La question européenne dans le débat présidentiel: quelle union économique et monétaire? edit

3 février 2017

La question de l’Europe peut-elle vraiment être un enjeu dans l’élection présidentielle du printemps prochain ? On est en droit d’en douter tant le débat s’est focalisé à l’occasion des primaires sur les questions de l’identité et de la sécurité d’une part, du travail et de la laïcité d’autre part, avec une tonalité générale de remise en cause du « système ». Pourtant, la plupart de ces thèmes comportent une dimension européenne, susceptible de créer une ligne de fracture entre les différents projets en lice. L’Europe n’est d’ailleurs pas absente des discours et des programmes des principaux candidats, dont le point commun est de l’aborder sous l’angle des enjeux de souveraineté.

À ce titre, la maîtrise des frontières et de l’immigration, la sécurité et la défense fournissent des terrains privilégiés de débat sur le rôle de l’échelon européen dans des politiques relevant traditionnellement des fonctions régaliennes de l’État. Compte tenu de la culture politique française, marquée par le goût pour le mécano institutionnel, les enjeux de souveraineté conduisent naturellement aussi à un débat sur la gouvernance européenne au sens large, sans toujours entrer dans le contenu des politiques. Tandis que la plupart des candidats mettent en avant la souveraineté de la France et la problématique franco-allemande, Emmanuel Macron se distingue par sa référence à une « souveraineté européenne », même si cette notion trouve un écho chez François Fillon lorsqu’il évoque « une Europe économiquement souveraine ».

La monnaie européenne est la première manifestation de cette souveraineté économique européenne et constitue donc le premier sujet d’affrontement entre des visions irréconciliables dont le spectre s’étend de la remise en cause de la monnaie unique à l’appel à renforcer l’union monétaire par davantage d’intégration dans d’autres domaines de la politique économique.

À ce jour, les projets présidentiels de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon ne semblent pas finalisés, mais leurs sites de campagne renvoient à leurs programmes de 2012, qui ont en commun l’objectif de s’affranchir des traités européens. Le Front national y appelle notamment à préparer « le retour aux monnaies nationales », même si les dernières déclarations de Mme Le Pen envisagent leur coexistence avec une « monnaie commune ». Pour sa part, le programme du Front de Gauche propose de mettre un terme à l’indépendance de la BCE, mais à côté du plan A consistant à changer les traités pour instaurer le financement direct des États, le plan B de Mélenchon semble bien être celui de la sortie de l’Euro. À leur manière, les propositions de Benoît Hamon posent également la question du mandat de la Banque centrale (et donc celle du traité) lorsqu’il écrit : « j’œuvrerai pour faire évoluer les statuts de la BCE et faciliter le financement direct de la dette des États ».

Fillon estime pour sa part possible de faire de l’euro une monnaie de réserve sur un pied d’égalité avec le dollar, pour « retrouver notre souveraineté », sans que soit nécessaire nouveau traité. Sa proposition de création d’un « directoire politique » de la zone euro « en mesure de conduire, avec la Banque centrale européenne, la politique monétaire de l’euro» pose en réalité aussi la question du mandat et de l’indépendance de la BCE. En revanche, Macron, dénonçant le « tabou français » du transfert de souveraineté, salue le travail de la BCE, et estime que « les institutions européennes doivent être souveraines dans certains domaines ».

Au-delà de la question de principe de l’euro, comment les projets des différents candidats envisagent-ils la cohésion économique européenne ? Le rapport dit « des cinq présidents » des institutions européennes, publié en juin 2015, fournit un prisme au travers duquel peuvent être examinées et différenciées les propositions du débat politique français. Il apparaît alors que les différences entre candidats sont souvent plus nuancées qu’une simple opposition entre souverainisme et fédéralisme.

Un premier sujet est celui de la convergence vers une véritable Union économique, au bénéfice de la croissance et l’emploi. Les cinq présidents souhaitent y parvenir par une coordination renforcée des politiques économiques, en s’appuyant sur un système de Conseils de compétitivité de la zone euro et une plus grande attention aux résultats en matière sociale. À moyen terme, la démarche de convergence serait formalisée par le biais d’une plus grande harmonisation des normes. Du côté des candidats la question de la compétitivité est sous-jacente à bon nombre de positions, sous l’angle de la politique commerciale qui est souhaitée pour l’Europe. En la matière, il existe un relatif consensus sur la défense des normes sociales et environnementales. En revanche, c’est chez Fillon et Macron que l’on trouve à ce stade l’argumentation la plus détaillée en faveur d’une coordination des politiques macroéconomiques. Chez le premier il s’agit d’articuler dans une stratégie d’ensemble la politique monétaire et l’accélération des réformes structurelles. Chez le second c’est l’idée que la stratégie de réformes soit l’occasion de demander en contrepartie à l’Allemagne une vraie relance budgétaire. La convergence fiscale fait également l’objet d’un relatif consensus à gauche, mais est aussi appelée de ses vœux par Fillon notamment en matière de fiscalité des entreprises : le candidat de droite envisage même à brève échéance un taux unique franco-allemand pour l’IS et la TVA. L’engagement en faveur d’un processus de convergence sociale est plus net chez les candidats de gauche, qui mettent en avant des propositions précises en matière de salaire minimum européen. Hamon propose en outre le lancement d’un « traité social européen ».

