine élection présidentielle. Certes, ce double rejet exprime d’abord sans doute une critique à l’encontre de leurs personnalités elles-mêmes, de leur bilan politique, ou de leur programme. Mais d’autres éléments incitent à en chercher ailleurs les raisons.

Tandis que ces deux leaders, qui veulent incarner le combat gauche/droite, peinent à s’imposer dans leur propre camp, Alain Juppé semble, lui, pouvoir s’imposer dans l’opinion sur une tout autre ligne et en forgeant une tout autre image. On observe d’abord que le maire de Bordeaux fait la course en tête dans l’ensemble de l’électorat, loin devant le peloton de ses suivants, avec 38% de cote d’avenir. Surtout, tandis qu’il a ravi à Nicolas Sarkozy la première place chez les proches des Républicains, il arrive également en tête chez ceux du Parti socialiste, avec un progrès de 9 points (47%). Paradoxe des temps !

Ainsi, alors que Nicolas Sarkozy et François Hollande s’évertuent à activer le clivage gauche/droite, l’un en tentant de mobiliser la gauche contre le « bloc réactionnaire », l’autre en tentant de rassembler les électorats de la droite et de l’extrême-droite contre la gauche, ce souhait paradoxal, exprimé par une majorité des proches des deux partis, républicain et socialiste, qu’Alain Juppé ait un avenir politique, montre qu’au-delà de la personne de François Hollande et de Nicolas Sarkozy, c’est aussi le clivage gauche/droite lui-même qui semble ne plus convenir aux Français pour organiser le fonctionnement du système politique. Va également dans ce sens la bonne cote d’avenir d’Emmanuel Macron, qui recueille des opinions positives à droite et à gauche. Tandis qu’Hollande et Sarkozy redoublent d’efforts pour marquer leur opposition irréductible, les Français, socialistes ou républicains, leur montrent l’inanité de leurs efforts conjoints, semblant réclamer au contraire un leader capable de rassembler le pays dans une période critique.

François Hollande et Nicolas Sarkozy font ainsi tous les deux la même erreur, clivant au maximum la société française, Hollande, en ciblant Sarkozy et en espérant qu’il sera le candidat de la droite, Sarkozy, à force d’inquiéter les Français en leur tenant un discours de guerre civile froide. Le premier risque ainsi de se trouver fort démuni si Juppé gagne la primaire, chargé alors de la mission impossible de mobiliser un électorat socialiste qui se reconnaît dans son principal adversaire plus qu’en lui-même. Le second risque, lui, de perdre la primaire du fait du refus de la partie majoritaire de l’électorat de droite et du centre de se reconnaître dans une stratégie qui consiste à coller au Front national voire à le tourner sur sa droite.

Reste à Alain Juppé à répondre aux attentes diverses qui convergent pour exprimer ce double refus. Son gaullisme peut l’y inciter. Mais n’est-il pas tenté, lui aussi, de réactiver le clivage gauche/droite ? Peut-il incarner cette France qui cherche désespérément son point d’équilibre ? Si, au bout du compte, il finit par apparaître aux Français comme le dernier espoir auquel ils puissent se raccrocher, saura-t-il de son côté les appeler à forger ensemble un avenir meilleur ?