Le temps de la rigueur est-il venu ? edit

9 septembre 2008

Une fois de plus, la classe politique débat du déficit budgétaire. Une fois de plus, le débat est conduit à coups d'affirmations péremptoires qui laissent de côté les principes économiques un peu plus compliqués que " c'est bien-c'est mal ", et une fois de plus il manque la perspective d'une stratégie à long terme.

La France a signé en 1997 (Président : Jacques Chirac ; Premier ministre : Lionel Jospin ; ministre des Finances : Dominique Strauss-Kahn) le calamiteux Pacte de stabilité (et de "croissance", c'est là la contribution française) qui limite les déficits à 3% du PIB. En 2001-2003, lors du précédent ralentissement de la croissance et face à des rentrées fiscales en berne, le déficit public de la France est sorti des clous. Comme l'Allemagne était dans la même situation, et en vertu du principe que nos deux pays sont trop grands pour se plier à la règle commune, le pacte a été suspendu. Il est revenu en 2005, légèrement allégé mais tout aussi déraisonnable. Comme l'Allemagne a profité des belles années de croissance 2004-2007 pour réduire son déficit, nous sommes cette fois-ci seuls face à nos censeurs. Pour éviter le pilori, bientôt suivi des sanctions, nous devrions réduire notre déficit en plein ralentissement, au risque de transformer un ralentissement relativement modéré en véritable récession.

La dette publique n'est pas une bonne chose. Elle coûte cher, son service absorbe près de 5% de toutes les dépenses de l'État, et donc elle pèse sur les choix du gouvernement. Elle s'impose aux générations futures. Mais la dette n'est pas non plus l'horreur absolue. Elle est justifiée si elle finance des dépenses productives ou si elle permet de modérer un trou d'air passager. Le drame de la France, et de bien d'autres pays développés dont les gouvernements sont encore plus endettés, est que la dette a explosé depuis trente ans sans aucune de ces justifications. Le budget est en déficit depuis 1974. C'était simplement pratique, pour tous les gouvernements qui se sont succédé, de vivre au-dessus de leurs moyens. Cela dit, la France n'est pas en faillite. Tant qu'un État peut lever des impôts pour servir sa dette, il est solvable. C'est le cas de la France, sans le moindre doute. S'il est souhaitable de faire monter la pression de l'opinion publique pour que cesse la gabegie, utiliser de faux arguments décrédibilise l'effort à accomplir.

Aujourd'hui la France est dans une mauvaise passe, comme le sont la plupart des pays développés. Faire du déficit pour amortir le choc n'est pas seulement pratique, c'est le bon sens économique. C'est d'ailleurs ce qui se fait en dehors de la zone euro (Grande-Bretagne, Etats-Unis, Japon, etc.) où le Pacte de stabilité n'impose pas de contrainte arbitraire. Pourquoi alors tant de voix s'élèvent contre un creusement du déficit ? Les objections sont de plusieurs ordres.

Objection juridique : le Pacte de stabilité nous l'interdit. C'est exact. Même si avons eu tort de l'accepter, la signature de la France s'impose à nous. La question est de savoir si la logique juridique doit s'imposer à la rationalité économique. Il y a des bonnes et des mauvaises lois, et celle-ci est mauvaise. Il faudra la changer. On a raté une occasion en 2005, lorsque le pacte a été renégocié sans beaucoup de courage. Une nouvelle occasion ne se représentera que s'il se produit une nouvelle crise. Soit la France rentre dans le rang, et des dizaines de milliers de personnes vont se retrouver au chômage, soit elle provoque une crise.

Objection politique : sur ce sujet la France est isolée au sein de la zone euro. Elle peut provoquer une crise, mais elle n'obtiendra pas gain de cause et compliquera ses relations avec ses partenaires. L'objection est encore plus forte durant la présidence française. Tout ceci est exact, mais la France n'hésite pas à ramer à contre-courant sur d'autres sujets comme la PAC, les aides aux entreprises, la Méditerranée, etc. Cela signifie que la France peut choisir quelques sujets qui fâchent, mais pas trop. Eviter la récession et préserver l'emploi et le pouvoir d'achat me paraît une très bonne cause, infiniment plus importante que les autres. De plus, il est très probable que notre déficit dépassera les 3% en 2009 et donc que, de toute façon, nous aurons droit au pilori. Quant à la présidence française, elle se termine dans quelques mois.

Objectif tactique : chez nous, le temporaire a la mauvaise habitude de devenir permanent. C'est vrai, depuis 1974, tous les déficits sont présentés comme temporaires, mais ils perdurent et la dette ne cesse de grossir. Si nous la laissons filer une fois de plus, nous continuons dans la voie détestable dans laquelle nous nous fourvoyons depuis trop longtemps. Cette objection est fragile. Il y un temps pour la rigueur, et un temps pour utiliser les marges de manœuvre. La rigueur budgétaire s'impose dans les bonnes années et notre problème d'aujourd'hui a son origine dans les bonnes années passées. Par exemple en 1999 quand Jacques Chirac a découvert la cagnotte que cherchait à lui dissimuler Lionel Jospin. Ou en 2004-2007 quand le même Chirac n'a pas esquissé le moindre pas vers l'apurement du déficit. Et en juin 2007, lorsque Nicolas Sarkozy a fait passer la loi TPA ? A l'époque, ce fut une erreur, mais a posteriori, cette petite relance budgétaire nous a bien servi quand le ralentissement est arrivé. Aujourd'hui n'est pas le temps de la rigueur budgétaire. Mais c'est aujourd'hui que nous devons préparer la rigueur pour la mettre en œuvre lorsque la croissance sera revenue.

Nous pouvons très bien faire une relance budgétaire aujourd'hui, ou en janvier après la présidence de l'Europe, mais nous devons simultanément mettre en place l'antidote et prendre dès maintenant les mesures qui permettront d'éliminer notre déficit sur le long terme. Pour cela, il faudra soit baisser les dépenses publiques, soit relever les impôts. Deuxième pays au monde, après la Suède, pour le poids des prélèvements obligatoires - et bientôt sur le haut du triste podium - le choix est évident car, lorsqu'ils sont si lourds, les impôts sont un frein à la croissance et un obstacle au plein emploi. Plusieurs pays (Canada, Pays-Bas, Suède, entre autres) ont mis en place des programmes pluriannuels de réduction progressive de la dépense publique. Nous avons d'ailleurs déjà commencé avec le non-remplacement de tous les départs à la retraite dans la fonction publique. Il s'agit à présent d'amplifier le mouvement, de nous attaquer aux vaches sacrées qui paissent dans les budgets de chaque ministère, de fixer des objectifs budgétaires chiffrés et de garantir l'exécution du programme par une loi qui établisse un conseil indépendant chargé d'en surveiller l'exécution, si possible avec le pouvoir de l'imposer.

Ainsi, nous pourrons dire à nos partenaires européens que, si notre déficit s'aggrave c'est pour la bonne cause, mais que nous sommes donnés les moyens de l'éliminer progressivement.