Un deuxième sujet est celui de la mise en place d’un système financier véritablement intégré, au service d’une meilleure allocation des ressources d’épargne au sein de l’Union européenne (UE), qui pour les cinq présidents nécessite la finalisation de l’Union bancaire, et le lancement d’une Union des marchés de capitaux. Ce sujet est peu évoqué par les candidats, à l’exception de Macron qui estime que « la solidarité européenne ne peut être pensée sans l’harmonisation des financements d’entreprise », faisant sans doute ici référence à une forme de partage des risques par le secteur privé. À contre-courant de la démarche d’unification financière, Mélenchon défend le contrôle des mouvements de capitaux et la taxation des transactions, accompagnés de l’établissement d’un secteur bancaire public. Contrôle des « mouvements de spéculation des capitaux » et nationalisation partielle des banques figurent également au programme du Front national.

Un troisième sujet est celui des règles budgétaires et d’une éventuelle capacité budgétaire commune. Là où les cinq présidents appellent au respect des règles et proposent de renforcer le cadre de gouvernance par la création d’un Comité budgétaire européen consultatif, les candidats à l’élection présidentielle française plaident à des degrés divers pour un assouplissement, voire un affranchissement, des règles actuelles. Sans entrer ici dans le débat sur le chiffrage des programmes économiques, notons que là où Fillon demande « un élargissement du calendrier sur la réduction des déficits », Hamon propose un « moratoire » sur le Pacte de stabilité, le temps de négocier un nouveau traité qui exclurait les dépenses d’investissement du calcul des déficits. Macron estime d’ailleurs également que les investissements d’avenir doivent être « sortis des objectifs de dette et de déficit » du Pacte. Mais Hamon va au-delà en appelant également à l’annulation de la dette accumulée depuis 2008 par les pays européens les plus endettés, et détenue par d’autres États de l’UE. Mélenchon envisage quant à lui l’abrogation pure et simple du Pacte de stabilité, dénonçant l’austérité budgétaire comme menant au « scénario grec », et appelant à supprimer la surveillance budgétaire des États.

En revanche, à l’exception du Front National qui souhaite que la contribution nette de la France au budget européen soit nulle, l’intérêt pour une capacité budgétaire européenne est assez largement partagé. Le candidat du Front de Gauche, en particulier, propose la création d’un « Fonds de développement social, écologique et solidaire européen », tandis que Hamon propose un « grand plan d’investissement vers la transition écologique ». Les positions les plus fédéralistes en matière budgétaire émanent d’ailleurs d’une part du candidat socialiste, qui prône une mutualisation de la dette européenne actuelle et l’émission d’une dette commune, et d’autre part de Macron, qui envisage un budget de la zone euro, et une capacité d’endettement commune, tout en appelant à faire sauter le « tabou » allemand des transferts financiers de solidarité. Quant à Fillon, il n’envisage la création d’un Trésor européen et une mise en commun des dettes qu’à terme, « une fois la convergence fiscale achevée ». En revanche, il plaide pour une forme de mutualisation des dépenses de défense, et comme Macron, reprend la proposition de création d’un « Fonds de défense européen », également mise en avant par la Commission Européenne. Plus récemment, il a également repris l’idée d’un « fonds monétaire européen », autonome face au FMI.

Enfin, le rapport des cinq présidents met l’accent sur les évolutions nécessaires en matière de responsabilité démocratique, afin de renforcer la légitimité et les institutions de l’Union économique et monétaire. Il défend en la matière le rôle essentiel du Parlement européen et des parlements nationaux, en soulignant le rôle central de pilote de l’Eurogroupe s’agissant des intérêts de la zone euro. De fait, les candidats à l’élection présidentielle française sont généralement sévères à l’égard des institutions européennes non élues, attaquées de façon particulièrement virulente par Mélenchon et Le Pen. Si Macron plaide pour un ministre des finances responsable devant un Parlement de la zone euro, ce n’est pas sans avoir dénoncé le caractère dysfonctionnel de l’Union, gouvernée « par l’élite pour l’élite » et nécessitant donc une reconstruction institutionnelle et démocratique : la légitimité pourrait être regagnée par l’organisation d’une « convention démocratique » dans les 27 États membres, d’où découlerait un changement de traité à l’horizon 2018-19. Cette approche fait écho à l’idée d’« États généraux de la refondation européenne » mise en avant par Mélenchon, ayant également en vue la mise en chantier d’un nouveau traité. Fillon en revanche se défie de la longue négociation d’un nouveau traité et plaide pour une reprise en main intergouvernementale, en dehors de l’action de la Commission, mais en associant les Parlements nationaux plus systématiquement au contrôle de ces politiques.

Les programmes des candidats en sont à des stades différents d’élaboration, et sont inégalement développés sur les questions européennes. Par rapport aux propositions débattues pendant les primaires, ils continueront d’évoluer au cours de la campagne, mais permettent d’ores et déjà de mettre en évidence les principales oppositions entre projets. On y distingue trois grandes options : le rejet des engagements européens, la vision inter-gouvernementale d’une « Europe des nations », ou le désir d’une intégration plus fédérale. Toutefois, les lignes de partage ne se dessinent pas nécessairement selon l’axe droite-gauche : le consensus est large en faveur de l’harmonisation fiscale et sociale, d’un assouplissement des règles budgétaires et de la mise en commun de ressources, même si les avis diffèrent sur les politiques à mener. Ceux des candidats qui ne se défient pas de la monnaie unique aspirent à renforcer les institutions de la zone euro, même s’ils envisagent des modes de gouvernance plus ou moins intégrés.

Au total émerge l’image d’une Europe où l’exigence de responsabilité serait davantage démocratique que budgétaire, mais où la solidarité s’exprimerait davantage sur le terrain budgétaire que politique.